Cornaton dénonce le «négationnisme érigé en système» par la France
Par M. Aït Amara – Michel Cornaton, qui nous avait appris en premier le décès de l’historien et ami de l’Algérie Gilbert Meynier, nous fait l’amitié de nous informer de la prochaine parution de son livre portant sur le non-dit de la tragédie coloniale. Michel Cornaton a été parmi les premiers à dénoncer les camps de regroupement, mais le seul à avoir écrit plusieurs ouvrages sur ce sujet dont notre société continue à porter les stigmates.
Dans La Guerre d’Algérie n’a pas lieu, du déni à l’oubli, chronique d’une tragédie, Michel Cornaton écrit : «Si les camps nazis appartiennent à l’innommable, que dire de la Guerre d’Algérie ? Dès le 22 mars et le 14 avril 1962, avec une indécence totale, des décrets sont pris dans la précipitation pour amnistier, sans les juger, les coupables d’infractions commises dans le cadre de la répression contre l’insurrection algérienne. Le 17 décembre 1964 est votée la première loi d’amnistie liée aux événements d’Algérie. Le flou terminologique continue, il symbolise le voile pudique dont on recouvre un événement anecdotique qui n’aurait rien à voir avec la tragédie du peuple algérien, et qu’il faut s’empresser de dissimuler, d’oublier. Dans la foulée, le 24 juillet 1968, l’Assemblée nationale efface toute peine pénale en lien avec la guerre. Quand le négationnisme est érigé en système pendant autant d’années, comment éviter que, pour des générations entières, il ne s’étende pas à d’autres domaines de l’histoire, niée, bafouée par la politique et ceux qui la font.»
Le livre de Michel Cornaton, dont on espère qu’il sera édité en Algérie, revient, en effet, sur «cette guerre sans nom, qualifiée de simple événement» et qui «n’a laissé que peu de place dans l’espace de vie des Français. Au point de se demander si elle a vraiment existé».
L’auteur souligne que la «principale leçon» qu’il tire de cette «sinistre période» est que «le plus souvent, ce ne sont pas les acteurs de l’histoire qui renoncent à l’écrire mais les décideurs politiques qui la refusent parce qu’elle les dérange. Ils écrivent l’histoire avec une gomme», ironise Michel Cornaton. «Il faut avoir en tête qu’à la différence des deux guerres mondiales, la guerre d’Algérie, durant des décennies, n’a laissé que peu de trace dans l’espace et la vie de tous les jours des Français. Sans nom, ce ne fut pas une guerre mais une espèce d’événement qui s’est déroulé dans un halo lointain», avait affirmé l’historien dans une interview exclusive à Algeriepatriotique.
Michel Cornaton explique ce déni de la réalité par la France officielle, aggravé par le «mensonge de l’Etat», par une espèce de scotomisation : «L’Algérie était la France, celle-ci ne pouvait donc entrer en guerre contre elle-même. Reconnaître l’état de guerre signifiait la reconnaissance d’ennemis que les Français d’Algérie considéraient depuis toujours comme une autre espèce, les indigènes, pour ne pas les nommer des sous-hommes, ainsi qu’ils étaient pourtant traités», écrit-il.
Le souci de cacher les crimes commis par l’ancienne puissance coloniale dans notre pays y est pour beaucoup aussi : «Dans le même temps où l’Algérie se transforme en vaste camp de concentration, la circulaire Papon interdit l’utilisation du terme de camp, qui disparaît du vocabulaire. Cette dénaturation du langage s’est révélée si efficace qu’à leur retour au pays la plupart des deux millions de jeunes hommes enrôlés n’ont rien pu dire sur l’enfer vécu en Algérie.»
M. A.-A.
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