Interview – Karim Cherfaoui au sujet d’Alcomsat-1 : «Nous répondons positivement à l’appel du Président»
«Nous nous sentons concernés en premier lieu et nous répondons positivement et avec engagement à l’appel lancé par le président Bouteflika», affirme le directeur général de Divona, Karim Cherfaoui, dans cet entretien à Algeriepatriotique. «Aujourd’hui, l’ensemble constitué par Divona et SLC détient toutes les plateformes technologiques pour pouvoir commercialiser et exploiter des services large bande par satellite. C’est ainsi et de manière concrète que nous allons aider à la promotion et à la maximisation de l’usage des capacités du satellite Alcomsat-1», assure-t-il.
Algeriepatriotique : L’Algérie a lancé auparavant d’autres satellites. Quel sera l’apport du nouveau satellite Alcomsat-1 ? Quelles sont ses caractéristiques ?
Karim Cherfaoui : Les satellites qui ont été lancés auparavant sont des satellites d’observation de la Terre et des satellites météorologiques. Ce ne sont pas des satellites de télécommunications. Alcomsat-1 est le premier satellite de télécommunications qui est lancé par l’Algérie. Voilà pour les principales différences. Ce qu’il faut savoir aussi, c’est que le satellite météorologique est un MEO, c’est-à-dire qui gravite en orbite moyenne à 680 km au-dessus du niveau de la Terre, alors que celui des télécommunications est géostationnaire gravitant autour de la Terre à 36 000 km. Ce satellite permet toutes les opérations de télécommunications classiques (transport de données et de voix) liant des pays ou des continents entre eux.
Concernant ses caractéristiques, je dirai que c’est un satellite qui contient 35 transpondeurs relativement puissants. Ce qui est en soi une très grande capacité. C’est un gros porteur et parmi les meilleurs qui existent aujourd’hui. Ces transpondeurs opèrent dans les bandes de fréquence dites «commerciales» et même d’autres plus spécifiques. En effet, une bande de fréquence spécifique dédiée à l’utilisation militaire, la bande X, y a été prévue, de même que les bandes de fréquence à usage commercial, que sont les bandes KU, KA et C. Pour notre pays, et à ce jour, l’on utilisait essentiellement la bande KU, invariablement dans le nord ou le sud, alors que la bande KA, qui n’est pas encore utilisée, est la grande nouveauté «très attendue». D’un point de vue personnel, c’est «la» bonne nouvelle.
Le satellite Alcomsat-1 va, en effet, apporter un plus parce qu’aujourd’hui, nous achetons le segment spatial auprès de partenaires étrangers qui sont aussi de grands opérateurs, soit dit en passant. C’est donc très bénéfique et avantageux d’avoir un satellite avec une couverture spécifique des besoins de l’Algérie et de ses pays partenaires, parce que parmi ses caractéristiques aussi, c’est qu’il a une couverture optimale ; celle de l’Algérie, bien évidemment, les pays subsahariens et ceux d’Afrique du Nord, mais également une couverture des pays d’Europe du Sud avec lesquels nous avons des relations commerciales récurrentes. Rapprocher ces pays par des moyens de télécommunications et favoriser les échanges est un axe stratégique. Ce sont là les principales caractéristiques de ce satellite.
Est-ce que l’Algérie a besoin de plusieurs satellites de ce genre ?
Bien sûr. Aujourd’hui, nous pouvons compter à peu près une dizaine de satellites fréquemment utilisés en Algérie, sachant qu’il y a dix ans encore, notre demande en capacité était telle que certains satellites ont été presque dédiés à l’Algérie. Par exemple, Eutelsat, au départ, a lancé le satellite AB3 «désigné» particulièrement pour l’Algérie. Depuis, nous l’utilisons, certes, mais il y a d’autres pays qui l’utilisent aussi. Mais nous avons besoin encore de deux ou trois autres satellites 1) pour des raisons de sécurité, dont la redondance à AlcomSat-1, 2) pour satisfaire davantage nos besoins en capacité qui s’élèvent aujourd’hui à 960 MHz lorsque l’on considère les activités commerciales de télédiffusion (280 MHz) et de télécommunications (680 MHz), et 3) afin d’avoir des couvertures «stratégiques» optimales, parce qu’au-delà de couvrir notre zone, il s’agit aussi de couvrir d’autres zones distantes stratégiques pour nos partenaires ou pour nous-mêmes. En effet, il n’y a pas non plus que les Algériens qui peuvent être des clients de ce satellite. D’abord, couvrir les besoins algéro-algériens est trivial et, dans une seconde étape, couvrir aussi les besoins qui ne concernent pas l’Algérie ou qui la concernent minoritairement est nécessaire. Beaucoup de pays «amis» peuvent voir en notre position orbitale, qui est souveraine au passage, un avantage très important pour leurs opérations mondiales.
Le lancement d’un satellite par le Maroc a soulevé une polémique. Pensez-vous qu’il existe une compétition entre les deux pays dans ce domaine ?
Oui et c’est normal, heureusement. Il y a une compétition forcément, mais qui n’est visible qu’en filigrane : c’est la course vers la technologie, sa maîtrise et les développements y relatifs. Mais ce n’est pas une réelle compétition aussi parce que nous ne jouons pas dans la même catégorie, sans vouloir être dédaignant. Le satellite lancé par nos frères marocains est un satellite d’observation de la Terre seulement. Son objectif, plutôt militaire ou de protection civile, est différent d’Alcomsat-1, qui est dédié aux télécommunications. Le coût de ce dernier est nettement supérieur à celui d’un satellite d’observation. Et son coût d’exploitation l’est tout autant. C’est pour cela qu’aujourd’hui, l’on ne peut vraiment parler de concurrence, car le programme spatial algérien est vieux d’une trentaine d’années, a conduit à la fabrication in situ et au lancement de plusieurs satellites, dont ce dernier-né.
C’est ce qui nous permet de dire qu’en matière de télécommunications spatiales, nous sommes vraisemblablement les premiers dans la région à maîtriser le processus global (design – conception – montage – opération). Pourquoi ? Parce que c’est un satellite algéro-algérien. Conçu et fabriqué en Algérie avec des partenaires. Et il faut savoir aussi que dans cette stratégie de la conquête des télécommunications spatiales, l’Algérie joue un rôle depuis bien longtemps puisqu’elle est actionnaire historique d’Intelsat, une société américaine qui a lancé plus d’une soixantaine de satellites. Mais nous en sommes sortis dans le milieu des années 2000, alors que nous sommes toujours actionnaires d’Arabsat qui a lancé toute une flotte de satellites également. Nous étions parmi les initiateurs de Rascom 1 et Rascom 2, des satellites libyens, comme précisé plus haut. Par conséquent, l’attrait de l’Algérie pour ce domaine ne date pas d’aujourd’hui. La particularité aujourd’hui est que ce satellite est de conception algérienne, en partenariat avec nos partenaires chinois, certes, mais il est strictement algérien, construit en Algérie et lancé à partir de la Chine, mais exploité à cent pour cent par les Algériens. C’est un signe positif et rassurant. Etre en concurrence est donc un cheminement tout à fait normal entre pays voisins.
Le président de la République a lancé un appel concernant l’exploitation d’Alcomsat-1 en direction des opérateurs nationaux publics et privés…
Le Président de la République a lancé, à travers le communiqué qu’il a fait, un appel pour la maximisation de l’exploitation du nouveau satellite par des opérateurs algériens, publics et privés. Et quand il parle d’acteurs privés, nous nous sentons concernés en premier lieu. Nous répondons donc positivement et avec engagement à cet appel. C’est, d’ailleurs, une partie de notre stratégie de ces trois dernières années. Nous attendions le lancement de ce satellite pour pouvoir l’exploiter. Nous savons aujourd’hui que la durée de vie de ce satellite est d’une quinzaine d’années, donc, c’est toute notre stratégie sur les quinze années à venir qui va l’intégrer.
Il y a lieu de signaler que c’est une chose que nous avons beaucoup attendue, qui est conforme à la vision du Président de la République, annoncée dans les années 2000 dans la déclaration de la politique sectorielle, qui est, elle aussi, conforme aux projections d’ouverture du marché concrétisées par la loi 2000-03. La vision reste intacte, et le concours de tous les Algériens, de tous les capitaux nationaux, pour l’aboutissement de ce projet est sollicité. On s’inscrit donc pleinement dans cet appel et nous y répondons positivement.
Quelle stratégie adopterez-vous pour rendre concrète votre adhésion à cet appel ?
Globalement, il y a deux aspects majeurs qui fondent notre stratégie liée à Alcomsat-1. Premièrement, en exploitant la couverture géographique d’Alcomsat-1, répondre à la demande et aux besoins commerciaux de tous les pays couverts. L’Algérie en premier lieu, évidemment, mais également les pays de l’Afrique subsaharienne et les pays de l’Europe du Sud. Les pays subsahariens pourront maintenant joindre l’Algérie, ou passer par, pour aller vers d’autres pays via les câbles sous-marins algériens, mais peuvent être connectés directement, aussi, à l’Europe pour emprunter d’autres câbles souterrains/sous-marins. Les pays d’Europe, et plus particulièrement ceux du Sud, pourront se connecter à l’Afrique via ce satellite. Nous allons donc devoir déployer des efforts commerciaux supplémentaires pour faire la promotion de ce satellite et des potentialités qu’il offre. Le deuxième aspect est d’exploiter toutes les caractéristiques techniques de ce satellite. La couverture en est une, mais c’est aussi de bandes de fréquence qu’il s’agit. Alcomsat-1 utilise les bandes KA et KU en particulier. Et ces deux bandes mériteraient d’être promues, notamment pour les pays subsahariens, car ces derniers ont plutôt l’habitude d’utiliser la bande C qui nécessite des investissements plus lourds et des équipements plus grands. Avec ce nouveau satellite, l’on peut réduire de manière très significative la taille, le coût ainsi que l’efficacité des équipements dits VSAT nécessaires à la communication. Il s’agit en fait d’offrir, de manière plurielle, une meilleure qualité de bande passante, peu sensible aux perturbations climatiques et mieux adaptée aux besoins de la région, qui comptent un nombre très important de banques, opérateurs et ONG internationaux.
Pour ce qui est de la KA, celle-ci est utilisée pour répondre aux besoins des foyers et des professions libérales. Il s’agit là d’un gros potentiel, ou gisement, de développement. Aujourd’hui, l’ensemble constitué par Divona et SLC détient toutes les plateformes technologiques pour pouvoir commercialiser et/ou exploiter des services Large Bande par Satellite. C’est ainsi et de manière concrète que nous allons aider à la promotion et à la maximisation de l’usage des capacités de ce satellite.
Actuellement, Alcomsat-1 couvre un certain nombre de pays qui sont connectés aux autres pays du monde. De ce fait, nous pouvons utiliser ce satellite pour récolter le trafic et utiliser les câbles sous-marins algériens pour aller faire la continuité de ces réseaux à l’international. Ces réseaux s’appellent des réseaux hybrides que SLC et Divona exploitent d’ores et déjà. Ces réseaux hybrides, faut-il savoir, combinent un usage judicieux du satellite et des liaisons terrestres, et les câbles sous-marins notamment.
Comment voyez-vous la suite de la coopération avec les partenaires habituels de l’Algérie dans ce domaine ?
Je ne vois que de la complémentarité, même si, quelque part, il va y avoir une concurrence avec le nouvel entrant. En effet, il y a un large champ de coopération possible. Nous avons une assez bonne connaissance de nos partenaires, de leur flotte de satellites et des services à valeur ajoutée qu’ils proposent. Cette connaissance nous permet d’entrevoir un large champ de coopération, voire parfois de «coopétition». A titre d’illustration et pour ce qui nous concerne, nous utiliserons prioritairement Alcomsat-1 pour ce qui le différencie clairement des autres satellites en orbite appartenant à nos partenaires historiques, i.e. sa bande KA.
En effet, Alcomsat-1, couvrant la totalité du territoire, pourrait être utilisé pour élargir notre offre d’accès à internet par VSAT, bien qu’il existe un satellite KA de la société Eutelsat, mais qui ne couvre qu’une partie de la région nord du pays. De même, lorsqu’il s’agira d’établir une solution de communication qui traverse plusieurs continents et exclusivement par satellites, la nouvelle flotte EPIC d’Intelsat sera grandement utile. C’est de ces complémentarités dont il s’agit.
Il est sûr que nos partenaires historiques ont déjà prévu de répondre à cette nouvelle donne par une adaptation de leurs offres techniques et commerciales, et dans ce cadre, c’est une croissance de l’existant que nous entrevoyons.
En ce qui concerne les autres usages, qui relèvent plus des prérogatives de l’opérateur du satellite, les opportunités de «coopétition» entre la société commerciale de l’Asal et nos partenaires historiques sont importantes. Notamment en ce qui concerne la redondance d’Alcomsat-1. Ainsi, la balance d’échanges ne serait que positive pour chacune des parties : l’Asal, nos partenaires historiques et nous-mêmes, en tant qu’opérateurs de réseaux et de services.
Comment allez-vous collaborer avec l’Agence spatiale algérienne pour concrétiser cela ?
Aujourd’hui, il y a juste une chose qui n’est pas tout à fait claire, mais nous sommes à l’écoute et prêts à être opérationnels, car le satellite est lancé et il ne lui reste que deux mois pour être opérationnel, sauf dans le cas où l’Asal décide de repousser l’exploitation commerciale à six mois après le lancement, chose qui est tout à fait possible. Comment collaborer ? Il y a lieu d’installer une société commerciale à côté de l’Asal, mais qui ne peut en aucun cas être un opérateur de télécommunications comme nous. C’est-à-dire que sur les trois opérateurs licenciés VSAT, l’on ne peut que distribuer cette capacité, mais l’on ne peut avoir l’exclusivité de sa revente. L’Asal doit installer rapidement cette société pour pouvoir commercialiser cette capacité en Algérie, mais également à l’international, et nous serons client de cette entité. Nous attendons les orientations et les décisions qu’adoptera l’Asal pour se rapprocher de cette entité. C’est ce qui se fait de par le monde.
Il y a d’autres «lignes de métiers» qui pourront être exploitées, comme les téléports. Ce sont des infrastructures terrestres qui servent à communiquer avec les satellites. Et c’est l’un des avantages du nouveau satellite : pouvoir l’utiliser d’Algérie ou de l’international. On aura besoin pour ce faire de téléports qui appartiennent à l’Asal ou, non, qui appartiennent au domaine public ou privé. C’est donc une mine d’opportunités, et pour l’économie nationale essentiellement, car cela permettra d’atteindre les zones éloignées et de renforcer l’existant. Aujourd’hui, nous utilisons une capacité qu’on se procure auprès de partenaires étrangers. C’est une consommation en devises. Le satellite Alcomsat-1 devra être amorti et le prix étudié de manière à ce qu’on puisse le payer en dinars et à un cours raisonnable.
Il faut savoir enfin que ce satellite apporte plusieurs bonnes nouvelles. La satisfaction est plurielle et le gisement d’économie devra être énorme. Pour se donner un ordre d’idée, il faut savoir qu’un satellite crée au bas mot quinze fois plus de valeur que son prix d’investissement.
Entretien réalisé par Mohamed El-Ghazi
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