Interview – L’ambassadeur de Russie à Alger : «Nos relations avec l’Algérie sont toujours aussi solides»
Algeriepatriotique : La coopération économique entre l’Algérie et la Russie a connu un nouvel élan, avec la signature de plusieurs accords dans des domaines aussi divers que l’agroalimentaire, la santé, les infrastructures, l’industrie et les hautes technologies. Comment évaluez-vous cette coopération dans un climat où règne une forte concurrence ?
S. E. Igor Beliaev : Tout d’abord, je tiens à vous remercier pour cet entretien. Pour répondre à votre question sur la qualité des relations russo-algériennes, je peux vous dire que nous, en Russie, sommes très satisfaits de l’évolution des relations entre nos deux pays durant les décennies écoulées. Celles-ci évoluent sans cesse, comme l’atteste le rythme accéléré des contacts politiques et des visites mutuelles. L’événement le plus marquant de l’année qui vient de s’achever a été, sans doute, la visite du Premier ministre, Dimitri Medvedev, en Algérie, en octobre dernier. Il a été reçu par Son Excellence le président Abdelaziz Bouteflika et a eu des discussions approfondies avec le Premier ministre, Ahmed Ouyahia. Il a aussi rencontré, successivement, le président du Conseil de la nation, Abdelkader Bensalah, et le président de l’APN, Saïd Bouhadja. Cette visite était très importante et, comme vous l’avez souligné, plusieurs accords importants ont été signés au cours de cette visite, dont je peux citer : le protocole d’entente entre la société publique russe de l’énergie atomique Rosatom et la Commission à l’énergie atomique algérienne pour la coopération dans le domaine de l’enseignement et de la formation professionnelle, et aussi un accord de coopération entre la société russe Transneft et la Sonatrach ainsi que d’autres protocoles d’accords dans les domaines de la santé et de la formation professionnelle. Notre souhait est que cette visite puisse donner un nouveau souffle pour l’évolution et le développement des relations économiques, commerciales et dans le domaine de l’investissement et des relations humaines.
Une visite du président Poutine en Algérie est-elle prévue cette année ?
Nos relations sont toujours aussi solides et le dialogue politique est sans cesse en évolution. Je suis très persuadé que si une invitation est adressée à Vladimir Poutine par Abdelaziz Bouteflika, cette invitation sera soigneusement étudiée et aura une réponse positive.
La Russie envisage-t-elle de rouvrir son centre culturel à Alger et des consulats dans d’autres grandes villes pour un meilleur rapprochement entre les deux peuples ?
C’est un sujet très important. Je ne divulgue pas un secret en disant qu’un accord est en cours de préparation entre nos deux gouvernements pour la réouverture d’un centre culturel russe en Algérie. Les deux parties concernées, russe et algérienne, sont en train de déployer des efforts pour réussir ce projet et parvenir à sa finalisation et à sa signature durant l’année en cours.
Et concernant les consulats, y en aura-t-il de nouveaux dans les grandes villes ?
S’agissant des consulats, la question est plus compliquée. A ma connaissance, il n’y a pas de projet pour ouvrir de nouveaux consulats russes en Algérie.
Comment évaluez-vous la situation en Libye, avec l’exacerbation du conflit entre les différentes parties et l’obstination du maréchal Khalifa Haftar ?
Sincèrement, la situation en Libye nous inquiète au plus haut point. Notre pays entretient des relations historiques et traditionnelles avec ce pays d’Afrique du Nord. Nous espérons un retour de la stabilité et le rétablissement de la sécurité dans ce pays, et nous souhaitons au peuple libyen de vivre dans la paix et la prospérité. Mais, malheureusement, jusqu’ici, tous les efforts déployés pour parvenir à une solution pacifique n’ont pas abouti. Or, je crois que s’il y a de bonnes intentions chez tous les protagonistes, il y a encore une chance pour que nous puissions contribuer de façon active et positive afin de ramener la paix et la stabilité dans ce pays. Et je pense que la Russie et l’Algérie ont une position très similaire sur la crise libyenne, preuve que nos deux pays entreprennent des contacts avec toutes les parties libyennes et tentent de les amener à renoncer à l’usage de la force et des armes et à s’asseoir autour de la table des négociations pour commencer à chercher une solution consensuelle. Je pense qu’il existe déjà une assise pour ces négociations, ce sont les accords de Skhirat. Nous comprenons que les parties en conflit veuillent amender ces accords. Maintenant, si ces parties acceptent d’en amender quelques-unes de ces clauses pour qu’elles aboutissent à un compromis, ceci ne peut qu’impulser le processus de paix. En Russie, comme d’ailleurs en Algérie, nous soutenons les efforts de l’émissaire onusien en Libye, Ghassan Salamé. Celui-ci joue, visiblement, un rôle actif pour rapprocher les parties libyennes et les convaincre d’œuvrer pour aboutir à un compromis.
Doit-on comprendre que vous croyez encore à la viabilité d’une solution pacifique au conflit libyen ?
S’il n’y a pas d’ingérences étrangères et s’il y a, en contrepartie, des médiations crédibles des pays du voisinage, il y aura certainement un espoir pour aboutir à une solution pacifique. Nous l’espérons sincèrement, parce que ce peuple souffre de l’insécurité depuis trop longtemps. Et je pense que les différentes parties libyennes souhaitent vraiment qu’il y ait la paix dans leur pays.
Daech est en passe d’être vaincu sur le terrain en Syrie. Est-ce que cela signifie que le conflit, dans sa dimension armée, touche à sa fin dans ce pays ?
La crise syrienne figure parmi les priorités de la politique étrangère de la Russie. Les derniers succès enregistrés en Syrie ont été réalisés grâce à la présence de l’aviation russe et à l’aide apportée par la Russie au gouvernement légitime de Damas. Nous avons aidé les forces armées syriennes dans la lutte contre le terrorisme, et c’est certainement grâce à l’intervention russe positive qu’il y a eu tous les succès que nous avons vus récemment dans ce pays. Aussi avons-nous pu préserver l’existence d’un Etat syrien, son intégrité territoriale et sa souveraineté. Parce que n’eût été l’intervention de la Russie, Daech aurait occupé Damas pour se lancer ensuite à la conquête de tout le monde arabe, et même au-delà. Car, il y a bien eu des tentatives des terroristes de se répandre dans les quatre coins de la planète. Cela dit, grâce aux efforts communs et la coordination entre le gouvernement syrien et les forces armées russes présentes à travers ces deux états-majors établis à Hmeimim et Tartous, nous avons pu libérer l’ensemble des territoires et des principales villes de Syrie des mains des terroristes.
Certes, le terrorisme n’est pas totalement vaincu, parce qu’il y a encore des éléments terroristes qui tentent de s’enfuir vers d’autres pays arabes et notamment du Moyen-Orient, et aussi vers l’Afghanistan, la Libye et les pays du Sahel. Donc, cette action de lutte contre le terrorisme se poursuivra incontestablement. Car, personne ne peut vaincre les terroristes avec la seule action armée. Il doit y avoir des mesures politiques, économiques et sociales qui doivent être prises pour éradiquer le terrorisme à sa racine. Ceci exige une synergie des efforts de tous les pays de la planète, enfin de toute l’humanité. Et nul ne peut arriver, seul, à bout de ce fléau.
Surtout quand on sait qu’il est financé par certains pays…
C’est vrai que s’il n’avait pas bénéficié d’un soutien extérieur, Daech n’aurait pas réussi à occuper une partie aussi importante des territoires syriens et irakiens.
Le terrorisme est-il vaincu en Syrie ou y subsiste-t-il toujours des groupes terroristes ?
Je pense que Daech est vaincu mais il y a encore quelques groupuscules terroristes encore actifs. Mais le plus important est que, après ces succès, la crise syrienne évolue d’une solution armée vers une solution politique. Ainsi, la Russie déploie de grands efforts pour tenir une conférence de dialogue national à Sotchi, prévue à la fin du mois en cours, et nous œuvrons afin que tous les courants de la société syrienne soient représentés à cette conférence et s’assoient autour de la même table et essayer d’aboutir, par le dialogue, à une vision d’avenir de leur pays et de leur nouvelle Constitution en vue de préparer, notamment, des élections générales et un référendum sur la Constitution, où le peuple syrien sera maître de sa décision et choisira en toute souveraineté ses dirigeants.
Quel est le but réel de la politique des sanctions pratiquée par les Etats-Unis à l’encontre de la Russie ?
Le but est clair, c’est de dicter des conditions à la Russie et contraindre la direction russe à abandonner sa politique autonome et à rejoindre cette caravane conduite par les Etats-Unis. Ceci est, bien sûr, pour nous inacceptable. La Russie a toujours été, à travers les âges, un Etat indépendant et souverain,prend ses décisions en toute souveraineté et ignore complètement les injonctions étrangères.
Quel est leur impact sur la population russe ?
Il y a bien sûr un impact mais ces sanctions ont poussé les différents ministères et entreprises russes à mener une politique de diversification économique. Donc, ces sanctions ont paradoxalement été positives pour nous.
Dans quel sens peuvent évoluer les relations de la Russie avec les Etats-Unis ?
La Russie et les Etats-Unis sont deux puissances nucléaires. La conjoncture mondiale actuelle dépend grandement de la qualité des relations entre les deux pays. C’est pourquoi, en dépit de tous les problèmes qui existent, nous essayons toujours d’adopter une position constructive et trouver des moyens de coopération avec les Etats-Unis, parce que la paix et la sécurité internationales dépendent du niveau des relations entre ces deux pays. Si, malheureusement, ces relations se sont détériorées ces dernières années, nous n’en sommes pas les fautifs. Ces relations se sont envenimées depuis, notamment, que la Russie est devenue un élément de la politique intérieure des Etats-Unis. Il faut rappeler que l’ancienne administration américaine, sous Barack Obama, avait posé beaucoup de pièges à celle qui lui a succédé, à savoir l’administration Trump. Or, cette dernière a les mains ligotées, et ne peut agir dans le sens d’une normalisation des relations avec la Russie. Mais, malgré cela, nous ne cesserons pas de déployer des efforts et d’être constructifs et sérieux dans nos démarches pour reconstruire les passerelles avec les Américains.
Une dernière question, Votre Excellence. Un sondage d’opinion organisé récemment en Russie indique qu’une majorité de la population russe considère les Etats-Unis comme son premier ennemi, avant même le terrorisme. Quel est votre commentaire ?
A vrai dire, je n’ai pas vu ce sondage, mais sincèrement je doute de la véracité de ces résultats. Je pense que, après tout ce que la Russie et l’Algérie ont enduré durant les décennies écoulées à cause du terrorisme, nous connaissons bien la nature de ce phénomène et, donc, je pense que le terrorisme international est un problème qui se pose à tout le monde, aussi bien aux Etats-Unis qu’à la Russie et à l’Algérie. Ceci dit, nous ne considérons pas les Etats-Unis comme un ennemi. Durant la Seconde Guerre mondiale, nous étions même des alliés, et nous avons combattu ensemble l’Allemagne nazie, et même parfois en Syrie, ces deux dernières années, où nous coordonnions nos actions contre les groupes terroristes. C’est pourquoi, nous pouvons être des alliés dans tant de domaines.
Interview réalisée par Kahina Bencheikh El Hocine
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