La ratonnade remise au goût du jour
Par Al-Hanif– Le titre fait référence à un précédent article sur le thème et je m’étais promis de ne plus revenir sur ce sujet. Les événements récents et les appels à la ratonnade décomplexés de Philippe Tesson sur les ondes d’Europe I m’y font retourner car ils ne peuvent se réfugier sous l’excuse de la sénilité associée au grand âge (87 ans).
De Gaulle avertissait déjà du grand naufrage lié à l’âge, mais les propos de Tesson, sorte de pape des médias, sont pleinement assumés et revendiqués de manière véhémente comme l’expression d’une islamophobie affichée en étendard. Que les lecteurs en soient juges : «D’où vient le problème de l’atteinte à la laïcité, sinon des musulmans ? Qui le dit ça ? Eh bien moi je le dis ! Je rêve ou quoi ?… Ce sont les musulmans qui apportent la merde en France.»
La sénilité ne peut plus être invoquée comme paravent, et les propos tenus et attestés relèvent de la qualification juridique d’incitation à la haine. Enfoncée, dépassée l’icône raciste Brigitte Bardot, sublime tentatrice dans sa jeunesse, qui fut belle un temps et laide si longtemps ; d’une laideur qui tient moins à l’irréparable outrage des ans qu’à la laideur de son âme et à son racisme atavique. Et Dieu créa l’Infâme ! serions-nous tentés de dire.
Celle qui fustige chaque musulman de France et qui veut interdire le rite sacrificateur des enfants d’Abraham n’est plus seule, et à la question «l’islamophobie, combien de légions ?» les réponses pourraient être nombreuses, et chaque jour de plus en plus nombreuses.
Les digues des précautions rhétoriques qui entendent se défier des amalgames entre pratiquants respectueux des lois et islamistes prosélytes ont cédé. La figure repoussoir du musulman ne fait plus qu’une. Il ne manquait plus que le renfort de Hakim El-Karaoui (ex-plume de Raffarin) pour alimenter le moulin en eau fétide et déclarer dans L’Express : «Les islamistes ont gagné la bataille des idées» pour accréditer l’idée d’un islam triomphant et imposant son agenda à la société française. C’est prétendre que Barbes ou les banlieues du 93 sont aux commandes du pays et que celui-ci n’est pas celui de l’entre-soi, de la cooptation par les réseaux alimentés par Polytechnique, Normale Sup et Sciences politiques.
C’est applaudir à la fausse visibilité et au dévoiement de l’islam, à travers ces prières de rue, les surenchères verbales, les accoutrements qui diffusent l’islamophobie, tel un air vicié, dans toutes les sociétés occidentales, avec le concours d’idiots utiles, exécutants de la mise en scène scénarisée du choc des civilisations.
Les Unes des journaux et magazines, sous couvert de pointer du doigt l’islam radical et extrémiste, ont accoutumé l’opinion publique à percevoir l’islam comme danger planétaire et expression d’une menace globale. Pour tous ceux-là, la figure du «terroriste global» est pain béni. Bénissons chaque jour ce pain quotidien qui dit la frontière entre eux et nous !
Le musulman composite mais uniforme campe dès lors cet autre «Autre» totalement incompatible avec le vivre-ensemble dans des sociétés qui se réclament davantage héritières de la seule matrice judéo-chrétienne. Les valeurs de la laïcité sont torturées pour devenir compatibles avec une catho-laïcité de combat qui rend le musulman anachronique dans son espace. Le renfort d’intellectuels et écrivains du Sud, travaillés par la haine de soi, n’est pas invitation à poser un regard calme et apaisé sur les musulmans de France qui, pour la plupart, n’entendent être enrôlés sous aucune bannière, ni faux drapeau. Il est ralliement indigne à des comportements punis par la loi et porteurs de ségrégation.
Je ne perdrai aucune énergie à enfoncer des portes ouvertes pour rappeler que l’islam n’est pas l’islamisme mais pour rappeler le manque, sinon l’absence, de poids politique de cet pseudo-islam de France. Ni sœur Anne ni sœur Aïcha ne verraient à l’horizon de maire musulman de grande ville (comme à Londres), ni de député assumant cette identité, ni aucun capitaine d’industrie, sinon honteux de ses origines et donnant tous les gages de la soumission.
Les méfaits du moindre délinquant l’assignent désormais à assignation confessionnelle et ethnique, mais cela serait oublier les 2 millions de followers de Tarek Ramadan, trouble personnage qui a capturé les cervelles en déshérence et apporté la preuve de l’échec des représentations «officielles». Ma posture n’est pas celle d’une islamophilie béate car il est de notre devoir d’expliquer et de contextualiser pour faire prendre conscience des pièges du repli communautaire, quand nous plaidons pour notre propre pays la coexistence d’expressions plurielles dans un cadre démocratique.
Comme les souris ne naissent pas du fromage, l’islamophobie a une archéologie ancienne qui remonte aux premières croisades. Aujourd’hui, devenue fonds de commerce lucratif et marketing cynique, l’islamophobie vise un double objectif : engranger les recettes (gains financiers et politiques) et capturer les troupeaux de cervelles auxquels il faut désigner le bouc émissaire, faux principe d’explication !
N’ayant jamais eu aucune pulsion à me réclamer d’une rente de supériorité, ni religieuse, ni ethnique, ni de classe, ni de couleur de peau, je rappellerai le constat de Frantz Fanon : «Le seul fardeau est d’être un humain.» Et ériger des strates de supériorité, c’est sortir de l’humanité et conforter tous les ordres hégémoniques.
Les lettrés parmi nous qui pensent se réfugier dans une universalité étriquée et définie par les mêmes pourraient se rappeler que l’apport civilisationnel du monde musulman est complètement occulté de l’Encyclopédie des Lumières.
Rabelais, pour son honneur d’homme et de médecin, notera la contribution de la science médicale musulmane à la faculté de médecine de Montpellier et enjoint à son personnage Gargantuel l’enseignement de l’arabe, alors langue scientifique de l’époque. Jonathan Lyons dans son magnifique House of Wisdom fait un compte-rendu objectif de la manière dont les Arabes et les musulmans avaient transformé la civilisation médiévale occidentale. Il pointera la réticence à se montrer créditeur d’une civilisation et la permanence d’un discours islamophobe (actuellement promu et réactivé) qui date de la première croisade.
Ce discours se déploie avec régularité avec quelques altérations mineures et témoigne d’une volonté d’exclure le musulman du champ perceptuel et conceptuel de l’Occident, et lui dénier le fait d’avoir construit une forme de mondialisation en intégrant à sa monade la diversité culturelle du globe terrestre.
Un certain révisionnisme entend même minorer la réalité d’une Andalousie qui a transposé sa version du paradis dans les terres odorantes de l’Espagne musulmane et laissé en témoignage des chefs-d’œuvre architecturaux, patrimoines de l’humanité. «Qui n’a vu Séville »n’a vu aucune merveille», disait le dicton.
Cette obsession à nier l’Autre, surtout s’il est musulman, se retrouve chez Plétarque, lui aussi victime de ses préjugés. Soigné par un médecin formé à l’aune de la science médicale arabe, il guérira mais refusera que l’on évoquât cette aide. Comme preuve de son enfermement intellectuel, il laissera à la postérité celle formule à nouveau brandie par tous les islamophobes : «Les Arabes sont, et restent, des barbares qui n’apportent rien.» Le vocable arabe étant un raccourci pour musulman.
Rien ne se crée, rien ne disparaît, tout se transforme et, en matière d’idéologie haineuse, plus cela change plus c’est la même chose !
A. H.
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