Gilles Manceron : «La déclaration de Macron sur Audin est un aveu de crime»
L’Etat français a fait un «petit pas» vers la reconnaissance de la vérité sur l’assassinat de Maurice Audin lorsque le président Emmanuel Macron a déclaré que c’est l’armée qui l’avait assassiné en 1957, a affirmé, vendredi, l’historien français Gilles Manceron.
Sur la base la déclaration récente du président Macron faite au député Cédric Villani, qui est membre de La République en Marche (LRM), et qui a aussi présidé le prix Maurice-Audin de mathématiques selon laquelle «Maurice Audin a été exécuté par l’armée française», «on peut dire que l’Etat français a fait un petit pas vers la reconnaissance de la vérité sur l’assassinat de Maurice Audin, car ces mots n’ont jamais été prononcés auparavant par un représentant, officiel ou officieux, de l’Etat», a expliqué dans une interview à l’APS Gilles Manceron pour qui «le mot “exécuter” veut dire qu’il y a eu une intention meurtrière délibérée et, comme il n’y a eu dans ce cas aucune procédure judiciaire, cela signifie une décision d’assassinat extrajudiciaire».
«L’auteur de cet assassinat est désigné comme n’étant pas “un militaire français” ou “des militaires français”, qui auraient pu agir en l’absence d’ordres reçus, mais comme étant “l’armée française”. Ce meurtre relève d’un ordre de la hiérarchie de l’armée. C’est un petit pas de plus de la part de l’Etat français vers l’aveu de la vérité», a-t-il soutenu, déplorant que cette déclaration s’accompagne de «beaucoup d’hypocrisie et de lâcheté» car, selon lui, «rien n’est dit sur les témoignages ou documents qui ont conduit le Président à cette conclusion».
«Cela présage peut-être de la volonté du président Macron de dire enfin toute la vérité sur cette disparition, mais ce n’est pas encore le cas», a déduit l’historien.
On craint la vérité sur les crimes coloniaux
Dans une interview accordée au quotidien L’Humanité, Cédric Villani a déclaré que le président Macron lui a annoncé que le grand travail d’ouverture des archives, initié par François Hollande, «allait se poursuivre», attestant qu’à ce jour «aucune archive ne venait apporter un éclairage décisif» sur le sort de Maurice Audin et que l’Etat «ne cherche plus à imposer sa version».
Sur la question des archives, Gilles Manceron soutient, pour sa part, que l’armée française et l’ancien gouvernorat général ont des archives et que «si ce meurtre résulte d’un ordre de la hiérarchie de l’armée dont le chef d’état-major en Algérie était alors le général Raoul Salan, et le commandant dans la région d’Alger, le général Jacques Massu, chef de la Xe Division parachutiste, il est clair qu’il a été forcément partagé par le ministre résidant d’alors, Robert Lacoste, qui partageait totalement avec eux la conduite de la bataille d’Alger».
«Le pouvoir gouvernemental à Paris était lointain, faible et instable. On était d’ailleurs dans une période de transition entre deux équipes ministérielles, ce qui laissait encore davantage les mains libres aux ultras de l’Algérie française qui détenaient alors les pouvoirs civils et militaires dans l’Algérie coloniale. Ce sont eux les responsables des pires crimes mais l’Etat français les a laissé faire et, par la suite, n’a voulu ni juger les responsables ni reconnaître leurs crimes», a-t-il expliqué.
A une question sur des poursuites judiciaires à l’encontre des instigateurs ou des auteurs de ce crime, l’historien a indiqué qu’elles «ne sont pas possibles», ajoutant que «ceux qui l’ont décidé comme ceux qui ont reçu l’ordre de le commettre sont probablement tous morts».
«En raison de l’amnistie consécutive aux Accords d’Evian, aucune des personnes encore en vie impliquées dans les crimes de la bataille d’Alger ne peut être poursuivie pour les avoir commis», a-t-il rappelé, indiquant que «ce qu’ils craignent et ce que craignent aussi les autorités françaises jusqu’à aujourd’hui, c’est qu’on dise la vérité sur leurs crimes».
Une pleine ouverture des archives est nécessaire en France
«Reconnaître la vérité sur tous les crimes commis par l’armée française pendant la guerre d’indépendance algérienne, laisser les historiens accéder librement aux archives pour établir les faits serait une œuvre utile pour la société française», a-t-il souhaité, regrettant que les autorités françaises «hésitent à reconnaître les faits ou à ouvrir véritablement les archives aux historiens tant que les personnes en cause n’ont pas toutes disparu».
«Le président Macron aura-t-il le courage de dire la vérité au pays ou de permettre que les historiens l’établissent ? Les dernières déclarations de Cédric Villani au journal L’Humanité laissent entendre qu’il va avoir ce courage», a estimé l’historien, soulignant que la reconnaissance officielle par l’Etat français de «toute la vérité» sur l’affaire Audin est une «étape essentielle dans un combat plus important encore : celui pour la reconnaissance officielle des responsabilités de l’armée française dans des milliers d’autres disparitions forcées et exécutions extrajudiciaires survenues pendant cette guerre, dont des familles ( ) sont toujours aujourd’hui en attente d’informations sur leur sort et sur les responsables de ces disparitions».
«Une pleine ouverture des archives est nécessaire en France. Si des fonds ne sont pas accessibles, ce n’est pas parce que leur volume rendrait difficile leur gestion. C’est par manque de volonté politique. Or, cela seul pourrait contrer le discours de la droite extrême qui se nourrit du mythe des “bienfaits de la colonisation”», a-t-il conclu.
R. I.
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