Rappel utile à l’attaché culturel de l’ambassade d’Iran à Alger
Par Al-Ahnif – L’attaché culturel n’est pas en droit de faire un procès posthume par procuration au défunt président Boumediene qui, quel que soit notre sentiment sur son action à la tête de l’Etat, aura façonné l’Algérie et y aura laissé une empreinte profonde, voire indélébile.
Thuriféraires et partisans peuvent se réclamer du droit d’inventaire concernant l’action et la personne du défunt Président. Ce droit d’inventaire ne concerne pas les Iraniens, et pas au même titre, même si l’on peut comprendre leur courroux de voir Anissa Boumediene apporter un soutien vocal et une visibilité à des opposants déterminés, mais surtout (hélas !) inscrits dans un agenda de changement de régime et d’affaiblissement des alliances issues du front du refus.
Un rappel historique opportun rappellera en ces temps d’amnésie collective aux uns et aux autres que le président Boumediene, averti du piège tendu, avait déployé toute son énergie et la compétence de la diplomatie algérienne pour éviter à l’Iran et à l’Irak d’entrer en collision frontale. Autre rappel pour signaler la perte irremplaçable de notre immense chef de la diplomatie Benyahia, décédé dans des circonstances obscures et toujours au service de la paix.
Benyahia, ce grand serviteur de l’Algérie, à la constitution si frêle et à la force de conviction si forte qui n’hésitait pas à tomber la veste et à accompagner quelques jeunes étudiants mus par l’impatience et l’inexpérience dans le premier café venu pour prolonger une discussion qui s’éternisait et se transformait en leçon du maître de la dialectique.
Au nom des alliances géopolitiques et géostratégiques, l’Iran, pays allié de la Russie, du Hezbollah et d’Al-Assad, et qui vient de défaire le sunnisme djihadiste et ses terroristes de laboratoire, peut être ulcéré des récupérations qui ne manqueraient pas d’être faites du fait de la présence de Anissa Boumediene et de ses prises de position publiques. Prise dans n’importe quel sens, cette affaire est gênante pour la diplomatie algérienne, mais la diplomatie iranienne doit acter qu’elle ne dispose plus de l’influence exercée du temps de Belkhadem. Et qu’un citoyen peut se forger une pensée autonome !
Maintenant, il faut accepter le fait que madame Anissa Boumediene ne peut être réduite à sa condition d’ex-compagne de feu le président Boumediene. Issue de la haute bourgeoise algéroise et l’une des premières juristes du pays, elle s’est imposé une discrétion si totale quand son mari était aux affaires que l’on continuait de penser que Boumediene n’était marié qu’à l’Algérie. Le combat de son épouse pour le droit des femmes est ancien et attesté, comme en écho au sien. Elle aura également beau rôle de rappeler que Boumediene, au même titre que Bourguiba, avait été un libérateur de la femme par l’accès à l’éducation et aux emplois. Partisan convaincu de l’émancipation de la femme, celle des villes et celle des champs, il a avancé sur ce chemin en dépit des oppositions, de la pensée rétrograde et des pesanteurs sociologiques de l’Algérie profonde.
En matière de liberté de conscience, malgré l’autoritarisme de son régime et de la marginalisation des opposants et des intellectuels, il arbitrait entre liberté individuelle et pression religieuse avec grand courage. Son discours de Lahore à la réunion des pays islamiques avait eu un écho sans pareil lorsqu’il énonçait qu’«il ne croyait que l’on pouvait aller au paradis le ventre creux». Seule l’aura révolutionnaire de l’Algérie de l’époque et son poids diplomatique lui auront évité profusion de fetwas et d’excommunications pour pensée hérétique.
Et en Algérie même, quitte à s’aliéner des soutiens, il affirmait sans ambages sa vision du droit de conscience en matière de croyance et de pratique religieuse. Formé dans les universités islamiques d’El-Zitouna et d’Al-Azhar, il rappelait souvent la règle cardinale de l’exégèse : «Pas de contrainte en religion», qu’il traduisait par «chacun est libre de fréquenter la mosquée ou le bar». Quel leader politique serait capable d’assumer aujourd’hui une telle position, synonyme de suicide politique ? Difficile exercice d’équilibre entre les pesanteurs sociologiques et les urgences de transformation inscrites au Congrès de la Soummam et portés par les idéaux révolutionnaires.
Madame Anissa Boumediene, à qui il est reproché son allure de femme occidentale et sa sophistication vestimentaire connotée, a plus apporté au rayonnement de la culture arabe et musulmane que l’ensemble de ses détracteurs. Traductrice de l’immense Al-Khansa (poétesse préférée du Messager de l’islam), elle fera connaître ses élégies à toute la francophonie, ce qui apporterait un éclairage important à la notion de sacrifice ultime. Ayant déjà perdu ses deux frères pour des histoires de code de l’honneur dans la société qureishi pré-islamiste, elle se refusera de pleurer la mort de Yazid, Muawiyah, Amr et Amrah, ses quatre fils tombés dans la bataille d’El-Qadisiyyah entre les contemporains du Prophète (saws) et les Sassanides perses. De cette hécatombe familiale, elle trouvera l’énergie d’écrire une élégie historique et qui valide le sacrifice ultime pour la gloire de Dieu : «Loué soit Allah (Alhamdoulillah) qui m’honore de leur martyr et j’ai foi en mon Seigneur de me réunir avec eux.» Combien de femmes anonymes algériennes et palestiniennes qui ont donné la chair de leur chair à une cause juste continuent sans le savoir de s’inscrire dans les pas de Tumadir Ben Amr dite El-Khansa ?
J’ai évidemment mes réserves sur l’action de Anissa Boumediene, surtout à une époque où la diabolisation de l’Iran figure dans les agendas médiatiques occidentaux, et on ne peut feindre d’ignorer l’identité de ceux qui ont juré la perte de ce pays. Il suffit de les lire et de les écouter. Ne soyons pas leurs alliés, même involontaires !
A l’instar du Sage de Marguerite Yourcenar, reconnaissons que nous sommes tous une part de l’Erreur, tous partagés, fragments, ombres, fantômes sans consistance… sinon celle de notre engagement. A chacun son Satan !
A A.
Comment (32)