Pourquoi la corruption est un problème
Par Christine Lagarde – Concrètement, la corruption affaiblit la capacité de l’Etat à faire son travail. Elle rabote les recettes dont il a besoin et pervertit les décisions budgétaires, car les autorités peuvent être tentées de favoriser les projets qui rapportent des pots-de-vin au détriment de ceux qui créent de la valeur économique et sociale. C’est mauvais pour la croissance comme pour les perspectives économiques. C’est mauvais pour l’équité et la justice, car les pauvres sont ceux qui souffrent le plus de la diminution des dépenses sociales et des sommes investies dans le développement durable. C’est également mauvais pour la stabilité économique, car des rentrées fiscales réduites, combinées à un usage dispendieux des deniers publics, constituent un mélange toxique qui dégénère facilement en déficits incontrôlables.
De manière plus générale, la corruption endémique peut fissurer les fondements d’une économie saine en dépréciant les normes sociales et en sapant les vertus civiques. Quand les riches ne paient pas leurs impôts, c’est l’ensemble du système qui perd en légitimité. Lorsque la tricherie est récompensée, lorsqu’il apparaît que les règles du jeu ne sont pas les mêmes pour les nantis, la confiance cède le pas au cynisme et la cohésion sociale se fragmente. Au pire, cela peut déboucher sur des dissensions et des conflits civils.
Si les fondations de votre maison sont «pourries» (autre sens du mot «corrompues»), comment bâtir une économie forte et soutenable ? C’est impossible.
C’est un phénomène particulièrement délétère pour la jeunesse. Quand la corruption est profondément enracinée, trop de jeunes n’entrevoient aucune perspective d’avenir, aucun but auquel aspirer ; impossible de participer à la vie sociale, de lui imprimer leur marque, de s’y épanouir ou d’y apporter leur contribution. Ils perdent toute motivation à faire des études, puisqu’ils savent que la réussite dépend des relations et non des capacités. Abandonnant leurs illusions, ils deviennent désengagés, désenchantés. Ils perdent espoir. La corruption empoisonne les âmes.
Il n’est donc pas surprenant que l’existence ou non d’une corruption endémique soit l’une des principales causes des écarts de bien-être entre les pays.
Rien d’étonnant non plus à ce que la lutte contre la corruption soit un élément central de la réussite des Objectifs de développement durable (ODD), en particulier l’objectif 16, qui appelle la communauté internationale à «promouvoir l’avènement de sociétés pacifiques et ouvertes à tous aux fins du développement durable, assurer l’accès de tous à la justice et mettre en place, à tous les niveaux, des institutions efficaces, responsables et ouvertes à tous». L’objectif 16 prévoit des buts spécifiques relatifs à la lutte contre la corruption, les pots-de-vin et les flux financiers illicites. Mais au-delà de cela, la réalisation de tous les autres ODD nécessitera au premier chef de s’attaquer à ce cancer corrosif qu’est la corruption. Je le répète, on ne construit pas une maison sur des fondations qui pourrissent.
S’attaquer à la corruption est particulièrement important dans le contexte actuel. Je pense ici à l’ampleur de l’évasion fiscale, illustrée récemment par de scandaleuses révélations, à la montée de la méfiance à l’égard des institutions traditionnelles, accusées de ne profiter qu’aux initiés et aux nantis, et à l’importance de s’attaquer en priorité à des problèmes tels que l’incertitude des perspectives d’emploi, l’augmentation des inégalités et l’intensification de la pression environnementale.
C. L.
Directrice générale du FMI
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