Contribution – Crise migratoire : ces réalités que l’Occident a perdu de vue
Par Al-Hanif – Regarder les bouleversements qui affectent notre région par le petit bout de la lorgnette et attribuer – à raison – l’aggravation de la situation sécuritaire au Sahel à la chute de Khadafi, au chaos qui s’en est suivi dans la région et à la dispersion des arsenaux, ne rend compte que d’une partie de la réalité.
Pour ceux qui s’étonnent de voir leur pays être transformé en terre d’immigration et d’y dénombrer une nombreuse présence de Subsahariens dans toutes les régions, il faut, à l’instar de l’universitaire algérien Ali Bensaâd, rappeler que la dynamique migratoire a toujours existé, même si ses effets étaient moins visibles, car cantonnés aux zones périphériques, et insérés dans un secteur d’activités informelles anciennes et rodées.
Ce qui est nouveau, c’est l’amplitude et la densification de ces mouvements migratoires en provenance du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, qui constituent des contraintes géopolitiques, des défis sécuritaires et poussent à la redéfinition de nos rapports avec nos voisins du Sud (entre solidarité et realpolitik).
Pris dans le temps court de l’urgence pour répondre aux nouveaux enjeux sociétaux et sécuritaires, nous avons oublié le temps long et traité la zone sahélienne comme un no man’s land uniquement livré aux organisations criminelles et terroristes (souvent deux en un, comme le fameux shampoing).
Obnubilés par l’instrumentalisation politique de la religion par ces groupes, ce qui les relient à des agendas politiques européens et internationaux, nous avons perdu de vue les failles et la fragilité intrinsèque de la région.
La réalité est structurante, et la réalité du Sahel, terme d’origine arabe désignant la bordure ou le littoral, est cette zone semi-aride qui s’étend géographiquement du Sénégal à l’Erythrée, bordurée par le Sahara, et qui en est venue à signifier en termes géopolitiques la zone qui inclut la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Tchad, et par extension une partie du Sénégal et du Burkina-Faso. Soit un ensemble plus vaste que la géographie de l’Europe.
Mauvaise gouvernance, Etats faillis et absence de cohésion nationale du fait du morcellement ethnique ont préparé les conditions du chaos, quand la responsabilité humaine était engagée.
Les aléas climatiques, les épisodes de sécheresse extrême et un déficit hydrique qui a eu raison de 90% des réserves du lac Tchad ont ravivé les querelles ancestrales entre nomades et sédentaires et imposé une fragilité structurelle qui n’attendait que les pyromanes pour attiser un immense brasier.
L’insécurité alimentaire est devenue la règle pour la majorité de la population impliquée dans une agriculture de subsistance, et le réchauffement climatique un cauchemar pour les 84% d’agriculteurs du Niger, des 76% de ceux du Mali et des 68% de ceux du Tchad.
Couplée à une forte explosion démographique, chaque bouche à nourrir devient fardeau et chaque désespéré candidat à l’exil.
Cette réalité socioéconomique glaçante aide à pourvoir recrues pour les basses besognes, petites mains pour les trafics en tous genres, dans un jeu de rôle mortifère qui distribue proies ou prédateurs.
Des passeurs, complices assumés, signalent aux bourreaux esclavagistes les victimes à terroriser pour faire payer les familles. Et ils jouent même les intermédiaires dans les négociations, au vu et au su de tout le monde.
Oui, la situation au Sahel est préoccupante, et c’est pour cela que nous nous rangeons sans hésitation ni arrière-pensée derrière le rempart de notre armée et traitons la pseudo-opposition des réseaux sociaux comme gesticulation manipulée et irritation provoquée par l’impuissance à nous déstabiliser.
Conflits régionaux, corruptions des élites et appétits des puissances étrangères campent le décor sahélien et tirent argument de «la menace islamiste», quand des secteurs géographiques immenses ont prospéré sur le vide politique.
La réalité mondialisée des trafics et la soif du profit par accumulation primitive des capitaux font du Sahel «the place to be» dans des confrontations faussement asymétriques et qui relèvent des mêmes agendas.
Oui, il ne faut pas être naïf et s’inscrire dans le temps long de l’histoire pour comprendre que des solidarités ethnico-claniques forgées par les siècles, l’opposition millénaire entre nomades et sédentaires, et l’incapacité des Etats sahéliens à garantir leur propre présence sécuritaire créent un vacuum, foyer de toutes les instabilités et instrumentalisations.
Et encore moins crédule pour savoir que les anciennes puissances coloniales n’entendent pas quitter le pré carré, et les multinationales type Bolloré la source de leur enrichissement.
La matrice idéologique djihadiste a planté profond ses racines.
Dans la Mauritanie voisine, le livre du journaliste Lemine Ould M. Salem (L’histoire secrète du djihad) nous apprend que Abu Hafs El-Mauritani, numéro trois dans l’organigramme du groupe islamiste mis en place par la CIA en Afghanistan, en sa qualité de mufti, coule des jours heureux dans son pays.
Nous lui devons la destruction d’un trésor de l’humanité, les fameux bouddhas Bamiyan en mars 2001, quand il a encouragé le mollah Omar à les pulvériser et d’entamer un génocide culturel, répliqué en Irak, à Palmyre et à Tombouctou.
Chez nous, un clone, non échappé de ce conditionnement, s’en serait pris à une statue qui sert de repère mémoriel aux Sétifiens.
Le G5 n’est que la traduction de l’incapacité des Etats sahéliens à garantir une présence sécuritaire et la réaffirmation de ses prérogatives régaliennes.
Dans cette région aux nombreuses fragilités, chaque nouvel épisode climatique extrême s’accompagne d’un cortège de malheurs, et les ressources, lorsqu’elles ne sont pas pillées, ne sont pas disponibles pour être investies dans l’éducation et la santé. Ce nexus de vulnérabilité structurelle illustre par contraste la grandeur de notre pays, qui, au-delà des épreuves, a maintenu cohésion sociale et intégrité territoriale.
Que des «élites» parmi lesquelles se comptent médecins et enseignants puissent songer à le fragiliser me dépasse.
Ne vivant pas les réalités du pays depuis longtemps, je m’abstiendrai de nier les problèmes du quotidien et conviendrais facilement de leur réalité.
Mais appartenant à la génération du service national militaire d’une durée de deux ans, et sachant que cela impliquait souvent de surseoir à tous ses projets, je crois que nous n’avons jamais remis en question cette preuve d’amour donnée au pays.
Et c’est à ce titre que nous pouvons être partie prenante du débat.
Pour en revenir au Sahel, je ne crois pas en l’efficacité des aides militaires et aides au développement qui passent à côté d’une mortalité infantile record de plus de 3,5%, d’un faible accès à la santé et à l’éducation, du pillage des ressources minières par les multinationales…
Une nouvelle mode vise à donner en exemple les présidents de Côte d’Ivoire, du Sénégal et du Mali comme les bons élèves du catéchisme libéral, en mettant l’accent sur leurs fortunes personnelles et leurs réussites pour souligner leur proximité avec l’Occident et la francophonie.
Dans ce concert de louanges, je vois déficit de bonne gouvernance et désir de laisser énergies forestières, fossiles et minières aux mains d’intérêts qui offriront la protection militaire.
Cette classe de personnel politique encensée par l’Occident pose plus généralement celui des élites «yaka», qui ne peuvent plus penser le réel et reproduisent les formes les plus perverses du néocolonialisme.
Le Mali, présenté comme modèle démocratique en raison d’une perception uniquement liée à la tenue d’élections et au respect des échéances électorales, a connu coup d’Etat militaire et une tentative d’éradication de ses structures politiques par une menace fumeuse de quelques milliers d’hommes en Toyota.
Le réel avait été soigneusement occulté pour ne pas parler de pays sous coupe réglée des kleptocrates qui n’avaient comme fonction que d’alimenter les économies occidentales en minerai (principale source de devises).
La stratégie de négliger le Nord, d’y coopter des seigneurs de guerre au gré des alliances, assurés de remporter toutes les élections, car la majorité des électeurs se trouvaient au Sud, avait anesthésié le sens commun et fait oublier les révoltes touareg de 1962, 1992 et 2012.
L’effet domino de la déstabilisation, qui fait du Sahel une zone de tous les dangers, n’a pas commencé avec l’élimination de Kadhafi, présenté longtemps comme digue de stabilisation. Tout a commencé avec le Biafra, riche région pétrolière qu’on voulait arracher au Nigeria, et s’est poursuivi avec l’offensive contre le Soudan pour promouvoir un Darfour chrétien indépendant qui a depuis basculé dans l’horreur et vient rejoindre la dynamique migratoire entrée dans une problématique de l’accélération de l’histoire.
George Cloney aura été la tête de proue médiatique de ce projet.
Qui vivra verra ! «Break Africa what else !»
Il se fait plus discret depuis que des contingents de migrants de cette région, et qui relèvent du droit d’asile, sont déportés d’Israël vers le Rwanda, le Kenya et l’Ouganda, car «ils représentaient un danger pour la nature juive de l’Etat» (dixit la ministre de la Justice de l’Etat hébreu).
On aimerait l’entendre s’exprimer sur la question, sur cette forme d’épuration ethnique qui ne dit pas son nom, lui si disert et à qui on prête des ambitions pour se présenter contre Trump.
Qui vivra verra !
A.-H.
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