Les produits intellectuels subversifs à l’assaut de l’Algérie
Par Youcef Benzatat – En tant que contributeur à un quotidien de l’ouest du pays, depuis plusieurs années, j’ai rarement été censuré et le peu de fois que cela m’est arrivé, c’était par ce que j’ai critiqué ouvertement la véritable nature du régime algérien, en le qualifiant de dictature, sans l’accord de laquelle aucune investiture n’est possible, ni aucun acte de corruption n’est accompli dans l’impunité, voire aucune décision d’(in) justice n’est prise. Une vérité que tout le monde admet tout bas et n’ose afficher publiquement, que ce soit par manque de courage ou pour préserver des d’intérêts domestiques. Parfois aussi, j’ai été censuré pour avoir critiqué ouvertement l’hypocrisie ambiante d’une élite qui affiche publiquement sa foi en la religion, alors que, dans le privé, cette même élite en fait une fierté de sa non-croyance. Ce sont, en effet, les tabous les plus censurés par tous les médias algériens, publics ou privés.
A cela, il faudra rajouter la censure des articles qui traitent de l’homosexualité, qui est presque refoulée inconsciemment par les journalistes, tellement la société est réfractaire à ce comportement sexuel et en parler fait courir le risque pour son auteur d’être lui-même traité d’homosexuel, ce qui est perçu en soi comme une humiliation majeure. Parler dans ce cas de liberté de la presse en Algérie, c’est se moquer de la déontologie de la profession. En fait, c’est trois tabous, qui répriment la liberté politique, religieuse et sexuelle, par leur censure, donc la répression de l’essence même de la liberté, sont de ce fait une négation même de la liberté de la presse.
Ce qui est valable pour la presse l’est tout autant pour toute autre forme de fait social, politique ou religieux dans la société. L’abus de langage pousse l’esbroufe jusqu’au ridicule, où l’on vous assène au quotidien, impudiquement, que l’Algérie est un pays démocratique où la presse est libre et que la police observe les droits de l’Homme du prévenu, parfois même beaucoup mieux que dans les grandes démocraties. Pour faire vraisemblable, on légitime la fraude électorale, les bastonnades aveugles par des dépassements propres à toutes les démocraties, et l’autocensure des médias est une rigueur dictée par la déontologie de la profession.
Cependant, un fait nouveau est venu se rajouter à cette forme structurelle de censure, où il ne s’agit plus de censurer un écrit mais de masquer le nom de son auteur, tout en acceptant de publier son texte. Ce fut le cas de mon article «Tariq Ramadan paye son courage intellectuel», qui fut publié dans le quotidien en question dans la rubrique «Opinion», le mercredi 28 février 2018, en se contentant d’indiquer par les initiales Y. B. (Youcef Benzatat) à la place du nom de l’auteur.
Pour comprendre la genèse de cette nouvelle forme de censure, il faudra remonter à mes écrits critiques et sans concession sur la posture de Kamel Daoud face au problème palestinien et celui de la mémoire coloniale, que je résume en une aliénation dans la stratégie de fabrication d’intellectuels subversifs afin de leur instrumentalisation au profit de la négation des motivations profondes de la géopolitique contemporaine : la poursuite de la colonisation de la Palestine pour ouvrir la voie à une normalisation de la néocolonisation des pays vulnérables qui regorgent de richesses naturelles, par ces mêmes fabricants d’intellectuels subversifs.
Sachant que Kamel Daoud est un produit de ce quotidien, qu’il occupait depuis longtemps un poste de rédacteur en chef, à qui une nouvelle rubrique lui a été consacrée sur ses colonnes, il apparaît en toute évidence que cette nouvelle forme de censure y est étroitement liée. Car on n’inscrit pas les initiales d’un auteur sur un article et le nom entier sur tous les autres dans le même numéro ! Dans ce cas, Kamel Daoud vient de commettre une énième imposture, en se réfugiant dans une posture de victimisation, d’avoir été mis sur le banc public, alors que c’est plutôt lui-même qui use de cette faiblesse, à défaut d’affronter le débat public en toute sincérité et en toute transparence. En ordonnant de mettre mon identité sur le banc public, tout en acceptant de publier mon texte.
Mais cela avait commencé bien avant, en m’ayant déjà bloqué auparavant sur sa page Facebook, «Chroniques algériennes», pour avoir critiqué un texte qu’il avait publié sur cette chronique, dans lequel il considérait que «l’impérialisme était passé de mode», au moment où ce dernier redoublait de férocité et s’acharnait à détruire tout le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord pour le pillage de leurs richesses et leur soumission politique. Après tout, ce n’était qu’un débat et il aurait été plus honnête intellectuellement d’en débattre publiquement que de bloquer l’accès à sa page Facebook à son interlocuteur, pour finir par gommer son nom jusque dans la signature de ses articles !
Qu’il en soit directement l’auteur de cette mise au banc public, ou bien le principal mobile qui l’a motivée à la rédaction de ce quotidien, probablement par solidarité à un collègue, ou pour tout autre mobile, cette nouvelle forme de censure nous plonge dans une situation clanique qui traduit une dérive de plus et une aggravation de l’esprit de chapelle, pour ne pas dire de bourg, qui caractérise déjà le monde des médias et de l’édition en Algérie depuis la fin du monopole de l’Etat sur ce secteur.
Sommes-nous déjà à ce point infestés par cette stratégie de l’empire, au point que le lâcher des intellectuels subversifs qu’ils ont fabriqués sont en train de neutraliser la médiatisation du débat intellectuel, par l’atomisation des médias en chapelles fermées ?
A ce propos, le bruit court déjà que le mouvement Barakat, produit d’une chapelle médiatique, idéologique et régionaliste, s’apprête à une nouvelle offensive subversive de déstabilisation et de mise en danger de l’unité nationale et de l’intégrité territoriale.
Y. B.
Mise au point de Kamel Daoud :
Je vous remercie pour votre intérêt. Je ne travaille pas au sein de la rédaction du journal cité, mais j’y suis seulement chroniqueur hebdomadaire. Les décisions prises par la rédaction ne sont pas les miennes et je n’y décide de rien, et encore moins des signatures. Il faudrait prendre contact avec le journal. Je ne suis pas, par ailleurs, lié, ni de près ni de loin à la page «Chroniques algériennes». Je ne connais pas ses auteurs.
Bien à vous.
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