Une contribution d’Al-Hanif – Pierre et le loup et le message subliminal
La cellule communication de l’Elysée a installé une attente insoutenable autour de l’événement. Le jeune Président jupitérien, qui marcherait sur l’eau comme les prophètes antiques et se promettait d’accoucher d’une nouvelle France, débarrassée de ses blocages, allait se faire récitant d’un conte musical.
Le titre en était Pierre et le Loup de Prokofief et j’en connaissais une lecture par l’ineffable Fernandel, toute mâtinée d’accent provençal. Le loup, figure mythique et protéiforme de la menace surgie de la profondeur des forêts, allait-il attenter à l’innocence de l’enfant ? Surgie des recoins reptiliens du cerveau, me revient une réplique apprise il y a fort longtemps : «Si le loup sortait de la forêt, que ferais-tu ?» demandait le grand-père, inquiet, à son petit-fils Pierre.
Fort heureusement pour lui, le petit Pierre (en proto Sidna Youssef) surpassait en intelligence et en ruse tous les adultes, grand-père et chasseurs compris et lancés à la poursuite du loup. Prenant acte que la peur n’évitait pas le danger, il le confronta et captura le canidé à l’aide d’une corde au nœud coulant, qui accentuait son emprise à chaque fois que le loup se débattait pour sortir du piège.
Contrairement à Néron, au pouce facilement tourné vers le bas pour signifier la sentence de mort, l’enfant s’opposa à la mise à mort du loup, et recommanda aux chasseurs (primaires régis par un code instinctuel proche de l’animalité !) de lui garder la vie sauve dans un… jardin zoologique. Sous contrôle.
Le «teasing» nous avait appris, à dose homéopathique et touches aussi allusives que redondantes, que le jeune Président aux faux airs de Kennedy allait endosser le costume du récitant de ce conte moral, lors d’un concert donné au profit des enfants malades lors d’un événement, appelé les Jeudis de l’Elysée et programmé pour devenir mensuel.
L’amour du théâtre du jeune néomonarque qui a éclos sur les planches d’un théâtre de lycée provincial – sous la direction d’une enseignante devenue épouse – s’accompagne de celui de la musique qui conjugue des goûts aussi éclectiques que Prokofief et Johnny Halliday. Cet amour est irrésistible et nous rappelle que le monde entier est un théâtre, scène vers laquelle tous se ruent car elle est espace qui comprime un concentré de vie tel que l’on le rêve.
Shakespeare, la plume de son siècle et celle de tous les siècles, nous avertissait déjà de l’absence de certitudes, du pouvoir des illusions et des rôles que chacun d’entre nous est amené à jouer dans cette comédie humaine qu’est l’existence : «Le monde entier est un théâtre
Et les hommes et les femmes seulement
Des acteurs ;
ils ont leurs entrées et leurs sorties
Et un homme dans le cours de sa vie joue
différents rôles.»
Le couple Brigitte-Emmanuel Macron a fait du pays une énorme scène de théâtre mais leur amour de la culture et des enfants n’est pas feint. Quelle que soit la tentation d’émuler le Roi Soleil et de faire tourner cet astre autour de son propre agenda politique, on ne peut leur dénier cette pulsion de transmettre et cette passion des livres et de la culture.
Emmanuel est aussi le Pierre du conte, l’homme-enfant de la situation qui prend la meilleure des décisions pour conjurer le danger et continuer à montrer de la compassion. Celui qui a l’intelligence de lire les situations pour leur apporter la meilleure des réponses et prouver que la prédestination remplace l’expérience et la force des habitudes. Pierre est nouveau sang et nouvelles cognitions et sur cette pierre sera bâti le nouveau monde qui annonce la fin de l’ancien.
Le choix de ce conte m’avait intrigué avant que je ne réalise qu’il s’agissait d’un auto-portrait. On y retrouvait la figure du sauveur dont la valeur n’attend pas le nombre des années. Le Pierre du conte brise le plafond de verre des conseils du grand-père, devenus inopérants devant le surgissement du danger. Le petit Pierre est oracle et Messie, doté des qualités de courage, de force de caractère de malice et de précocité.
Macron n’a pas d’enfants biologiques, et il a fait siens les enfants de toute la France à qui il demande admiration pour les premiers de cordée et compassion pour les enfants malades, dans une métaphore politique d’une société compétitive à forger en démantelant toutes les barrières culturelles mais qui resterait solidaire pour ceux dans la difficulté. Passer à côté de ce message, c’est louper plusieurs marches !
Des images faussement non professionnelles ont émergé mais on n’entendra pas le Président récitant. Le Président veut rester «authentique» et ne se devoir qu’à son public, en préemptant l’accusation du mélange des genres et les critiques de ceux qui y verraient une faille dans la verticalité assumée.
Macron n’a pas fabriqué le scénario du conte musical ; il l’a scénarisé en jouant avec tous les codes de la communication politique et de la société du spectacle. Est-il encore dans l’économie narcissique de la représentation ? Le refoulé est un dédale de nœuds faits d’enfouissements et de surgissements qui fusionne avec la communication politique pour camper la représentation sociale.
Obama, le président supposé être post-racial, fut un maître du genre. Si l’on tendait l’oreille, on pourrait se laisser persuader d’avoir entendu Macron ou un de ses personnages murmurer : «L’Etat, c’est Moi.» Mais on n’en jurerait pas car on croirait entendre en même temps (expression fétiche) : je suis comme vous, je suis vous, distant et proche, jamais loin du monde de l’enfance. En cela, il n’a pas tort car l’Enfant est le père de l’Homme !
A.-H.
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