Daech-Aqmi-Boko Haram : nouveau défi stratégique pour l’Algérie
Par Dr Arab Kennouche – Le conflit de basse intensité, comme diraient certains spécialistes, qui se déroule actuellement sur un territoire aussi vaste que l’Europe au sud de l’Algérie entre des groupes islamistes affiliés à Al-Qaïda et les forces françaises positionnées prend la tournure d’une prétendue guerre directe entre l’Occident et l’islam radical. L’attentat de Ougadougou du vendredi 2 mars visant l’ambassade de France aura été fatal, une fois de plus, pour le peuple burkinabè et vient comme un tir de semonce supplémentaire contre le pouvoir politique français dirigé par Macron.
Cependant, contrairement à une idée faussement répandue par les médias occidentaux suite, notamment, à l’attentat du 11 septembre 2001 et aux successives invasions de pays pétroliers, il n’existe pas de front uni de l’islam radical qui serait en lutte contre l’Occident. Tout au plus, les groupes radicaux se réclamant de la lutte armée contre un certain Occident s’entredéchirent et se livrent une bataille pour un leadership toujours éphémère. En Syrie même, les groupes anciennement affiliés à Ben Laden et Al-Zawahri ont rencontré une vive résistance armée de la part de l’ancien Etat Islamique, devenu par acronyme Daech, et dirigé par Al-Baghdadi. Sur le théâtre syrien, on a très vite observé la propension des groupes radicaux à s’autodétruire selon telle ou telle allégeance, généralement dictée par une interprétation diverse de la notion de djihad, et selon le plus offrant des commanditaires.
Dans le Sahel africain, il est évident que la fragmentation extrême des groupes islamistes entre les affidés d’Al-Qaïda et ceux de Daech est une forme préparatoire à un embrasement généralisé qui vise essentiellement le flanc sud de la grande Algérie. La jonction des groupes défaits de Daech en Syrie avec ceux de l’AQMI, ex-GSPC, et leur transfert progressif vers la Libye, puis au Sahel ne risque pas de s’opérer sans de profondes divergences idéologiques et donc stratégiques qui, finalement, serviront à créer un nouveau désordre contrôlé en Afrique. On ne peut s’attendre non plus à la formation d’un axe Boko Haram-Daech-Aqmi tellement les clivages sont profonds entre des groupes terroristes qui répondent à un agenda tactique de mercenariat mercantile, aux ramifications étatiques diverses, sans grand rapport avec les principes même d’une guerre révolutionnaire et d’un front unifié. Mais de même que les guerres intestines en Syrie entre les groupes d’Al-Nosra et ceux de l’Etat Islamique au Levant n’ont eu pour effet que d’alimenter la tension sur l’armée syrienne, il est certain que l’objectif des stratèges occidentaux qui les manipulent vise essentiellement à étendre l’incendie au-delà du Sahel, en Algérie.
Le Sahel est, à lui seul, une vaste région sous le contrôle politique de la France. Mauritanie, Mali, Niger, Tchad forment une ceinture imprenable de par ses dimensions sur le flanc Sud algérien, que la France maintient dans son orbite politique et militaire depuis fort longtemps. L’interventionnisme français dans cette région ne date pas d’hier, et est fort de ses nombreuses bases militaires mais il faut souligner qu’il a changé de nature, et c’est le point essentiel. Alors que du temps du gaullisme panafricain, il visait à conserver cette partie de l’Afrique dans le giron de la France, il est désormais acquis depuis la destruction programmée de la Libye et la nouvelle doctrine de politique extérieure établie par Sarkozy que l’interventionnisme français n’est plus gaullien dans l’esprit mais bien nourri des nouveaux principes de l’OTAN, de guerre contre la terreur, War against terror.
La différence est de taille pour l’Algérie. Dans ce contexte hyper-agressif, de guerre de pré-positionnement active, dont l’islamisme radical n’est qu’un cheval de bataille, il incombe à l’Algérie de réévaluer la menace terroriste, non plus uniquement comme une atteinte à la sécurité nationale mais dans un contexte de géopolitique globale qui appelle à un renforcement des moyens stratégiques ; autrement dit, répondre à un conflit de basse intensité par une menace de haute intensité. La Russie de Vladimir Poutine ne s’y est pas trompée à ce sujet et, encore récemment, elle a clairement démontré qu’il ne tergiverserait pas sur l’emploi des moyens militaires de destruction massive si son pays venait à ne plus supporter le poids d’une guerre subversive hautement volatile, comme celle des groupes islamistes qui rongent chaque jour des pans de sécurité territoriale. On peut tuer une baleine avec quelques gouttes de poison.
L’Iran non plus ne s’y est pas trompé, en engageant des moyens colossaux dans la réalisation d’un espace vital infranchissable, une sorte de forteresse destinée à sanctuariser le pays. Sanctuarisation qui, cependant, ne signifie par retour défensif sur soi-même mais recherche d’un espace élargi de sécurité, avec, au centre de cet espace, une zone impénétrable, de haute sécurité, aux moyens de destruction massive. Quant à la Corée du Nord, il est évident qu’elle ne peut qu’élargir ses capacités de frappes nucléaires au territoire américain, sans quoi son organisation politique viendrait à disparaître.
Répondre par des moyens subversifs à une guerre larvée de subversion constituerait l’erreur fatale que l’ANP ne doit pas commettre. Sur un plan conventionnel, l’Algérie n’aurait aucune chance contre la vaste armada de l’OTAN. Sans une recherche effective d’un support non conventionnel, l’Algérie se verrait entraîner chaque jour plus dans une lutte antiterroriste sans fin, ni dans le temps ni dans l’espace, un cancer dévastateur. La Russie, après avoir mâté la révolte wahhabite en Tchétchénie, a bien fait savoir que son encerclement actuel constitue un coût stratégique supplémentaire pour les forces de l’OTAN. Il est évident que pour l’Algérie, parvenir à tel niveau de parité semble encore bien loin.
Il est cependant acquis qu’une nouvelle doctrine militaire doit naître en Algérie contre l’ancien dogme du non-interventionnisme issu des principes de la décolonisation et d’un ordre international qui n’existe plus. L’exemple libyen a pris de court les stratèges algériens, n’ayant jamais perçu avec précision l’expansion des forces de l’OTAN. Les guerres islamistes de Libye, du Sahel et du Levant sont un vaste manège qui nécessite une lecture géostratégique encore plus profonde que du temps de la bipolarité, où les Etats pouvaient bénéficier d’une certaine protection juridique et d’un certain hermétisme des frontières par l’absence de mondialisation des acteurs.
L’urgence d’une transformation radicale de la doctrine militaire algérienne n’est donc pas une simple vue de l’esprit mais un impératif dicté par un contexte insidieux d’effritement des Etats pris dans le piège du respect des proportions dans la riposte armée. Il ne s’agit pas pour l’Algérie de se faire piéger sur des territoires qui ne relèvent pas de sa souveraineté nationale, même sous couvert de légalité internationale, mais de rechercher une véritable sanctuarisation de son espace vital par une avancée qualitative en termes de parité stratégique qui ne laisserait aucun doute à l’adversaire, sur ses capacités de destruction massive sur un espace globalisé. La lutte contre le terrorisme international, la fameuse War on Terror, se présente donc comme un leurre au bénéfice des puissances du capitalisme international et de la volonté otanienne de reconquérir les peuples.
Comment donc l’Algérie, avec un président en incapacité de mener le pays, et vivant dans un temps diplomatique suranné, se propose-t-elle de répondre à cette menace grandissante sur sa sécurité nationale la condamnant à abandonner sa vieille doctrine défensive ?
A. K.
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