Elections européennes : le Vieux Continent se replie sur lui-même
De Paris, Mrizek Sahraoui – Les élections législatives et sénatoriales italiennes, organisées dimanche 4 mars, ont donné une large majorité aux partis antisystème, d’extrême droite et eurosceptiques, plongeant l’Italie dans un avenir incertain. Les résultats n’ont pas permis de dégager une nette majorité (au moins 40%) pour un camp ou un autre lui permettant de former un gouvernement.
Avec plus de 30% des suffrages, le Mouvement 5 étoiles (M5S) de Luigi Di Maio, 31 ans, souvent moqué pour son CV très mince et ses fautes de grammaire, au slogan «ni droite ni gauche», prônant un «dégagisme» des partis traditionnels complètement laminés, est la première force politique en Italie. En dépit de son inexpérience, cette percée historique le rend désormais incontournable sur l’échiquier politique italien, voire dans la formation du gouvernement, même si Luigi Di Maio a exclu toute alliance au lendemain du scrutin.
La coalition de droite-extrême droite de Silvio Berlusconi devrait être créditée de 30 à 40% des suffrages, selon des résultats encore partiels. Matteo Renzi – il y a peu enfant terrible de la politique italienne – est poussé vers la sortie. En effet, la coalition de centre gauche conduite par le Parti démocrate n’a récolté que 23% des votes.
Si, toutefois, tous les partis d’extrême droite, eurosceptiques et «dégagistes» se mettaient à table et trouvaient un accord, alors l’Union européenne, qui a suivi avec une attention particulière ce scrutin, aurait de quoi s’alarmer. L’heure n’est pas au scénario catastrophe, mais émettre l’idée, qui pourrait se réaliser très rapidement, d’une Europe déviée de son objectif initial, celui voulu par les pères de l’Europe, Robert Schuman, Jean Monnet, Konrad Adenauer et autres, à la tête de laquelle serait portée par la voie démocratique l’extrême droite n’est pas farfelu.
Une Europe recroquevillée, dominée par les nationalistes et les eurosceptiques, est d’autant plus envisageable à la lumière des différentes consultations électorales organisées jusqu’ici – en France, au Royaume-Uni, en Allemagne, Autriche, Pologne, Hongrie et dimanche 4 mars en Italie – que les conséquences risquent même d’être irréversibles. L’on serait passé alors de la construction d’une Europe comme un ensemble socioéconomique et culturel ouvert au monde à une entité hétéroclite repliée dont le seul dénominateur commun est le rejet de l’étranger de tout le continent et de Bruxelles – siège de l’Union européenne. Un vaste espace divisé en communautés nationales nourries, en réalité, de haine presque amicale. Il faut savoir que l’Européen du Nord déteste celui du Sud, décrit comme un fainéant écornifleur ; l’Européen de l’Ouest abhorre son voisin de l’Est, jugé sans valeurs communes hormis (sa) position géographique.
La poussée des mouvements nationalistes se voit partout, aidés dans l’œuvre de leur construction par un certain nombre de facteurs déterminants. Le chômage, la crainte de l’avenir, l’entre-soi et la faillite des élites, l’incapacité des dirigeants à trouver les solutions adéquates aux préoccupations des peuples, la corruption politique, la menace terroriste ont achevé de façonner la pensée des Européens, qui trouvent dans l’étranger, le migrant ou encore l’islam les parfaits boucs émissaires pour endosser la responsabilité de la faillite du système, celui sur lequel sont concentrées les attaques et à base duquel est construit le discours des partis d’extrême droite nationalistes et xénophobes.
Dans l’Europe du XXIe siècle, la parole raciste décomplexée n’est plus l’apanage d’une poignée de nostalgiques des temps anciens. Elle est aussi celle du citoyen lambda, allant de l’ouvrier qui peine à boucler ses fins de mois à l’intellectuel en passant par le cadre moyen avec une situation socioprofessionnelle aisée, ou encore les forces de l’ordre, policiers et gendarmes, dont près de 50%, selon un sondage, ont exprimé leur choix en faveur du Front national lors de la présidentielle française de mai 2017.
M. S.
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