La IIe République
Par Rabah Toubal – Revendiquée avec plus ou moins d’arguments convaincants et parfois avec une légèreté aux forts relents populistes, la IIe République, chère à Hocine Aït Ahmed, est paradoxalement en train de voir le jour sous l’ère de Abdelaziz Bouteflika.
En effet, après vingt ans de règne absolu, que reste-t-il aujourd’hui de la République algérienne démocratique et populaire, dont Bouteflika est l’un des pères fondateurs, instaurée en 1962 conformément à la «République sociale» annoncée par la Proclamation du 1er Novembre 1954 ? En vérité, très peu de choses, surtout sur les plans économique et social.
La plupart des entreprises économiques nationales et locales ont été cédées, parfois au dinar symbolique, à des amis algériens ou étrangers. Et les acquis sociaux – dont deux ou trois produits alimentaires encore subventionnés par l’Etat – sont devenus des coquilles vides qui ont perdu, les uns après les autres, tout attrait pour les citoyens de plus en plus désabusés, confrontés à la réalité des prix et nombreux à débourser de l’argent afin de bénéficier d’une supposée meilleure qualité de produits ou de services chez le privé, qui a pratiquement investi tous les secteurs.
La république sociale est morte, vive la république libérale !
A doses homéopathiques, le président Bouteflika a euthanasié la république sociale au profit de sa IIe République d’essence libérale, soutenue par un arsenal de textes législatifs et réglementaires adoptés et promulgués par un Parlement non indépendant et un Exécutif chargé de mettre en pratique un programme qui lui est dicté d’en haut.
Il est vrai que le Président a été aidé par un concours de circonstances favorables exceptionnel, comme l’augmentation vertigineuse des prix des hydrocarbures (qui constituent plus de 98% des exportations algériennes) dans les années 2005, laquelle a permis à notre pays de racheter la quasi-totalité de sa dette extérieure, de lancer d’importants projets structurants et à l’Etat algérien d’acheter une paix sociale, notamment avec la construction de centaines de milliers de logements sociaux. Une période durant laquelle la transition entre la première et la IIe République a eu lieu sans heurts majeurs ou dramatiques.
En tout état de cause, les accusations de gabegie, de mauvaise gouvernance, de corruption généralisée et autres fléaux et maux sociaux qui minent l’économie et la société algériennes vont certainement s’atténuer, voire se dissiper avec le temps, au fur et à mesure que les grands bénéficiaires de la manne pétrolière et de l’opulence financière qui en a découlé améliorent la gestion de leurs entreprises et rompent le lien ombilical avec l’administration, afin de ne pas continuer à profiter impunément et injustement de la générosité de l’Etat algérien.
Comme l’a si bien dit un homme d’affaires, qui est une figure emblématique de la nouvelle république : «On nous reproche d’avoir profité de la bahbouha (aisance financière). De toute façon, si ce n’étaient pas des Algériens, ce seraient des étrangers qui auraient pris cet argent et sans rien construire en Algérie.»
Après l’ouverture démocratique de 1989, revendiquée par le peuple après les douloureux événements d’Octobre 1988, le pouvoir s’approprie et met lui-même en œuvre des revendications de l’opposition pour en tirer les meilleurs profits pour assurer sa pérennité.
A chacun sa IIe République.
R. T.
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