L’ex-président sud-africain Jacob Zuma renvoyé au tribunal pour corruption
L’ancien et très controversé président sud-africain Jacob Zuma, qui a démissionné il y a un mois sous la pression de son parti, sera jugé devant un tribunal dans une affaire de corruption vieille de près de vingt ans, a annoncé vendredi le parquet.
«Après examen de l’affaire, il y a des chances raisonnables de poursuivre avec succès M. Zuma», a annoncé le procureur général du pays, Shaun Abrahams, devant la presse. «Un procès me semble la voie la plus adéquate pour régler cette affaire», a poursuivi M. Abrahams.
M. Zuma, qui est accusé de corruption et de fraude, est soupçonné d’avoir accepté des pots-de-vin de la société française d’armement et d’électronique Thales, en marge d’un contrat de près de 4 milliards d’euros signé en 1999. Le parquet général a précisé que la filiale locale de l’industriel serait poursuivie en même temps que l’ancien chef de l’Etat. «Quand Zuma comparaîtra, ils comparaîtront également», a déclaré à l’AFP son porte-parole, Luvuyo Mfaku.
M. Abrahams a précisé avoir notifié ces charges à l’ancien chef de l’Etat, qui a «nié toutes les accusations portées contre lui».
M Zuma, qui n’a pas réagi publiquement, peut encore faire appel de cette décision, une procédure qui retarderait de plusieurs mois son probable procès. Thales s’est de son côté refusé à tout commentaire. Cette affaire menace M. Zuma et tient en haleine l’Afrique du Sud depuis de nombreuses années.
Ce dernier rebondissement intervient un mois après la démission de Jacob Zuma de la présidence du pays, le 14 février, à l’issue d’un bras de fer avec le nouveau chef du Congrès national africain (ANC) au pouvoir, Cyril Ramaphosa. M. Ramaphosa, qui a fait de la lutte contre la corruption une de ses priorités, a succédé à M. Zuma à la tête du pays.
Dans l’affaire Thales, l’ancien chef de l’Etat est soupçonné d’avoir perçu des commissions de la part de deux filiales sud-africaines du groupe français, versées sur son compte par son conseiller financier de l’époque, Schabir Shaik. M. Shaik a été condamné à quinze ans de prison en 2005.
Ce dossier a très vite pris un tour très politique. Dès 2005, le président Thabo Mbeki s’en saisit pour limoger son rival Jacob Zuma, à l’époque son vice-président, inculpé peu de temps après de corruption. Ces poursuites sont annulées une première fois par la justice, faute de preuves. M. Zuma prend alors sa revanche politique fin 2007 en raflant la présidence de l’ANC à M. Mbeki. Mais il est à nouveau inculpé dans cette affaire, dix jours plus tard. Beaucoup enterrent alors ses ambitions présidentielles. Jusqu’à ce que, nouveau coup de théâtre, un juge décide en 2008 d’invalider, pour vice de forme, son inculpation.
Quelques mois plus tard, Jacob Zuma est élu chef de l’Etat. L’affaire semble alors définitivement enterrée. C’est compter sans la hargne du principal parti d’opposition, l’Alliance démocratique (DA), qui réussit, avec des enregistrements téléphoniques, à prouver la réalité de pressions politiques sur les magistrats en charge de l’affaire.
En avril 2016, coup de théâtre, un tribunal de Pretoria ordonne le rétablissement des charges retenues contre M. Zuma. La Cour suprême d’appel confirme en octobre dernier son jugement et renvoie la balle dans le camp du procureur Abrahams.
«La justice doit non seulement être rendue, mais aussi être considérée comme avoir été rendue. J’ai conscience que tout le monde est égal devant la loi», a commenté vendredi le magistrat en annonçant sa décision.
Si elles ont déploré les lenteurs de la justice, l’opposition et la société civile sud-africaines ont applaudi la décision du parquet. «C’est une victoire pour tous ceux qui se sont battus pendant des années pour que Jacob Zuma rende des comptes», s’est félicité le chef de la DA, Mmusi Maimane. «Il doit être jugé (…), nous allons le voir en tenue orange (celle des détenus)», s’est-il réjoui.
«Le camarade Zuma est innocent jusqu’à ce qu’il soit jugé coupable», a toutefois rappelé l’ANC, qu’il a dirigé pendant dix ans.
Mis en cause depuis des années dans de multiples scandales de corruption, M. Zuma a jusque-là toujours réussi à passer au travers des mailles des multiples filets judiciaires que ses adversaires ont tendus sur son chemin. A une exception près. En 2016, il a été contraint de rembourser une partie des travaux de «sécurité» financés par l’argent du contribuable dans sa résidence privée de Nkandla (est). Environ 500 000 euros sur les 20 millions engagés au total.
Depuis son arrivée à la tête de l’ANC en décembre puis du pays le mois dernier, le nouveau président Ramaphosa a promis de tourner la page de la corruption des années Zuma.
R. I.
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