Contribution de Youcef Benzatat – C’est le système de pouvoir qu’il faut changer
Par Youcef Benzatat – De quoi parle-t-on au juste lorsqu’on évoque la crise économique ou politique ? On ne peut parler de crise économique. Pour qu’il y ait crise dans ce sens, il faut qu’il y ait d’abord une économie. Or, il n’y a pas d’économie à proprement parler. Une économie c’est, avant tout, un système intégré de production et de consommation de richesses avec, en prime, une exportation d’excédent et importation de déficit le cas échéant. Une économie doit être avant tout et prioritairement orientée vers un mode de production et de consommation, déterminée statistiquement et qualitativement, afin d’atteindre une efficacité d’harmonisation entre les moyens mis en œuvre et les besoins réels de la société. Exporter une richesse naturelle, en l’occurrence les hydrocarbures, et importer les besoins de consommation de base ne constitue pas en soi une économie.
La chute des recettes des hydrocarbures et l’incapacité du pouvoir à faire face aux besoins de consommation de base, auxquels la société a été habituée, ne peut être considéré comme une crise économique. Tout au plus, il s’agit d’une crise financière.
Encore une fois, on ne peut pas vraiment parler de crise financière, car celle-ci suppose qu’il y ait une rupture de l’équilibre des recettes et leur redistribution harmonieuse, qui obéirait au principe de justice sociale. Encore, là aussi, il s’agit d’une redistribution ciblée, inégale et en contradiction avec les besoins réels de la société, dont la priorité est l’achat de la paix sociale pour préserver le statu quo.
Ce qui se passe chez nous aujourd’hui, ce n’est ni plus ni moins qu’une rupture de l’équilibre du statu quo par une forte pression de la société, au moment où le pouvoir n’a plus les moyens de maintenir cet équilibre du fait de la baisse brutale des recettes des hydrocarbures. Il ne lui reste comme réponse pour tenter de rétablir cet équilibre, que la répression, comme sous un quelconque régime qui n’entend pas céder les privilèges que lui procure son hégémonie sur le politique.
Et, là aussi, il ne s’agit que d’une rupture conjoncturelle d’un équilibre précaire. La véritable rupture, structurelle celle-là, c’est celle qui consistera en la remise en question du monopole sur le politique qui constitue en soi la véritable crise. La crise du politique.
Pour venir à bout de cette crise, il va de soi que la remise en question du mode de gouvernance, comme le propose l’opposition, apparaît insuffisante, car c’est tout le système de pouvoir qu’il faudra changer pour en venir à bout.
L’opposition, qui compte investir la gouvernance en s’unissant autour d’un candidat unique, en collaborant avec ce même système de pouvoir, se met elle-même en crise. Car sa démarche n’est pas la solution appropriée pour briser le monopole du politique et le restituer au suffrage universel. Toutefois, si elle parvient à cet objectif, celui de s’emparer de la gouvernance, elle ne sera au final qu’un instrument au service de ce système de pouvoir. Il s’agira dans ce cas d’une alternance dans la gouvernance sous le même régime de système de pouvoir et qui sera représenté par un candidat chimérique composé de tous les partis satellites de ce même système.
Le terme lui-même d’opposition apparaît, d’emblée, comme inapproprié dans cette situation. Car, pour qu’il y ait une véritable opposition, il faut au préalable que celle-ci ait été disqualifiée par le suffrage universel. Or, aujourd’hui, tel n’est pas le cas ; celle-ci ne fait que légitimer par son statut usurpé et son rôle de faire valoir un régime anti-démocratique.
Il serait plus plausible dans ce cas de parler de contre-pouvoir, à partir duquel il faut demander le changement. Non pas celui de la gouvernance, mais de tout le système de pouvoir, en opérant une rupture dans le mode de gestion du politique qui dure à l’identique depuis l’émancipation de la domination coloniale.
S’effaroucher comme une vielle vierge à chaque violation de la Constitution, face au quatrième, cinquième, voire le sixième mandat, n’apporte aucun grain au moulin du combat politique pour la libération du peuple de son aliénation dans le système actuel.
C’est d’un leadership représentatif des idées émancipées de l’emprise du système et de tout autre référant étranger au politique que la société a besoin. Un leadership qui transcenderait l’atomisation de la citoyenneté en multitudes d’appartenances à des groupes ethniques, linguistiques et religieux. Un leadership mobilisateur dans lequel le peuple dans son unité puisse se reconnaître, auquel il puisse adhérer et, par là, combler son déficit de représentativité.
Y. B.
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