Par-delà l’islamisme et le berbérisme
Par Mesloub Khider – Dans une précédente contribution traitant de la question identitaire, nous avions mis en lumière l’aporie dans laquelle s’est engagée l’Algérie depuis son indépendance. Notamment sur la question de la construction de son identité nationale. Deux courants antagonistes et irréconciliables se sont affrontés pour assoir la légitimité historique de l’Algérie.
Jusqu’à présent, le courant arabo-islamique est parvenu à s’imposer. A dicter et imposer son paradigme en matière historique, au plan de la définition de l’identité culturelle algérienne. Aujourd’hui, la vision berbériste s’affirme. Elle est parvenue même à convertir les dirigeants du pouvoir algérien, autrefois ennemis déclarés de l’amazighité, à la nouvelle conception historique berbériste.
Par-delà ces deux approches rétrogrades, l’Algérie doit s’atteler à la redéfinition de son identité nationale sur des fondements résolument modernes. Il en va de la survie de l’Algérie prise en tenaille par ces deux forces obscurantistes. De surcroît, nul n’ignore que ces deux mouvements identitaires sont réciproquement des ennemis irréductibles. Les islamistes vouent une haine farouche à l’endroit des berbéristes considérés comme des mécréants. Pareillement, les berbéristes nourrissent une détestation proverbiale à l’encontre des islamistes (désignés sous le vocable arabo-baâthistes) qualifiés d’ennemis impénitents de l’identité amazighe. Avec ces deux forces respectivement religieuse et ethnico-linguistique antagonistes fortement répandues en Algérie, porteuses de revendications radicalement antinomiques pour la stabilité de l’Algérie, le pays s’expose à l’éclatement.
La première force ne jure que par l’islam fondamentaliste, salafiste, qu’elle s’acharne, au prix d’une propagande outrancière et violente, à imposer à tous les Algériens. La seconde composante, pétrie d’un berbérisme doctrinaire revanchard et vindicatif, se livre à un prosélytisme conquérant dans le dessein de convertir tous les Algériens à ce nouveau dogme chauviniste linguistico-culturel amazigh envahissant. En effet, quoique le mouvement berbériste se pare d’un vernis moderniste, notamment dans sa rhétorique pompeusement démocratique, il n’en demeure pas vrai qu’il véhicule une vision archaïque et fantasmagorique quant à l’identité de l’Algérie. Et donc en contradiction avec les postulats culturels contemporains identitaires, novateurs, censés favoriser la modernisation et la démocratisation de l’Algérie.
Prisonnier de sa vision antiquisante de l’Algérie, il s’escrime néanmoins à nous vendre son antiquité identitaire culturelle sous un emballage modernisé. Mais personne n’est dupe de la caducité de sa marchandise : ce vestige culturel auréolé aujourd’hui de tous les prestiges, au point de provoquer parmi certains Algériens le vertige. Mais il ne faut pas être dupe : on ne bâtit pas un pays sur les ossements identitaires depuis longtemps ensevelis, et exhumés de leur enfouissement à la faveur d’une époque plongée dans une crise sociale, économique et politique inextricable.
L’exhumation des reliques identitaires passéistes pour définir la nation algérienne doit être dépassée pour laisser place à l’adoption de caractéristiques identitaires nationales modernes. Les controverses habituelles sur la caractérisation de l’identité algérienne doivent disparaître.
Avec leurs critères identitaires anémiques, l’Algérie est vouée à une survivance anomique, et inexorablement à une désintégration fatidique.
Aujourd’hui, l’Algérie est confrontée à une situation critique. Sa viabilité est menacée par les forces centrifuges. Après l’assaut avorté porté par les islamistes au cours des années 1990, forces neutralisées au prix de milliers de morts, de nouvelles forces irrédentistes, sous couvert de revendications linguistique et culturelle, s’affirment sur la scène nationale.
Pour neutraliser ces deux tendances réactionnaires à l’œuvre, l’Algérie doit unir ses forces pour endiguer ces constellations fossilisées, foncièrement désagrégatrices.
L’Algérien de Kabylie est libre de cultiver et de vivre librement son «amazighité», aussi bien au plan linguistique qu’au niveau culturel. Comme je l’ai défendu dans ma précédente contribution, la langue amazighe doit être librement enseignée dans les régions berbérophones. Tout comme la culture amazighe doit être sauvegardée dans ses territoires naturels d’implantation. Mais le Kabyle ne doit pas imposer à la majorité des Algériens arabophones et sa langue et sa culture. Encore moins imposer sa conception berbériste archaïque et anachronique de l’identité algérienne à la société dans son ensemble. Tout comme l’islamiste ne doit pas imposer à tous les Algériens sa pratique salafiste de l’islam, ni sa conception islamiste moyenâgeuse de l’identité algérienne.
L’islamiste, avec sa vision religieuse moyenâgeuse, à la faveur de l’expansion planétaire de l’islamisme au cours de ces quatre dernières décennies, s’acharnait à transformer l’Algérie en une vaste mosquée à ciel ouvert, annexe d’une oumma fantasmagorique. Le berbériste, avec sa conception tribale archaïque, profitant du discrédit et du déclin de l’idéologie arabo-islamiste, s’échine aujourd’hui à transfigurer (défigurer ?) l’Algérie en une immense tribu berbère culturelle, ressuscitée de ses cendres antiques.
La citoyenneté transcende l’identité particulière. Le particulier se dilue dans le général. Et non l’inverse. Les particularismes culturels et religieux frondeurs et séditieux sont dangereux pour l’unité d’un pays.
Le défi de l’Algérie est de transcender ces deux approches archaïques pour s’atteler à bâtir sur des fondements modernes une Algérie algérienne résolument tournée vers l’avenir, profondément ancrée dans la modernité. De l’adoption de conceptions modernes dans la construction de l’identité du pays dépend l’avenir progressiste de l’Algérie.
Les forces du passé doivent s’effacer. Les forces de l’avenir doivent advenir.
M. K.
Comment (31)