Une contribution d’Al-Hanif – L’Emir Abdelkader versus Hadj Moussa
Par Al-Hanif – L’expression «Hadj Moussa, Moussa Hadj» ne serait qu’occurrence verbale affichée comme marque de pessimisme et le pendant de l’expression française «blanc bonnet et bonnet blanc». Lourde erreur que ne pas s’interroger sur la généalogie de ce dicton ou adage populaire.
Utilisée pour exprimer, dans son rapport à la langue, l’absence de vrai choix ou d’alternative réelle, la formule populaire en vient à oublier qu’elle puise son origine de faits circonstanciés et qu’elle se réfère à un personnage historique, tenant et précurseur de l’islamisme djihadiste.
Moussa Hadj Ben Hassan, également appelé l’homme à l’âne en raison de son mode de locomotion préféré, est un personnage de roman. Né en Egypte, probablement d’origine albanaise, avec un passé aventureux et plein de zones d’ombre, il devient membre de la garde rapprochée de Mohammed Ali – monarque porté et intronisé à la tête de l’Egypte par la révolte des Mamelouks.
Il se forgera un corpus idéologique de résistance religieuse à l’influence étrangère et chrétienne, probablement creuset de la proto-idéologie des Frères musulmans, en s’opposant à l’expédition de Napoléon.
Craignant pour sa vie, il quittera l’Egypte sur ordre du cheikh intégriste tripolitain Mohammed El-Madani qui l’accueillera en Libye et lui dictera une feuille de route qui avait pour destination… l’Algérie.
Envoyé à Laghouat pour enrôler les Derkaoua dans le djihad contre les Français, il n’eut de cesse, avec l’appui de confréries du sud et du centre, que de s’opposer à l’autorité de l’Emir Abdelkader, ce chef que l’Algérie s’était donné pour lutter contre l’envahisseur.
Hadj Moussa fut même arrêté à Mascara pour des faits d’espionnage et contestera jusqu’au bout la légitimité de l’Emir à mener le combat contre l’occupant. Il fut cet ennemi de l’intérieur qui lèvera des troupes du Tell et du Sahara pour détrôner tous les lieutenants de l’Emir en leur déniant la légitimité conférée par le sceau d’Abdelkader, marqueur et prémisse d’un Etat et d’une administration modernes.
L’Emir se porta à la défense de son lieutenant et écrasa les troupes de Moussa Ben Hassan aux portes de Médéa, comme affirmation d’une volonté politique réfractaire aux machinations et aux aléas. Seule la chute de la ville aux mains des Français mettra fin à cet embryon de souveraineté nationale, annonciateur d’un Etat à naître, dans les convulsions que l’on sait.
Hadj Moussa a eu et continue d’avoir une influence considérable. Son souvenir est vivace dans la sociologie des profondeurs. Un écrit laudateur rapporte que Hadj Moussa Ben Hassan officia à la mosquée des Lahlafs comme muezzin appelant aux cinq prières «avec les modulations vocales usitées en Orient». Aujourd’hui, il utiliserait les chaînes satellitaires pour capturer plus de cervelles.
Son instrumentalisation par les intérêts turcs et par la Turquie (pays qu’il connaissait et dont il maîtrisait la langue) n’est relevée par aucun travail de recherche historique sérieux. Ce prédicateur soldat, préfiguration du djihadiste sans frontières, continue de jouir d’une vraie dévotion dans la région de Laghouat, région dans laquelle il jeta la suspicion sur les Mozabites, après avoir vainement tenté de les gagner à la cause de la tarika qui prenait ses ordres à Fès et au Caire.
La colonisation française a bien sûr saisi l’opportunité d’entretenir les germes de la division en encourageant sa rébellion contre l’Emir et en lui permettant d’ouvrir un front intérieur par ses tentatives d’enrôler les Derkaoua «et de les lancer à l’assaut en répétant cent fois des formules sacramentelles de la tariqa et en les faisant suivre des cinq prières légales».
Face à l’islam lumineux de la figure tutélaire de l’Algérie et de celui de ses partisans, torturé par la crainte de mal agir, d’être injuste envers son Créateur, il y avait déjà l’autre versant interprétatif. L’Emir a codifié les premières règles de l’engagement militaire et du traitement des prisonniers dont les préceptes seront repris dans la Convention de Genève. Il s’est interrogé jusqu’à l’agonie sur la nécessité de poursuivre le combat en pragmatique et visionnaire de la lecture du terrain, des événements et du rapport de force. Surtout, il ne prônait aucune limitation intellectuelle dans l’étude du texte sacré.
Le rite malékite de l’Algérie et ses traditions religieuses autochtones sont des pratiques dans lesquelles on ne retrouve nulle esclave sexuelle comme butin ou acompte sur les félicités éternelles à venir, ni pseudo orientalisme radieux qui entend, comme le souligne Hakim Ben Hammouda, asseoir la domination de la pensée magique et construire la dépossession du sujet à sa capacité d’entendement et d’action.
Ce serait faire acte de cécité volontaire que ne pas voir la revanche de Moussa Hadj ou de Hadj Moussa, dans cette Algérie qui se dessine dans le projet encore porté et qui s’impose par cercles concentriques de l’individu à la famille pour construire une cosmogonie, qui, in fine, menace l’islam.
La spiritualité de l’Emir n’est ni inclusive ni exclusive, elle est éclairée et charitable et trouve le meilleur des échos dans son œuvre poétique profane et mystique. Elle s’inscrit dans le long cheminement de l’homme qui croit et du croyant qui n’oublie pas qu’il se grandit en restant homme, conscient de ses imperfections.
Même s’ils l’ont imaginé de différentes manières, les hommes ont toujours cru à l’invisible. Les peintures rupestres du Tassili démontraient déjà la préoccupation de nos ancêtres, chasseurs de la préhistoire, à en appeler à des forces dont ils percevaient déjà le pouvoir.
La religion de nos parents, sereine et apaisée, avait atteint son point d’équilibre et balisé l’hégémonie d’un scientisme mis à mal par la science elle-même.
Qu’Allah, la foi, la raison, la science et le souvenir de nos géniteurs nous guident.
A.-H.
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