Une contribution d’Al-Hanif – Accusé Kamel Daoud, levez-vous !
Par Al-Hanif – Le titre se veut volontairement provocateur, car je n’ai jamais instruit aucun procès à l’encontre de Kamel Daoud. Par contre, j’avais réagi à chaud à sa chronique virale – et ce n’est pas un hasard – sur les événements de Cologne, et lui avait reproché de fossiliser la culture musulmane pour la présenter comme oppressive et organisant toutes les modalités observables de la frustration sexuelle.
Mon sentiment de colère venait surtout du fait qu’il avait apporté un concours de poids qui avait fait prise de vent et donné l’occasion à des Zemmour, Finkielkraut et autres de s’engouffrer dans la brèche, ravis de l’aubaine et trop contents de se défaire de l’accusation de racisme et d’islamophobie, en se prévalant de ses propos.
Procédé rhétorique trop vite éventé et qui vous fait jouer la partition de l’idiot utile.
J’avais parlé à l’époque d’un écrivain trop rapidement encensé et qui sombrait dans les délices d’un pacte faustien qu’il ne soupçonnait pas. Je regrettais qu’il sombrât dans le syndrome néo-icarien qui consistait à prendre la lumière des spots médiatiques pour la lueur aveuglante de l’astre solaire et qui les courtisait, quitte à se brûler les ailes.
Cette contribution, longtemps différée, a une chronologie : je fus appelé à commenter pour un magazine anglophone sa conférence de Yale qui s’est tenue le 9 novembre 2015, et dans laquelle il fut présenté comme entré dans l’histoire littéraire par un engagement avec Albert Camus, presque par effraction, serait-on tenté de comprendre. Cette présentation réductrice acte sa véritable naissance littéraire aux yeux du public occidental, grâce et par la gloire posthume d’Albert Camus.
Notre ami ne sembla pas avoir relevé cette présentation ad reductio, et avec le temps, il semblait que du talent commençait à lui venir au fur et à mesure qu’il domestiquait son auditoire en déployant une verve ponctuée de références livresques assez attendues.
D’emblée, il sut faire un parallèle judicieux entre l’arabe anonymisé occis par Mersault, et le Vendredi de Robinson Crusoé.
Il sut également faire reconnaître la dette de Daniel Defoe (auteur de Robinson Crusoé) envers le philosophe andalou Ibn Tufayl qui exposa la problématique de l’homme échoué dans un désert dans son livre Hay Ibn Yakdâan, traduit en français par Le vivant fils du vigilant.
Enlever ses ressources à un homme et le placer dans un environnement hostile pour analyser son comportement afin d’en conclure que le règne de la culture finissait par l’emporter au final sur celui de nature, posait la question de son rapport au milieu et à l’Autre.
Fallait-il le considérer comme un égal, frère en humanité ou un inférieur, voire le chosifier ?
La question de la culture à imposer à l’Autre était précédée de la révélation intime que Dieu était le peintre de l’univers et que la beauté du monde invitait à en témoigner, à accepter l’épreuve et à transmettre sa Vérité.
Depuis le premier meurtre de l’humanité qui vit Caïn tuer son frère Abel, la question du rapport à l’Autre est brillamment résumée par Kamel Daoud, qui aurait pu profiter de cette prestigieuse tribune pour souligner que l’Autre parlait souvent à notre place, de nous, écrivait sur nous sans nous connaître, placé qu’il était dans un rapport de verticalité consubstantiel à son univers mental.
Kamel Daoud se veut écrivain sans passeport, et c’est son droit. Mais il a aussi démontré qu’il n’était pas un intellectuel, sinon il se serait référé à la controverse de Valladolid, débat tenu au Collège de San Gregorio sous les auspices de Charles Quint en 1550 et 1551 pour débattre du droit de conquête, pour finalement reconnaître une âme aux Amérindiens et décréter l’esclavage des Noirs africains comme légal et chrétien.
L’histoire du monde serait différente si juristes et administrateurs du royaume de Charles Quint n’avaient décrété l’Africain proie et l’Afrique terre de prédation dans laquelle le rapport à l’Autre ne pouvait se lire que de maître à esclave.
Kamel Daoud n’est pas un intellectuel, sinon son monde ne prendrait pas prétexte d’explorer le rapport à l’Autre pour se résumer à une algarade avec Camus, étrange affliction qui touche plus d’un écrivain sous nos latitudes.
Si je suis d’accord avec Kamel Daoud de ne pas intellectualiser l’acte d’écrire, surtout en fiction, et de laisser la métaphore de la condition humaine vivre sa propre vie, et que l’on n’écrit un roman avec des passeports, il faut admettre que l’on l’écrit avec ses racines comme Malek Haddad, Kateb Yacine et Mohamed Dib.
Ces géants ont une œuvre qui s’impose par sa qualité et n’ont besoin de nulle polémique.
Oui, je l’avoue, en littérature, j’ai un complexe : j’ai le complexe de Dib. Gloire à son œuvre et paix à son âme.
A.-H.
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