Contribution – Sur les pas de Rachid Boudjedra contre les «mtornis»
Par Youcef Benzatat – Après la mise à nu des «contrebandiers de l’histoire» par Rachid Boudjedra, c’est au tour d’Abdellali Merdaci d’ouvrir les hostilités contre les «mtornis».
La nuance dans la définition de ces deux notions de contrebandiers de l’histoire et de «mtornis» (retournés, ndlr) ne représente cependant aucune importance pour le sens commun dans la conscience collective. Elles sont distribuées indifféremment et sans concessions à cette catégorie d’Algériens que Boudjedra qualifie à sa manière de larbins. Ceux qui n’éprouvent aucun sentiment d’indignation ni de conscience blessée par la barbarie coloniale qui s’est abattue sur le peuple algérien durant plus d’un siècle, en l’acculant à l’avilissement et à la misère extrêmes.
Larbins, parce qu’ils n’éprouvent pas le besoin d’assumer leur statut d’intellectuels, d’artistes, d’écrivains, d’éditorialistes ou d’élites de toute sorte, par un travail de mémoire et d’histoire pour contribuer à la structuration de référents existentiels pour leur peuple, lui préférant le déni et la fuite en avant pour ne pas contrarier leurs mécènes faussaires contre la promesse d’une honteuse soupe froide.
Ce qui est visé ici, n’est pas le petit peuple qui a fui l’horreur de la barbarie islamiste ou de la dictature, en adoptant la nationalité du pays qui a bien voulu les accueillir, pour pouvoir mener une vie décente en toute sécurité, ni même ces hommes et ces femmes de culture qui se sont mis à l’abri sous d’autres cieux pour pouvoir continuer à militer dans l’espoir d’arracher le peuple dont ils sont issus de l’obscurantisme religieux et de l’aliénation culturelle et politique.
Par «mtorni», il s’agit moins de la liberté de chacun de troquer sa nationalité contre telle ou telle autre nationalité, y compris celle de l’ancien colonisateur, mais plutôt de troquer les principes fondateurs qui ont permis de mettre fin à l’injustice et à la barbarie coloniale contre un discours qui dénie à ces mêmes principes ou en minimisant le rôle qu’ils ont assumé pour mettre fin à la colonisation et à la résistance à la tentative de sa poursuite sous une forme néocoloniale.
Si les contrebandiers de l’histoire de Boudjedra se nomment Yasmina Khadra, Kamel Daoud, Boualem Sansal, les «mtornis» de Merdaci sont le dramaturge Slimane Benaïssa et le cinéaste Merzak Allouache, pour ne pas dire les amateurs d’art, sans inspiration ni esthétique du devenir du champ culturel et politique dans lequel ils se meuvent et respirent.
Merzak Allouache, ayant collaboré avec le Qatar et ses commanditaires dans leur tentative de déstabilisation de l’Algérie dans les moments forts du «printemps arabe» avec son film Normal, un véritable film de propagande, qui lui a été commandé par l’Institut du film à Doha (IFD) au milieu de l’année 2011, en pleine effervescence révolutionnaire des peuples arabes, certainement pour contribuer à la déstabilisation de l’Algérie, sa destruction et sa recolonisation(*). Désespéré de ne pas avoir atteint son objectif de «mtorni» dans cette malheureuse aventure, il n’hésite plus, depuis, à s’afficher ouvertement dans des événements cinématographiques dans l’Etat colonialiste d’Israël, sans souffler mot sur le régime d’apartheid dans lequel ce pays confine le peuple palestinien.
Benaïssa, Djedou Chaoui, qui a résisté à toutes les tentatives de son aliénation par les conquérants étrangers, venus le soumettre et le déposséder. Mais lui, l’héritier de cette résistance millénaire, veut à son tour soumettre le peuple algérien à son nationalisme ethnique. Algérien de souche, c’est à son tour de vouloir soumettre et déposséder les autres de leur histoire, de leur identité, de leur algérianité métissée et transculturelle, qui fait la richesse de la Nation algérienne et son harmonisation avec la contemporanéité du monde. Un artiste qui emprunte une fausse route se ravise dès qu’il en prend conscience et se met à expérimenter de nouvelles voies, pour corriger son expression afin de la projeter dans le devenir esthétique de son environnement culturel et son inscription dans l’universel. Mais l’amateur d’art dramatique qu’il est, n’a pas suffisamment d’inspiration ni d’autres ressources pour explorer d’autres possibles. Ici, l’amateur d’art est guidé par vocation, quand l’artiste est inspiré par le principe. La vocation ne se fonde pas sur le principe ; ce qui compte, c’est la reconnaissance et le sentiment de réussite, quel qu’en soit le prix, y compris celui de devenir «mtorni».
Dans La dernière nuit d’un damné, Slimane Benaïssa a fini par se faire exploser comme un kamikaze de l’art dramatique, pour le paradis des amateurs d’art et de littérature, qui est la reconnaissance et la réussite à tout prix. Ce roman a été publié par Plon en 2003, au moment le plus fort de la dictature de la pensée, celle de «si vous n’êtes pas avec nous, vous êtes contre nous», qui correspondait au moment du début de l’invasion des pays du Moyen-Orient et de la rive sud de la Méditerranée par les forces américaines et de l’Otan.
L’étonnement de Merdaci et l’étonnement sur son étonnement par Kaddour Naïmi, sur la fonctionnarisation de ces «mtornis» par le pouvoir, qui obéit à une très vaste logique ; celle qui fait que les radicalismes religieux et identitaires, la dictature du pouvoir et les menaces extérieures de recolonisation qui se neutralisent réciproquement en faisant des concessions les uns aux autres pour maintenir le statu quo, n’en traduit pas moins le délitement et la faillite de nos élites, qui est le plus grand mal qui nous arrive depuis notre émancipation de l’emprise coloniale.
Y. B.
(*) Pour un approfondissement de ce sujet, se rendre sur ce lien : https://blogs.mediapart.fr/youssef-benzatat/blog/260915/merzak-allouache-et-la-compromission-imperialo-sioniste-des-artistes-separatistes-algeriens
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