Les maîtres du jeu
Par Mrizek Sahraoui – Le nouvel ordre mondial, dont l’orientation semble complètement échapper aux pays occidentaux, se joue(ra) en Syrie, avec comme partenaires-décideurs Vladimir Poutine, Recep Tayyip Erdogan et Hassan Rohani, les vrais maîtres du jeu dans la région.
Le Sommet d’Ankara, du 4 mars, sonne comme une réplique à l’identique, des décennies plus tard, à la conférence de Yalta, avec toutefois des acteurs et pour des objectifs sensiblement différents. Là, il est surtout question du sort de la Syrie, longtemps suspendu aux hésitations ou aux intérêts momentanés des Occidentaux. Comme un pied de nez, le triumvirat a réaffirmé sa détermination à conjuguer les efforts et à œuvrer pour «parvenir à un cessez-le-feu durable», conditionné par «le respect de l’intégrité territoriale de la Syrie».
Même si, évidemment, le conflit syrien est à l’ordre du jour du Sommet, il n’en reste pas moins vrai qu’il s’agit, par ailleurs, d’une affirmation claire de prise de position de leadership et de contrôle de la situation de la part de la Russie, de la Turquie et de l’Iran, sans les auspices des Nations unies et sous les regards hagards des pays occidentaux, réduits à suivre, impuissants, sans voix, et de loin, le cours des événements dont le changement de cap a été modifié et décidé le 30 septembre 2015, jour où Vladimir Poutine, répondant à l’appel officiel du président syrien, Bachar Al-Assad, a décidé d’intervenir militairement en Syrie. Il est à présent admis que n’eussent été les interventions répétées des forces armées russes sur le territoire syrien, Bachar Al-Assad aurait subi le même traitement inhumain que Saddam Hussein et Mouammar Kadhafi ; d’autres pays arabes auraient sombré dans le chaos, la liste s’amenuisant au fil des troubles fomentés dans le cadre du nouvel ordre mondial initié par l’Occident, visant à propager partout «le printemps arabe», l’une des plus grandes arnaques que l’histoire ait connues.
Ce Sommet intervient au moment même où les Etats-Unis estiment que «la mission militaire touche à sa fin» sans pour autant donner une date de retrait des troupes américaines déployées dans la zone. Une palinodie qui risque de mettre à mal les milices kurdes du Parti de l’union démocratique syrien (PYD) – organisation terroriste au même titre que Daech aux yeux du président turc –, il n’y a pas longtemps «rempart aux terroristes de l’EI», dixit Bernard-Henri Lévy, parangon de la lâcheté, désormais livrées à elles-mêmes.
Blacklistées comme mouvements terroristes, les milices kurdes, doublement abandonnées par la France et maintenant par les Etats-Unis, leurs alliés, sont directement visées. La déclaration finale est très explicite à ce sujet, soulignant l’«opposition» aux «agendas séparatistes visant l’affaiblissement de la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Syrie, et la sécurité nationale des pays voisins». Dans la bouche de Recep Tayyip Erdogan, cette mention veut simplement dire que la guerre contre les Kurdes vient seulement de commencer, la pierre d’achoppement de ce sommet, tant il est dit que Vladimir Poutine n’est pas là pour faire la guerre aux Kurdes, mais pour sauver la Syrie des griffes des groupes rebelles armés par les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni qui, dans le même temps, tous les trois, n’ont eu de cesse de faire semblant de pleurer la tragédie du peuple syrien.
Lors même que les choses ne se présentent plus comme avant, du temps où, par exemple, George W. Bush ou Nicolas Sarkozy pouvait entraîner dans leur folie et leur funestes aventures la communauté internationale dans des conflits inutiles aux conséquences dramatiques, même si l’équilibre dans les relations internationales est rétabli par la place qu’occupe, depuis un moment, la Russie, la messe n’est pas pour autant dite. Car, «l’amitié entre rivaux en politique n’est que suspension des hostilités», pour paraphraser l’écrivain du XVIIIe siècle Antoine Rivaroli.
M. S.
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