Des missiles pour sauver l’honneur !
Par Dr Hocine-Nasser Bouabsa – Suite au lancement du sulfureux «printemps arabe» les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne et derrière eux des pays satellites en Europe et en Arabie, ont investi et manœuvré massivement depuis plusieurs années pour, d’une part, renverser le régime syrien d’Al-Assad et, d’autre part, remodeler – dans le cadre d’un nouvel agenda géopolitique de grande envergure – la carte du Moyen-Orient au profit d’Israël et de l’Otan mais, surtout, contre les intérêts de la Russie, de l’Iran et de la Turquie.
Une des pièces maîtresses de cet agenda fut Daech. Son rôle était de faire le sale boulot, que les armées de terre de trois pays atlantistes ne pouvaient ou ne voulaient pas prendre en charge, pour des raisons économiques et à cause de l’opinion publique défavorable à une guerre contre un petit pays, qui est trop loin pour représenter une menace quelconque contre la sécurité de l’Europe ou de l’Amérique.
Grâce au soutien militaire, logistique et financier massif dont jouissaient Daech et les autres groupes terroristes, ces derniers ont pu effectivement, en un temps record, chambouler la région à tel point que la disparition de la Syrie, de l’Irak et même du Liban, en tant qu’Etats-nations, n’était plus une spéculation mais presque une certitude. Ce succès militaire foudroyant des marionnettes a fini par aveugler les marionnettistes.
Mais, comme toujours, lorsqu’il y a plusieurs prédateurs qui, à force de trop croire à leur victoire, commencent prématurément à se chamailler sur le partage du gibier avant même de l’abattre, il arrive qu’une autre partie saisisse l’occasion pour s’engouffrer dans la première brèche que lui offrent ses adversaires. C’est ce qu’ont fait la Russie et l’Iran. Pour ces deux pays, les enjeux étaient d’une très grande importance géostratégique. Pour le premier, il n’était pas question de perdre la base de sa présence militaire en Méditerranée et pour le second, il n’était pas non plus question de perdre son influence historique en Méditerranée orientale (Liban et Syrie). Face à l’arrogance des Etats-Unis, ces deux pays ont progressivement pu moduler leurs relations d’une alliance de circonstance vers une alliance stratégique de qualité, basée sur une distribution efficace de rôles : les Iraniens au sol pour encadrer une armée de terre syrienne affaiblie par les désertions, et les Russes au ciel pour les couvrir et orienter leurs mouvements au sol.
Les points influents et surprenants dans cette guerre sont certainement la détermination de Poutine et les nouvelles capacités technologiques des forces aériennes russes que l’Otan a probablement sous-estimées. L’organisation atlantiste a heureusement bien saisi qu’elle n’avait plus en face d’elle un Eltsine constamment arrosé de Vodka mais un président russe d’un autre calibre, non seulement déterminé mais surtout formé dans la pure tradition de l’école du KGB. Face la détermination du président russe, les Occidentaux ont pris conscience que le risque d’une confrontation nucléaire était devenu un scénario éventuel réel si les intérêts russes – surtout s’ils sont situés dans les premiers périmètres de la Russie – étaient ignorés.
Avec la prise de conscience de cette nouvelle situation, les décideurs atlantistes ont dû se poser deux questions liées à ce risque apocalyptique : l’Occident n’a-t-il pas suffisamment étendu son influence aux dépens de la Russie ? Vaut-il la peine de continuer dans cet expansionnisme aveugle et arrogant qui risque de se retourner contre eux et détruire tout le monde capitaliste ?
Avec les événements d’Ukraine, où l’Occident est arrivé à faire élire comme président un oligarque à sa merci, la réponse est évidement oui. Sachant que la préservation des acquis du capitalisme est la base du paradigme occidental, la réponse à la seconde question est évidente et claire : non !
Fidèle à son approche isolationniste, le président américain Trump n’a pas dû trop attendre l’avis de ses conseillers, surtout que lui aussi était persuadé que la Russie ne reculerait pas en Syrie. En bon capitaliste, il a préféré lâcher une petite partie de la proie pour ne pas la perdre en entier. C’est la raison pour laquelle il a ordonné le repli de l’armée américaine de Syrie. Mais l’égo américain exige qu’on doive le faire en vainqueur. Les missiles de ce samedi ont donc été lancés pour la consommation du peuple américain – les Français et les Anglais n’ont aucune signification pour Trump. Ces missiles sont ce qu’on appelle les coups du dernier baroud. Mais avant de les tirer, il fallait fabriquer des événements émotionnels marquants pour les légitimer aux yeux des opinions publiques internationales. C’est ce qui s’est passé au mois de février à Londres avec l’agent double Skripal, et la semaine passée à Douma avec les supposées attaques à l’arme chimique. L’opinion publique internationale a eu droit à un matraquage médiatique soutenu et bien orchestré.
Les cibles des missiles ont bien été choisies et avaient une portée symbolique. En tout cas, on a tout fait pour éviter d’énerver les Russes. L’important c’est de sauver la face et l’honneur !
Après l’épisode interventionniste occidental en Syrie, qui semble, Dieu merci, s’approcher de sa fin, l’humanité peut espérer retrouver son architecture multipolaire qu’elle a perdue il y a 30 ans. Ce qui pourrait contribuer à rendre tous les humains à travers le monde un peu plus égaux en droits et en devoirs, sans différence de race ou de religion.
H.-N. B.
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