Contribution du Dr Arab Kennouche – L’Algérie visée par une guerre culturelle
Par Dr Arab Kennouche – Il ne se passe désormais plus un jour où de forts symboles de la culture algérienne qui jadis faisaient la gloire du drapeau national, passent à l’ennemi qu’il soit intérieur comme le MAK ou extérieur, comme le Makhzen. Dans leur variante populaire, des icônes de l’art musical, du sport ou encore de l’écriture tombent en dissidence chaque année et sont récupérées à l’étranger, Maroc, France, Israël étant les premiers concernés. Il existe bel et bien un mouvement intellectuel de mtornis, dont Boudjedra nous en fit sentir le danger, qui a pris désormais un tour inquiétant dans le milieu de la chanson populaire, autrefois socle de l’unité arabo-berbère. De quoi faire retourner un El-Anka dans sa tombe, à moins qu’il ne soit lui-même récupéré un jour, à titre posthume, par le Makhzen ou le MAK, deux entités foncièrement anti-algériennes.
Dans une analyse des propos douteux d’Idir sur l’identité amazighe, Youcef Benzatat rend compte d’un phénomène qui n’est certes pas nouveau, puisqu’on entendait le même refrain du temps de la colonisation : celui de pouvoir dire qui était le bon Arabe, le bon Berbère, le bon indigène, contre une autre catégorie d’individus dont la soumission à l’ordre colonial était déficient, incomplet. On se souvient des bons Kabyles, au type «européen» qu’on opposait aux «mahométans» arabes, ou bien encore des citadins plus lettrés que les montagnards, etc. Selon Benzatat, Idir, à quelques décennies d’intervalle, reproduit le même schéma de la division parmi les Algériens, en appliquant sur tout Algérien la formule du bon ou du mauvais serviteur du système et dont les Français usaient pour régner en Algérie, en disant qui était qui.
En qualifiant Idir de séparatiste qui se renie, Benzatat met le doigt indirectement sur un phénomène pour le moins inquiétant ces dernières années, qui a déjà touché des écrivains, des stars du raï et même du ballon rond, comme Belloumi. L’Algérie serait donc devenue une coquille vide de culture et d’expression purement nationale, si bien que toute forme d’art est vouée à l’expatriation forcée dans les pays qui n’attendent que cela : détruire les plus grands référents de l’identité nationale, dans une guerre culturelle sans merci, pour remplacer le vieux fond algérien inestimable par une mouture wahhabite dévastatrice ou bien encore berbéro-sioniste acquise au libéralisme laïcisant. Benzatat lui reproche effectivement, derrière le vocable «inaliénable», d’exprimer un dernier retranchement douteux beaucoup trop berbériste, au regard de la cause nationale algérienne, car exprimant un souci de pureté ethnique avant tout.
Ce phénomène pervers de récupération identitaire est, en fait, à bien voir de plus près, une entreprise téléguidée de dépersonnalisation de l’Algérien dont Mostefa Lacheraf avait pertinemment relevé les dangers, en critiquant la perception camusienne de l’Arabe, réduit à n’être qu’un fantôme, éloigné du littoral des colons français. La politique délétère du culturel en Algérie, au-delà de ses insuffisances notoires, semble ne pas prendre conscience de ce pillage du patrimoine national qui, comme une arme de guerre, atteint la personnalité algérienne, la dévalorise et la vide de ses racines, en semant le doute sur le degré de pureté d’une prétendue race berbère ou arabe en Algérie.
Toute forme d’expression algérienne est donc ciblée par de puissants médias culturels internationaux sans aucune réaction de la part des autorités, ne comprenant pas les enjeux d’une désappropriation de l’identité algérienne en vue de remettre en cause les fondements de l’Etat national. Ce qui avant était typiquement algérien, devient grossièrement berbère au sens makiste du terme, ou bien arabe au sens islamo-wahhabite, ou bien marocain. Il n’est pas jusque la langue arabe algérienne, ou arabo-andalouse qui, chaque année, perd de son prestige littéraire et musical, pour n’être remplacée que par un jargon venu tout droit des sermons des cheikhs saoudiens et que chaque Algérien doit maîtriser sous peine de recevoir le qualificatif de kafir (impie) ou de berbériste.
L’Algérien ne peut plus exister qu’à travers les exigences d’autrui, qui lui révèle qui il est authentiquement, ne sachant plus comment s’auto-définir. C’est bien par l’argument de la pureté qu’on a fait croire, à partir de Riyad, Doha, Tel-Aviv, Rabat et Paris que les Algériens étaient de mauvais Arabes, qui ne maîtrisaient pas la langue du Prophète, qu’ils l’avaient perdue. L’islamisme algérien est l’expression même de l’entreprise de dépersonnalisation réussie de l’étranger et qui continue aujourd’hui sous l’emprise de la Turquie d’Erdogan visant à reconstituer son empire perdu en Afrique du Nord. Toujours égratigner, toujours renier ce qui est typiquement algérien, pour transformer les esprits et les préparer à la révolte ; pire, au retour vers des terres originaires pures, comme la France, l’Arabie, la Turquie, le Maroc.
L’Algérien est donc insidieusement contraint à se définir comme wahhabite, faisant ainsi amende honorable devant les puristes de Riyad, ou bien berbéro-laïc, deux types de personnalités complètement étrangères à l’histoire culturelle et religieuse de l’Algérie. L’un serait l’expression du dogme du tawhid par excellence, maniant une langue arabe épurée et dont la maîtrise devient obligatoire pour s’instruire en religion et gagner le paradis. El-Fawzan, comme tant d’autres parmi les prédicateurs wahhabites, a presqu’érigé en sixième pilier de l’islam l’appartenance à une langue pure qui propulserait directement tout Algérien au paradis. La derja algérienne, c’est encore la langue du diable. C’est dans cette veine que sont venus s’immiscer les propos de la députée islamiste Naïma Salhi, par exemple, mêlant haine et pureté comme personne au monde.
L’Algérien peut encore devenir ce Berbère moderne acquis à l’occidentalité, pour reprendre Djalal Al-Ahmad, comme celui qui porte le mieux les stigmates occidentaux de la liberté de penser, réduite ici à la haine de tout ce qui serait arabe. Il faut donc berbériser à outrance pour redonner à la race la vigueur et le teint qui lui faisaient défaut. Enfin, l’Algérien a encore le choix de botter en touche, en direction du Maroc prédateur, lui généreux. Réda Taliani, Khaled et désormais Belloumi ont montré qu’être Algérien n’était plus possible, surtout quand l’argent du Makhzen n’a plus cette odeur algérienne.
L’Algérie traverse une époque dangereuse. Elle a complètement ignoré la guerre culturelle qui lui est faite sur le même rythme que celle qui implique les armes des grandes puissances et dont elle ne subodore pas les conséquences à long terme. Car on contrôle beaucoup mieux une population de l’extérieur et de l’intérieur en lui lavant le cerveau et en lui inoculant une nouvelle vision du monde anti-algérienne, Weltanschauung, faite de fantasmes français, marocains et saoudiens, que par un ordre militaire risquant un jour d’exploser.
Si l’Algérien souffre autant aujourd’hui de problèmes identitaires, c’est bien par la déculturation coloniale de l’empire français en Algérie, dont les pratiques génocidaires furent portées à l’extrême, et qui se perpétue aujourd’hui par un viol de l’identité algérienne, manifeste dans le reniement de soi de personnalités pourtant typiquement de chez nous.
A l’Algérie de répondre à cette guerre sournoise par tous les moyens nécessaires.
A. K.
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