Sur le projet de loi relative à la santé (I)
Par Bouderba Noureddine – Le Pramme des Nations unies pour le développement (PNUD), dans ses différents rapports, note à juste titre que «l’Algérie figure parmi les 10 pays au monde ayant amélioré le plus rapidement l’indice du développement humain (IDH). Mais il est important de préciser la durée sur laquelle cette performance est mesurée à savoir la période 1970-2010 ou 40 années. D’ailleurs une analyse de ce développement par décennie nous apprend que l’Algérie ne s’est classée au top 10 du classement du PNUD que sur la période 1970 – 1980 ou elle occupe le 6e rang des pays ayant le mieux réussi à améliorer l’IDH (cf rapport PNUD 1994).
Dans le domaine de la santé, l’Algérie a fourni, depuis les années 1960 et 1970, des efforts notables pour améliorer l’état de santé de la population. L’espérance de vie à la naissance est passée, selon l’ONS, de 50,3 ans en 1970 à 72,5 ans en 2000 puis à 77,6 ans en 2016. Cette amélioration a été rendue possible grâce à l’importante réduction du taux de mortalité (TBM) qui est passé de 17 pour mille (en 1970) à 4.5 pour mille (en 2015). Toutefois il faut souligner que cette amélioration n’a pas été linéaire durant cette période. C’est entre 1976 et 1989 qu’on observe le meilleur gain en termes de réduction du TBM (de 16 à 6 pour mille) soit une baisse de 60 %).
En 2000, les Etats membres des Nations ynies se sont engagés à œuvrer à la réalisation d’une série d’Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), appelant entre autres à une réduction, à l’horizon 2015, de trois-quarts du taux de mortalité maternelle (RMM, nombre de décès maternels pour 100 000 naissances vivantes) et de deux tiers le taux de mortalité infanto-juvénile (TMIJ-nombre d’enfants qui décèdent avant d’atteindre l’âge de 5 ans). L’Algérie n’a pas atteint, en 2015, les objectifs pour ces deux indicateurs importants pour évaluer tout système de santé. Le taux de mortalité maternelle, en 2015, est de 89 selon l’ONS. Cependant les derniers rapports des organisations internationales (OMS, ONU, Banque mondiale, Unicef..) l’évaluent à 140. Dans les deux cas le taux atteint est très en deçà de l’objectif du millénaire pour l’Algérie (qui était de 50 décès).
La même constatation est à faire concernant la mortalité infanto-juvénile des moins de 5 ans, qui demeure à un niveau élevé de 26 décès pour 1 000 naissances vivantes pour un objectif du millénaire pour l’année 2015 de 16 décès. Ces deux indicateurs sont nettement meilleurs dans les pays de la région à l’image de la Tunisie, la Jordanie, l’Iran ou même le Cap-Vert.
D’autres indicateurs nous éclairent aussi sur le chemin qui reste à parcourir par l’Algérie afin de répondre aux besoins de développement dans le domaine de la santé.
L’état nutritionnel des enfants est un indicateur de l’état alimentaire du pays. Les données de MICS4 Algérie 2012-2013 (enquête conjointe OMS-ministère de la Santé) indiquent que :
1- Les enfants qui souffrent de retard de croissance modérée et sévère représentent, en 2013, 11,7% dont 4% sévère contre respectivement 11,3% et 3% en 2006 (MICS3- 2006).
2- La surcharge pondérale, c’est à dire le pourcentage du nombre d’enfants présentant un excès de poids par rapport à leur taille, est de 12% en 2012-13 alors qu’elle était 9,3% en 2006.
Ce qui veut dire que l’état alimentaire du pays s’est dégradé ces dix dernières années en nombre et en sévérité. Ces enfants sous et mal alimentés se retrouvent essentiellement dans les catégories démunies et sont plus nombreux en zone rurale qu’urbaine.
3- En 2015, la couverture vaccinale, des enfants contre la diphtérie, le tétanos et la coqueluche est de 95% en Algérie alors qu’elle a dépasse les 98% en Tunisie, au Maroc, en Jordanie, au Rwanda, etc. En 2017-2018 cet indicateur s’est d’avantage dégradé et la vaccination elle-même semble s’orienter vers la discrimination puisque les vaccins sont introuvables dans les PMI mais proposés à 8 000 DA par des pédiatres privés (50% d’un bas revenu).
4- La proportion de la population ayant accès à l’eau potable est passée de 91,5 % en 1990, à 83,6 % en 2015 (source OMS 2017). Ce ratio est un autre indicateur déterminant de l’état de santé du pays. Tout comme le taux de la population utilisant des installations sanitaires assainies qui a régressé lui aussi de 02 points dans les zones urbaines durant la même période.
Enjeux du projet de loi relative à la santé
Notons d’abord que la santé intéresse la totalité de la population dont les besoins doivent être satisfaits et qu’un projet d’une telle importance aurait dû faire l’objet d’un débat large impliquant toutes les catégories sociales et non pas se limiter à un débat opposant le gouvernement aux seuls professionnels de la santé.
L’état de santé d’un pays est déterminé par les conditions de vie quotidiennes, par la réduction des inégalités dans la répartition des richesses et par un système de santé qui assure l’accès aux soins à toute la population sans aucune discrimination sociale, géographique ou financière. Autrement dit un système de santé qui assure une couverture sanitaire universelle et qui doit veiller à ce que chaque individu puisse utiliser les services de santé dont il a besoin sans risquer de se ruiner financièrement ou de s’appauvrir à cause de dépenses de santé catastrophiques.
Les dépenses de santé sont dites catastrophiques quand, pour payer les soins, les malades ou leur ménage doivent s’acquitter d’une participation financière très élevée par rapport à leur revenu qui les met devant deux choix : s’appauvrir ou renoncer aux soins.
Le projet de loi sanitaire vise à consacrer, définitivement, par le texte, le désengagement de l’état et l’abandon de la médecine gratuite. Ce qui aura pour effet une régression sociale qui sera caractérisée par un surcroit d’appauvrissement, d’inégalité et de renoncement aux soins pour une grande partie de la population.
Cette volonté de désengagement de l’état est inscrite dans les articles 343 à 348 du projet de loi sanitaire. L’article 343 stipule clairement que les obligations de l’état en matière de financement du système national de santé se limitent «aux actions de prévention, aux soins de base, aux soins d’urgence et des personnes en difficulté, aux programmes de santé, à la formation médicale des professionnels de santé et à la recherche médicale». Et l’article 348 le complète en stipulant que «les bénéficiaires de soins peuvent être appelés à contribuer au financement des dépenses de santé» se contentant d’ajouter que «la non-contribution au financement des dépenses de santé au niveau des structures et établissements publics de santé ne peut constituer un obstacle à la délivrance des soins… notamment les soins d’urgence».
Ces dispositions constituent l’arrêt de mort de la gratuité des soins en Algérie consacrée par la loi en vigueur selon laquelle «les prestations de soins, définies comme étant l’ensemble des actions de santé publique, les actes de diagnostic, le traitement et l’hospitalisation des maladies, sont gratuites dans l’ensemble des structures sanitaires publiques». (art. 22 de la loi 85-05).
Dans le préambule du projet de loi, cette remise en cause de la gratuité des soins est motivée par «la difficulté, pour l’Etat, de mobiliser d’autres ressources pour la prise en charge d’une demande de services en constante augmentation, compte tenu des données démographiques et épidémiologiques». D’où la nécessité d’une «mutualisation des potentialités des secteurs public et privé de santé», qui passe par le «soutien au rôle du secteur privé» (érigé au même niveau que le secteur public) et par la «modification de l’établissement public de santé en lui conférant le statut de l’établissement public à gestion spécifique» pour permettre la création de «groupement d’établissements de santé» (entre public et privé). Tout un dispositif pour consacrer la fin de la médecine gratuite et ouvrir la voie à la privatisation des soins et de la gestion des établissements publics de santé par le privé dans le futur.
Le secteur privé ne peut être assimilé au secteur public ni placé sur le même pied d’égalité. L’état a pour mission, et même pour obligation, de répondre aux besoins de santé de la population en investissant dans les établissements publics de santé, dans la recherche et la formation, la prévention et dans l’acquisition des équipements médicaux en fonction de ces besoins ; alors que le déterminant premier du privé est le profit. Le privé n’investira pas dans des activités non ou peu rentables ou dans des régions reculées.
La vraie mutualisation à mettre en œuvre n’est pas celle des «potentialités des secteurs public et privé de santé» visée par le projet de loi, mais celle des risques de santé en faisant jouer la solidarité entre les malades et les non malades par le biais d’un secteur publique performant financé par une fiscalité progressive et d’un système d’assurance maladie assurant une couverture universelle n’exigeant pas des malades de payer au moment des soins des montants qui vont les appauvrir ou les pousser au renoncement aux soins.
Cette nouvelle orientation n’aboutira qu’à la marchandisation des soins. Pour les auteurs de ce projet la sécurité sociale, les ménages et les collectivités locales sont appelés à une plus grande contribution au financement du système national de santé pour suppléer aux conséquences du désengagement de l’Etat.
Or les collectivités locales font face à une véritable crise de financement qui ne leur permettra pas de jouer ce rôle. La sécurité sociale est au bord de l’explosion face à une absence d’une volonté politique axée sur une stratégie de mobilisation de ressources et face à une demande accrue en matière de prestations. Quant aux ménages 80 % d’entre eux (les moins aisés) consacrent plus de 50% de leurs dépenses aux seuls produits alimentaires et ne pourront, de ce fait, faire face à un surplus de dépenses en matière de santé.
Dans les chapitres qui vont suivre, nous allons examiner si l’Etat est effectivement arrivé à des limites en matière de financement de la santé publique ; si le système de Sécurité sociale dispose de réserves qui autoriseraient à le solliciter davantage en matière de financement de la santé. Puis la suite de cette contribution abordera les thèmes «Pourquoi une pression supplémentaire sur les ménages en matière de financement serait préjudiciable à la cohésion sociale» ; «La prise en charge des démunis» ; «Le passage obligatoire par un médecin référent pour accéder aux services publics spécialisés de santé» ; «L’activité complémentaire» et enfin «Le service civil».
B. N.
(A suivre)
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