Contribution du Pr Abdellali Merdaci – Le bachagha Boualem et l’antisémitisme
Par Pr Abdellali Merdaci – Paris fait grand bruit de meurtres crapuleux, en 2017 et en 2018, de deux vieilles dames françaises de confession juive – et, seulement, en raison de cela. Les assassins, vite identifiés, des Français, pas nécessairement des musulmans, sont des voisins connus des victimes, de leur famille et de leur entourage. Dans une France où tout ce qui touche aux juifs et au sionisme tueur d’enfants à Ghaza et spoliateur de terres palestiniennes, est suspect d’antisémitisme, ces meurtres ont été, sous une forte pression médiatique dans le cas de Sarah Halimi, et sans le préalable de l’enquête judiciaire, pour Mireille Knoll, qualifiés de «meurtres antisémites». La mort violente de deux Françaises est condamnable et tout autant les voyous qui l’ont infligée. Or, ces deux meurtres, notamment celui de Mireille Knoll commis par des délinquants notoires avinés, sont attribués à l’islam, suscitant en France une imparable levée de boucliers contre un «nouvel antisémitisme».
Un manifeste, signé par trois cents personnalités des champs intellectuel, artistique, littéraire et politique français, initié par le journaliste Philippe Val, ancien directeur de Charlie Hebdo, publié dans l’édition du Parisien du 22 avril 2018, évoque «une épuration ethnique à bas bruit». En fait, si le sens des mots n’est pas dévoyé – Dachau, Buchenwald, Treblinka, les camps et la solution finale nazie dans la France du XXIe siècle –, pourquoi une criminalité ordinaire, qui relève du commissariat de police de quartier, ruinerait-elle l’unité de la République française, longtemps première puissance coloniale dans le monde, aujourd’hui fer de lance, politique et militaire, de l’Union européenne, capable de mener de terribles guerres punitives hors de son territoire ? Où est, en l’espèce, la juste mesure de ce battage médiatique ?
Cette charge bruyante contre un «nouvel antisémitisme» n’est pas sans arrière-pensées étroitement politiques. Il est illusoire de croire qu’il existe un islam spécifiquement français qu’un gouvernement, réputé laïc, devrait réformer à l’échelle de mœurs occidentales. Les islamologues de l’université française savent parfaitement qu’hors de l’ijtihad, le texte du Coran n’est ni amendable ni corruptible. Ce débat, porté par les droites en France, vise expressément l’islam et les musulmans, qui seraient inassimilables à la règle occidentale et à la tradition judéo-chrétienne, échappant aux normes de son droit. Voilà les éléments d’un contre-récit national français : depuis plus d’un demi-siècle, au gré du démantèlement de son ancien empire colonial en Afrique et en Asie, la France a admis sur son sol et naturalisé des millions de ressortissants étrangers, principalement de pays maghrébins et subsahariens, désormais acteurs d’une société multiculturelle, éloignée de l’image surannée de «fille aînée de l’Eglise», désespérant le crédo «nos ancêtres les Gaulois» de l’historien Ernest Lavisse et déclassant les valeurs héritées de la Ire République, «Liberté, Egalité, Fraternité», vieilles lunes sur les frontons de ses institutions publiques.
Il est indéniable, aujourd’hui, que cette «France nouvelle», premier pays musulman d’Europe, où l’élément blanc fondamental s’estompe dans ses territoires de la précarité, inquiète l’académicien Alain Finkielkraut et ses épigones. A terme, le croît démographique arabo-africain, foncièrement musulman, prendra le dessus dans les cités, singulièrement. Et, épisodiquement, des Français, de confession juive, s’y sentiront à l’étroit et même menacés, pour les quitter. Est-ce là «l’épuration ethnique» dénoncée par Val et ses amis ? Beaucoup de Français refusent cette situation et ont, certainement, d’évidents motifs de la refuser ; mais elle a été créée et imposée par leurs gouvernants. Longtemps pays colonisateur, la France sera inévitablement à son tour colonisée par des populations de cultures différentes, naturalisées françaises, défendues par ses lois et aussi par celles de l’Union européenne, qui ne croient en sa démocratie que dans la stricte limite où elle sert leurs attentes.
Ces néo-Français ont pris place au centre du pouvoir politique. Les Français connaissent, déjà, des ministres d’origine arabo-musulmane dans les gouvernements de leur pays – le général De Gaulle y avait appelé Mademoiselle Sid-Cara (Mila, Algérie) et, à sa suite, les présidents Sarkozy, Hollande et Macron auront leurs ministres de la «diversité» ; et un président de la République issu de la communauté arabo-musulmane n’est plus à exclure. Les vaticinations littéraires de Michel Houellebecq (Soumission, Paris, Flammarion, 2015) entrent-elles ainsi de plain-pied dans la réalité d’une France subjuguée, faisant corps contre son islam et ses musulmans ?
L’islamophobie, bien réelle dans le discours de l’intelligentsia française médiatique, explose en prurits saisonniers. Le manifeste de Philippe Val et de ses trois cents cosignataires sur un «nouvel antisémitisme», absolument musulman, en est l’exemple ravivé. En quoi cette nouvelle agitation islamophobe d’élites parisiennes, liée à la question irrésolue de la sensible et inéluctable transformation de la population française au décours de siècles coloniaux, intéresse-t-elle les Algériens ? Lorsqu’à Paris, les jactances, nocturnes et débridées, sont tirées contre l’islam, il n’est pas exclu d’y trouver en bonne position Boualem Sansal, sa toge purpurine de bachagha félon et ses breloques de la France littéraire, qui n’a jamais fléchi dans sa haine de l’islam, des musulmans et de son pays natal.
Dans le manifeste de Philippe Val, il est juste de retenir cet appel angoissé, ultime et symptomatique avertissement avant la chute : «Avant que la France ne soit plus la France». Appartient-il légitimement à un Algérien – Sansal l’est-il encore ? – de se préoccuper de ce que la France doit – ou ne doit pas – être ?
Plus français que les Français, plus juif que les juifs
Pour comprendre cet activisme malséant du bachagha «Boualem» des lettres algériennes, traînant sa litanie de vilénies et de forfaitures, il faut revenir aux éléments décisifs de son parcours, qui intéresse aussi bien la science politique que l’histoire littéraire. Au départ, rien ne prédestinait à une carrière littéraire ce lecteur de Jean Bruce et James Hadley Chase (dans des traductions) qui, pour ce qui ressort de la littérature algérienne, ne s’autorisait que du voisinage du défunt Rachid Mimouni, qui lui aura servi de commode caution à ses débuts. La seule écriture dont peut se réclamer Boualem Sansal, dans laquelle il aura excellé, est celle du haut commis de l’Etat au ministère de l’Industrie où il aura, tout au long des années 1980 et 1990, crânement mis en musique la déstructuration du tissu industriel algérien, décidée par le président Chadli Bendjedid, sur injonction des experts du FMI et de la Banque mondiale, et continuée par ses successeurs. Une écriture grumeleuse, aux encres fétides, charriant des résidus inaltérables d’un style de perfide bureaucratie casquée, quasi-révulsant, qui vous fait tomber ses récits des mains, parfois dès la troisième page.
Après un quart de siècle de sombres magouilles dans les cabinets ministériels, adoubé par les services de sécurité et le défunt article 120 des statuts du FLN, Sansal s’est projeté dans l’habit du romancier, trop large pour ses maigres dispositions intellectuelles et littéraires. Il est entré par effraction dans la coterie des lettres et il y a prospéré non pas par la qualité de sa langue littéraire et par son inventivité, mais par un opportunisme forcené.
En 1999, les éditions Gallimard, à Paris, puissant groupe éditorial, publient, au sortir de la crise politique et militaire qui a bouleversé l’Algérie des années 1990, un roman que l’auteur a envoyé par la poste. Le Serment des barbares a été hissé sur le pavois non pas par la France, ses lecteurs et ses journaux littéraires, mais par les Algériens qui ne l’avaient même pas lu. L’estampille Gallimard était une garantie. Trois autres opus (L’Enfant fou de l’arbre creux, 2000 ; Dis-moi le paradis, 2003 ; Harraga, 2005) ont suivi, marqués par l’échec. Cependant, le haut fonctionnaire entendait préserver ses droits à une carrière protégée dans les rouages de l’Etat, tout en aiguisant une critique à l’os contre le président Bouteflika et son imprenable «système», ce même «système» qu’il a servi de longues décennies comme une gagneuse décatie, sans trouver à y redire. En 2003, le président Bouteflika, excédé, qui trouvait intolérable cette déloyauté d’un factotum enluminé envers la main qui le nourrissait, signait son renvoi avec effet immédiat de la haute administration.
Sans emploi, piètre écrivain pour forcer les portes du succès, Boualem Sansal décide de faire le choix gagnant d’Israël et du sionisme pour relancer une carrière littéraire sans retentissement. Il en donne, en 2008, le vif témoignage dans Le Village de l’Allemand. Le Journal des frères Schiller et dans ses nombreuses interventions dans les médias français en marge de ce roman, couronné par de prodigieuses ventes et traduit en plusieurs langues. Sansal a trouvé la recette du succès littéraire en France. Taper sur l’Algérie et les Algériens, tout en s’appropriant une conscience juive malheureuse. Mais l’incrimination nazie de l’ALN, et au-delà de ses rangs, du mouvement national, au cœur de son récit, reste caricaturale.
Tour à tour, à la parution de l’ouvrage, Mohamed Bouhamidi, le regretté Omar Mokhtar Chaalal, Rachid Lourdjane, l’auteur de ces lignes (Algérie, une suite allemande, Constantine, Médersa, 2008) et, récemment Rachid Boudjedra (Les Contrebandiers de l’Histoire, Tizi Ouzou, Les Editions Frantz Fanon, 2017) ont démonté le fragile écheveau projeté par Sansal : la Guerre de libération nationale, œuvre d’une armée nazie et les Algériens, irrécupérables fomenteurs de pogroms. Mais l’écrivain, recruté demi-solde du sionisme international, avait donné de solides gages pour mériter l’appui sordide de Pierre Assouline, chef de file du lobby sioniste dans le champ littéraire français, et de sa compagnie de plumitifs égrotants.
En 2011, dans Darwin, son sixième roman, outre l’hommage appuyé à Pierre Assouline, Sansal revendique la parentèle d’une maquerelle des bordels du piémont de l’Ouarsenis et une filiation juive. La suite est connue : le voyage en Israël, la kippa au Mur des Lamentations, au printemps 2012, les interventions intempestives aux diners du Crif où il s’affirmait plus juif que les juifs, répétant à l’envi que les Palestiniens n’ont jamais envisagé d’avoir une terre à eux et leur indépendance, promouvant l’alaya des juifs français auprès d’Israël, et, plus français que les Français, regrettant de voir la France se dépeupler de ses juifs. En 2014, il s’en prenait publiquement à Irène Bokova, alors directrice générale de l’Unesco, à propos d’une manifestation célébrant Israël, déprogrammée à la demande des ambassadeurs de la Ligue arabe auprès de l’institution. Il parlait alors d’une même voix que Benjamin Netanyahou, qui l’avait inscrit au comité d’organisation de cette manifestation sioniste.
Israël, les juifs et le sionisme : un providentiel marchepied
Il est clair que le bachagha «Boualem» peut écrire mille romans, soigneusement colligés par son directeur de collection chez Gallimard, Jean-Marie Laclavetine, il n’aura jamais le talent de Mouloud Feraoun (d’après Le Fils du pauvre, 1950-1954), Mouloud Mammeri, Mohammed Dib, Kateb Yacine, Malek Haddad et Rachid Boudjedra. Et, pourtant, ces auteurs d’œuvres algériennes, exceptionnellement fécondes par leur langue littéraire, n’ont pas reçu, en leur temps d’errance et d’exclusion, de significatives récompenses françaises. Le rabouilleur Sansal y est constamment poussé et magnifié : c’est, aujourd’hui, l’écrivain le plus primé, en France, de la littérature algérienne de langue française.
Dans l’univers des lettres parisiennes, son activisme pro-sioniste n’aura pas été vain. Il ne le sera pas davantage pour son féal Kamel Daoud, auteur en 2014 d’un récit emberlificoté, réécrit pour le lectorat français par son éditeur Actes Sud, propulsé au sommet de la littérature française par le même Assouline, quasiment «scotché» par son indifférence proclamée et surjouée envers les Palestiniens, massacrés par l’armée israélienne dans la bande de Ghaza (opération «Plomb durci», printemps-été 2014) au moment où était diffusé en librairie son Meursault. Le trublion oranais recevait et acceptait sans barguigner la pesante protection du boucher de Tripoli, Bernard-Henri Lévy.
Cependant, Sansal n’est mû que par de fracassantes ambitions de gloire littéraire et il est convaincu de l’urgence de maintenir son soutien public au sionisme et au néocolonialisme français, allant dans ce registre jusqu’à assimiler les combattants et martyrs de la Bataille d’Alger, en 1957, au terroriste islamiste endeuillant la ville de Nice, au mois de juillet 2016. Ce soutien, toujours renouvelé, reste pour lui une assurée et payante stratégie d’écrivain. Dans les faits, cette stratégie roublarde, marquée au sceau de l’insincérité, enregistre de trop visibles ratés. Ainsi sur l’antisémitisme, intolérable en toutes ses manifestations.
Au mois de janvier 2018, courant au secours d’Antoine Gallimard, son éditeur et bienfaiteur, projetant de publier intégralement les pamphlets antisémites de Louis-Ferdinand Céline (Bagatelles pour un massacre, 1937 ; L’Ecole des cadavres, 1938 ; Les Beaux draps, 1941), le bachagha «Boualem» déclarait à l’hebdomadaire parisien L’Obs (n° 2774, 4-10 janvier 2018) que «les livres de Céline ne vont ni augmenter ni diminuer l’antisémitisme». Et, il donnait licence à cet antisémitisme au nom de la liberté d’expression : «Le Céline des pamphlets ne vaut pas le coup de risquer de ruiner cette chose miraculeuse qu’est la liberté d’expression, dont la liberté d’édition est le vecteur et le levier». Ces propos cyniques sont proférés au moment où l’écrivain Alain Soral et son comparse l’humoriste Dieudonné M’bala M’bala étaient poursuivis et condamnés par un tribunal parisien pour écrits et propos antisémites. Annick Duraffour et Pierre-André Taguieff ont établi dans un ouvrage documenté (Céline, la race, le juif. Légende littéraire et vérité historique, Paris, Fayard, 2017) la virulence des pamphlets antisémites de Céline, qui, sur le long terme, seraient plus préjudiciables que les couteaux des «racailles» à capuche des banlieues françaises.
Lorsque son éditeur est en cause, Sansal navigue dans les eaux putrides de l’inconstance, faisant prévaloir sur l’antisémitisme des positions à géométrie variable. Son philosémitisme circonstancié est temporairement rangé au tiroir des farces et attrapes. Il estime subséquemment qu’il faut laisser s’exprimer le Céline rageusement antisémite dont les pamphlets sont autrement plus dangereux et pernicieux que des voyous assassins de vieilles dames à Paris. C’est ce même Sansal, chevalier blanc de la liberté d’expression, qui milite pour une diffusion à grande échelle de la littérature antisémite de Céline, qui s’associe, en ce mois d’avril 2018, à la publication d’un ouvrage collectif Le Nouvel antisémitisme en France (Paris, Albin Michel), introduit par l’islamophobe décomplexée Elisabeth De Fontenay, dont le seul objectif de mettre l’islam au ban de la société française et de crier : «L’Islam, voilà l’ennemi !». Cette fatrasie islamophobe est écrite, selon la presse française, «avec l’énergie de la colère». Ce qui n’en fait pas précisément une référence d’objectivité.
Certes, cette colère, le bachagha des lettres algériennes n’en a pas manqué chaque fois qu’il s’est agi, répondant aux desiderata de ses commanditaires, de dresser des bûchers pour cramer l’islam, les Arabes, les musulmans, l’impénétrable «système» d’Alger, les Algériens et leur guerre anticoloniale bassement insultés, auxquels il opposera son origine marocaine comme pour s’en prévenir et s’en démarquer. A cet exercice de tireur embusqué, le bachagha scélérat, premier de cordée de la harka «mtornie», est infaillible. Il sait qu’à Paris et en Occident cette disponibilité à tirer – «dans le dos», comme les harkis, de sinistre mémoire – est extrêmement rentable en termes d’exposition médiatique, de ventes en librairies et de traductions internationales de ses ouvrages. Et même l’Académie française s’y est compromise pour entrer dans le cloaque de l’indignité en attribuant son grand prix du roman à l’indigeste 2084. La fin du monde (2015), au moment où les jurés Goncourt, en conclave à Tunis, se gardaient prudemment de s’y brûler les ailes.
Cette course effrénée aux prix littéraires, cet écrivain médiocre ne l’a pas entreprise seul, sans relais. Jusqu’à quel point ses alliés, les agents du sionisme dans le champ littéraire français, qui font et défont les notoriétés, en payant d’infrangibles succès et fortunes littéraires leurs affidés arabo-musulmans sans foi ni loi, y souscriront-ils encore ? La stratégie d’écrivain de Boualem Sansal, assujettie au sionisme international et au néocolonialisme français, ses postures invraisemblables d’imprécateur avachi, ne supporteront pas longtemps le poids de l’inconséquence. Elles sont condamnées à l’épuisement. Il faudra bien qu’elles apparaissent pour ce qu’elles sont : un infâme opportunisme d’un castrat de l’écriture plus proche du style injonctif et du papier pelure de l’administration que du bonheur de la créativité littéraire.
A. M.
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