Contre l’idéologie harkie – Des harkis colonisés (5)
Par Kaddour Naïmi – Suite au texte sur les guerres patriotiques vietnamiennes, un lecteur a écrit ce commentaire :
«Honte.
guerre du Vietnam,
faudra qu’un jour les colonisés (africains) qui sont allés combattre les Vietnamiens chez eux pour le compte de la France coloniale présentent leurs excuses au peuple vietnamien,
avant d’en vouloir aux Français, Anglais, Espagnols, Portugais, Belges, Hollandais qui sont des colonisateurs et aux Américains qui font la guerre à tout le monde, il faudra que les colonisés fassent leur propre mea culpa, c’est une honte que des colonisés aillent combattre des peuples qui veulent leur liberté, quelque 200 000 Africains ont pris les armes contre des colonisés comme eux, mais qui combattaient pour la liberté, on peut comprendre la participation aux deux guerres mondiales,
la preuve que ces tirailleurs ne combattaient pas avec la France naïvement pour obtenir l’indépendance promise, c’est qu’ils sont allés combattre les Vietnamiens après 1945, alors que la promesse n’a pas était tenue, les tirailleurs africains mourraient pour leur mère patrie,
et durant (…) les guerres de libération des pays africains, ces tirailleurs ont pris les armes contre les leurs au profit du colonisateur, pour l’Algérie seulement parmi les 500 000 soldats en opération en Algérie de 1954 à 1962, 250 000 étaient des Algériens, et l’ALN ne disposait que de 20 000 combattants au max, c’est une honte, faut pas parler de la guerre de libération du Vietnam, les tirailleurs africains sont des colonisateurs pour le Vietnam, le colonialisme est un fait de colonisés d’abord, tout comme l’esclavagisme était le fait d’Africains noirs qui vendaient les leurs aux négriers européens, celui qui devient son propre colonisateur ne mérite aucun respect.»
Ce que vous dites est vrai. En écrivant l’article, j’avais en tête cet aspect. Cependant, il m’a semblé que cette action de harkis indigènes était négligeable en comparaison de l’action colonialiste française. Toutefois, merci d’avoir ajouté cette précision.
Puisque vous avez justement soulevé l’argument, permettez-moi d’ajouter un fait familial, et d’en tirer les leçons générales.
Mon oncle maternel fut l’un de ces harkis dans l’armée coloniale française en Indochine.
Il s’engagea dans cette armée tout jeune. Voici le motif. Il avait fui le douar de montagne où il était né, parce que son père était mort et sa mère était incapable de subvenir à ses besoins alimentaires, lui et ses petites sœurs. En vagabondant, il échoua à Sidi Bel-Abbès, tout seul, sans avoir de quoi manger ni dormir. Il vécut dans la rue, toujours en vagabond. Bien entendu, il était analphabète, ne savait faire aucun métier et manquait de conscience sociale.
Finalement, pour ne pas mourir de faim, il ne trouva pas mieux que de s’engager dans l’armée coloniale française pour 5 ans. Ainsi, croyait-il, il aurait à manger et où dormir. Il ignorait le reste.
On l’envoya en Indochine, avec d’autres Algériens. Tous avaient fini dans cette aventure à cause de la faim, de la misère matérielle et culturelle.
Quand mon oncle fut pris par des patriotes vietnamiens, il eut peur d’être torturé puis tué sur place par eux.
Au contraire, ils ne lui firent aucun mal. Ils lui dirent seulement ceci, en substance :
«Tu sais que tu es un colonisé comme nous. Alors, au lieu de venir nous tuer, nous qui combattons contre le colonialisme, qui domine aussi ta patrie, retourne chez toi, et toi aussi, combats le colonialisme dans ta patrie.»
Quand mon oncle retourna en Algérie, il voulut rejoindre l’Armée de libération nationale algérienne. Quand il réussit à établir un contact, un responsable lui demanda de rester dans l’armée coloniale, comme agent de renseignement pour les patriotes algériens. Ce qu’il fit.
Ceci dit, pour un Algérien qui a fini par prendre conscience, grâce à l’intelligence de patriotes vietnamiens, de son devoir social authentique, trop d’autres n’eurent pas cette chance. Ils restèrent des harkis de l’armée coloniale.
Doit-on les condamner ? Exiger d’eux de demander pardon ?… Pour cela, il faudrait d’abord les aider à prendre conscience de leur aliénation, leur faire comprendre que leur action harkie fut causée par leur misère matérielle et culturelle. Ceci n’est pas dit pour justifier leur action de harkis du colonialisme, mais pour comprendre que ces personnes furent d’abord les victimes d’un système de domination coloniale qui les avait transformées en rouages aliénés du colonialisme.
Dès lors, c’est l’oligarchie colonialiste qui est à condamner. Et de celle-ci, nous savons que nous ne devons nous attendre à aucun repentir de sa part. La preuve : est-ce que les criminels coloniaux français, impérialistes américains, européens et israéliens font preuve d’un quelconque repentir ?
La seule action à faire n’est-elle pas de s’efforcer à aider les gens du peuple, que ces oligarchies transforment en agents de leurs crimes, à savoir qui est leur véritable ennemi et qui est leur réel ami ?
K. N.
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