Le projet d’émancipation humaine dérouté par la réaction
Par Mesloub Khider – «Ceux qui font des révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau», avait proclamé en 1794 le révolutionnaire français Saint-Just. J’ajouterai, pour ma part : «Ceux qui vivent à moitié de leur dignité humaine ont déjà rejoint de leur vivant l’outre-tombe.»
Notre époque est cernée de toute part par les forces réactionnaires. Qu’elle s’exprime sous la forme religieuse, nationale, raciale ou tribale, la réaction a le vent en poupe. Partout dans le monde, sa force idéologique est inversement proportionnelle à la faiblesse des mouvements progressistes. La réaction dicte nos conduites, nous impose sa pensée conservatrice. Le projet d’émancipation sociale, longtemps porté par la classe ouvrière, sujet historique, selon le schéma marxiste, est en berne.
Parmi les mouvements réactionnaires les plus revendicatifs, vindicatifs, actifs, primitifs, apparus ces dernières décennies sur la scène internationale, l’intégrisme islamiste se positionne en haut de l’affiche du classement des forces obscurantistes.
L’idéologie archaïque islamiste s’est mise à s’agiter frénétiquement comme une bête blessée, au moment où les sociétés semi-féodales semi-coloniales des pays musulmans étaient bousculées dans leurs fondements. Au moment où sa base sociale s’étiolait et disparaissait, à la faveur de l’installation de nouvelles structures économiques, sociales, politiques et idéologiques. Autrement dit, au moment de l’implantation du capitalisme, de la modernité dans ces régions.
En outre, le surgissement de la réaction intégriste-islamiste dans les pays musulmans a été impulsé et favorisé par la domination impérialiste, par la multiplication des conflits transplantés dans ces pays par les puissances capitalistes en lutte pour le contrôle de ces régions stratégiques et pétrolifères. De surcroît, les tensions impérialistes se sont particulièrement accentuées après la disparition de L’URSS. En effet, au lendemain de l’effondrement du bloc soviétique, trépassé de sa belle mort après une vie flamboyante menée au sein d’un capitalisme d’Etat stalinien florissant assimilé mensongèrement au communisme, la nécessité de la redistribution de la carte du monde s’est imposée. Cette redistribution a aussitôt attisé l’appétit des puissances impérialistes et aiguisé leurs crocs de loups affamés de capital.
De manière insistante, tout le monde affirme, y compris les prétendus experts, que l’intégrisme-islamiste est une émanation de la mouvance religieuse radicale. Rien n’est plus faux. En effet, ce n’est pas la conscience qui détermine l’être, c’est l’être social qui détermine la conscience. En d’autres termes, l’esprit ne guide pas le monde. Ce sont les conditions socio-économiques qui impriment leurs marques à l’évolution d’une société.
Pour preuve, ce phénomène islamo-intégriste apparaît au moment de la domination mondiale capitaliste et, surtout, dans sa phase décadente. Et non à une époque antérieure ou à une toute autre période passée de l’histoire.
Ainsi, l’intégrisme islamiste ne découle pas d’une mouvance religieuse radicale. Pour preuve, même un voyou notoire ou un toxicomane invétéré, de souche française, peut se métamorphoser en islamiste terroriste, à la faveur d’une radicalisation opérée par un intégriste musulman de manière in vivo ou in vitro (via les réseaux sociaux). Pareillement, un authentique musulman modéré de souche arabe peut se muer en djihadiste sanguinaire, suite à des déboires personnels liés à sa vie intime ou professionnelle. Notre époque décadente favorise toutes les déviances, toutes les formes de violences à connotations criminelle, sexuelle, politique ou religieuse.
En fait, dans sa pratique islamiste intégriste, l’intégrisme n’exprime là que la forme et non le fond de l’opposition que ce courant représente et enrégimente. Dans son expression politique, la réaction intégriste islamiste est la forme qu’a prise la résistance nationaliste chauvine dans ces pays économiquement et industriellement arriérés, en proie à une crise économique profonde (en Algérie, cette expression de la crise de la société est portée par l’islamisme et le berbérisme irrédentiste, produits d’une Algérie en putréfaction économique, sociale et politique). L’islamisme, expression religieuse d’un combat politique, traduit la résistance de ce monde ancien, produit du mode de production archaïque féodal, à la pression du mode économique libéral moderne.
Pareillement, dans les pays occidentaux avancés du point de vue des forces productives et des moyens de production, confrontés à la crise économique systémique, on assiste à l’émergence du nationalisme chauvin patriotique, exprimé sous la forme du populisme.
Ces deux idéologies superficiellement contradictoires (l’intégrisme religieux versus l’intégrisme d’extrême droite) mènent en réalité un même combat d’arrière-garde dans les conditions de la crise économique structurelle de l’impérialisme.
L’intégrisme d’extrême-droite se développe dans tous les pays du monde, aux Etats-Unis, en Europe, et particulièrement en Israël. C’est dans cette perspective de décadence du système capitaliste mondial génératrice des intégrismes et des populismes qu’il faut inscrire, de manière générale, la maladie chronique du monde arabe affecté par la propagation pestilentielle de l’islamisme ; et de manière particulière, corollairement, la crise profonde du combat du peuple palestinien abandonné par le monde entier. Et aujourd’hui, par l’Arabie Saoudite et la majorité des pays arabes, ralliés officiellement au sionisme.
De manière générale, le repliement hystérique identitaire et le déploiement terroriste du religieux, dans ses versions islamique et judaïque (partiellement chrétienne circonscrite à l’Amérique) caractérisent notre époque affligée de dérélictions. Le projet d’émancipation social ayant brûlé ses vaisseaux, le monde, emporté par de multiples naufrages économiques, en proie aux tempêtes guerrières, aux noyades sociales, au tsunami du chômage endémique, au suicide collectif de la morale complètement à la dérive, le monde donc navigue à vue d’œil, sans capitaine vertueux salvateur au gouvernail, sans boussole politique libératrice, sans promesse d’accoster un jour à bon port, à la faveur d’un sursaut révolutionnaire.
Au contraire, les promesses de lendemains enchantés ne faisant plus recette, le mot d’ordre du monde contemporain capitaliste est : «Marche arrière toute !» Le choix du nom du nouveau parti de Macron, émanation du grand capital, n’est pas innocent. Il s’intitule «La République en Marche». Traduction en termes économique et social libéraux : mouvement en Marche… arrière, vers le XXe siècle ; mouvement en Marche pour la destruction de tous les acquis sociaux, la liquidation du code du travail, la privatisation totale des entreprises étatiques, la généralisation de la paupérisation.
Le pendant algérien est : le Mouvement apathique et pathétique vers le changement dans la continuité. Avec une dose de consanguinité. Pour mieux assurer au régime sa pérennité. Dans l’endogamie politique et la fraternité. Au moyen d’obséquieuses flatteries, prodiguées à la même royale présidentielle fratrie. Avec comme programme la perpétuation de la même flânerie économique, la même ânerie politique, la même connerie culturelle, la même niaiserie intellectuelle, la même agonie existentielle.
Pour revenir à la Palestine, il faut se rendre à l’évidence : la Palestine n’est pas près de recouvrer son indépendance. Par la faute des Arabes, en particulier, et des musulmans, en général, la cause palestinienne est discréditée, disqualifiée, dévoyée.
La cause palestinienne, problème colonial par essence, a été métamorphosée en lutte religieuse, en combat ethnique. La cause palestinienne a perdu sa dimension politique. En effet, ces trente dernières années, à la faveur de l’expansion de l’arabo-islamisme, de l’explosion de l’intégrisme-islamiste, la question palestinienne a été totalement phagocytée par ces entités réactionnaires. Elle s’est diluée en combat religieux. De problème colonial international, la question palestinienne s’est vue dégradée en problème religieux entre musulmans et juifs. De sorte qu’elle a perdu, aux yeux de l’opinion internationale, son caractère politique, sa dimension colonialiste. Les Arabes, en particulier, et les musulmans, en général, sont responsables de cette désaffection du soutien de l’opinion internationale au peuple palestinien.
Sait-on que 95% des fervents sionistes au niveau planétaire ne sont pas juifs ? Naguère, jusqu’aux années 1980, à l’époque du combat anti-impérialiste, anticapitaliste, avant l’émergence des mouvements islamistes, la cause palestinienne était portée aux nues. Elle constituait le ticket d’entrée dans l’engagement politique. Tous les partis de gauche, socialiste et communiste, étaient pro-palestiniens. Même au sein des formations politiques de droite s’exprimait une sympathie pour la cause palestinienne.
On peut dire que la majorité de l’opinion mondiale, en Occident comme dans les pays soviétiques, sans oublier les pays d’Amérique latine et de l’Afrique, en passant par les nations asiatiques, soutenaient la cause palestinienne.
Depuis, l’idéologie arabo-islamiste a dénaturé cette cause. A galvaudé la cause palestinienne. Elle a réduit la question coloniale palestinienne à une revendication religieuse islamique. Rendant ainsi service à Israël, cette entité sioniste raciste basée sur la religion.
Dès lors, aux yeux de l’opinion internationale, le «conflit israélo-palestinien» revêt un caractère religieux. Il s’inscrit dans un affrontement confessionnel entre juifs et musulmans. En raison de la discréditation du monde musulman, pollué par l’intégrisme islamiste, confronté à un terrorisme meurtrier massif, accablé par des guerres sanguinaires, accusé (à tort ou à raison) d’être responsable du terrorisme sévissant partout dans le monde, l’opinion publique internationale, à cause de la réduction de la question palestinienne à un problème religieux propagée par les musulmans en général, s’est détournée de la cause palestinienne. La majorité de l’opinion, favorisée par la propagande sioniste, a fini par se rallier à Israël, donc à la défense du sionisme.
C’est dans ce cadre qu’il faut inscrire la manipulation opérée par les sionistes sur l’amalgame entre antisionisme et antisémitisme. En effet, c’est à bon escient que le sionisme exploite cette dénaturation du projet de lutte du peuple palestinien pour l’assimiler à de l’antisémitisme. En particulier quand la lutte est portée par des non-Palestiniens, surtout des musulmans, immédiatement taxés d’antisémitisme. La réduction de la lutte du peuple palestinien à un conflit interconfessionnel entre musulmans et juifs a favorisé grandement cette manipulation. Le manifeste contre l’antisémitisme musulman signé par 300 personnalités, publié dans le journal Le Monde, vient nous rappeler à point nommé comment le lobby sioniste est parvenu à circonscrire toute critique contre Israël assimilée à de l’antisémitisme. Ainsi, le lobby sioniste est parvenu à jouer la carte religieuse afin de diviser pour régner.
En outre, à observer la compromission des principaux représentants officiels palestiniens, le président Mahmoud Abbas en tête, avec l’entité sioniste, pays théocratique et raciste, on saisit mieux les motifs de cette désaffection.
En vérité, la Palestine a toujours représenté un jeu politique pour les dirigeants bourgeois palestiniens uniquement intéressés par le pouvoir, et un enjeu idéologique pour tous les dirigeants des pays arabes et musulmans pour détourner l’attention de leurs populations respectives des problèmes sociaux, économiques et politiques internes. En réalité, tous ces dirigeants, valets de l’impérialisme, œuvrent à pérenniser cette occupation coloniale pour mieux assurer leur maintien au pouvoir. Et les derniers rebondissements intervenus en Arabie Saoudite nous le confirment.
Au final, la réaction islamique constitue la meilleure garantie pour l’Etat d’Israël, du fait de son alliance avec l »impérialisme et de la conservation des structures rétrogrades traditionnelles de la société arabe confrontée avec la supériorité technologique israélienne. Par ailleurs, la réaction islamique considère tout juif comme un sioniste. Et c’est exactement cela que tente d’accréditer le sionisme : ainsi, la réaction renforce davantage son alliance objective avec le sionisme.
De manière générale, la dévalorisation de la cause palestinienne (favorisée par l’idéologie réactionnaire islamiste) s’inscrit globalement dans le déclin du combat progressiste, le reflux mondial de la lutte du prolétariat, la régression de la conscience de classe, la décroissance de la classe ouvrière, le dépérissement des partis révolutionnaires, l’abâtardissement du marxisme, en un mot dans le repli du projet d’émancipation humaine.
Seule la reprise de la lutte radicale du mouvement ouvrier international dans une perspective de renversement du capitalisme pourra redonner ses lettres de noblesse au combat du peuple palestinien, combat conduit dans une optique à la fois anticapitaliste et anticolonialiste contre l’entité sioniste, loin des scories religieuses islamiques.
M. K.
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