Contre l’idéologie harkie… – Affectivité, femme, violence et harkis «intellectuels» (8)
Par Kaddour Naïmi – Dans cette partie, examinons deux autres thèmes principaux évoqués par les auteurs harkis du point de vue du raisonnement qui leur est appliqué. Pour éviter tout malentendu, affirmons ce principe : l’égalité des droits et devoirs entre l’homme et la femme, au-delà de leurs spécificités biologiques et des interprétations ségrégationnistes envers la femme, quelle qu’en soit l’origine.
En Algérie, dans le domaine affectif, donc sexuel, les limitations et répressions contraires à la raison sont graves. Mais sont-elles causées uniquement par l’islam et le coran en tant que tels ?… Dans la partie précédente de cette étude(1), nous avons montré l’existence de plusieurs formes d’islam, basées sur diverses interprétations du coran, parfois contradictoires, ayant débouché sur des conflits sanglants ; et cela juste après la mort du prophète.
Examinons à présent le problème de l’affectivité, de la sexualité, et, en particulier, de la femme (donc de l’homme) en Algérie.
Le procédé harki recourt à la confusion volontaire. En effet, peut-on confondre la situation telle qu’elle existe concrètement en Algérie avec celles en cours dans d’autres nations : Arabie Saoudite wahhabite, Afghanistan des talibans, d’une part, et, d’autre part, Indonésie, Chine (sans oublier les nations occidentales) ?… Certainement pas. Dans ce dernier pays(2), la femme musulmane jouit de droits que la femme saoudienne ou afghane n’a absolument pas. En Algérie, la situation est intermédiaire du fait de l’affrontement entre tendance démocratique laïque et tendance totalitaire intégriste.
En Algérie, notons également l’existence, certes minoritaire, mais à considérer, d’une part, de femmes musulmanes qui exercent leurs droits à l’égal des hommes, et, d’autre part, d’hommes musulmans qui manifestent un respect égalitaire par rapport aux femmes. Ces deux faits prouvent que ce n’est pas, automatiquement et obligatoirement, la foi qui oblige à une position subalterne de la femme par rapport à l’homme. Dès lors, il est incorrect de pointer uniquement l’islam et le coran comme seuls facteurs explicatifs de la situation de la femme en pays musulman. Et, si, en dépit de cette réalité, on vise l’islam et le coran en tant que tels, que fait-on, sinon participer à la propagande en faveur du «choc des civilisations», en sachant à qui cette vision profite ?
Par conséquent, l’observation empirique et la raison objective interdisent d’affirmer de manière généralisatrice et unilatérale que la situation de la femme en Algérie est causée exclusivement par l’islam et le coran(3). La réalité montre qu’il est plus conforme de déclarer : à une certaine interprétation de l’islam et du coran.
Et l’honnêteté analytique exige de confronter cette situation spécifique avec les diverses formes de domination de la femme par l’homme dans les autres cultures et religions. Alors, on constatera que la domination de l’homme sur la femme existe dans le monde entier, avec des aspects spécifiques, plus ou moins graves. Le mouvement féministe en est une preuve.
Ces affirmations ne visent ni à diminuer ni à occulter la gravité de la situation de la femme dans les pays où domine une interprétation intégriste totalitaire du coran ; ces affirmations visent uniquement à éviter une imputation absolue et exclusive contre les musulmans et leur livre sacré. Tout le monde s’insurge justement, si l’on confond sionisme et judaïsme (à part les sionistes, qui ont intérêt à cette confusion), impérialisme et christianisme (à part les impérialistes, pour cacher leurs buts agressifs derrière le masque évangélique). Dès lors, ne doit-on pas adopter la même correcte attitude s’agissant d’intégrisme islamiste et d’islam, en contre-position avec, d’une part, les intégristes islamistes, et, d’autre part, les impérialo-sionistes, qui trouvent chacun son intérêt à confondre les peuples musulmans avec la minorité intégriste se réclamant de l’islam ?
Autrement, à moins d’être un harki «intellectuel», on commet deux erreurs graves. La première est de ne pas rendre compte de la réalité telle qu’elle existe. La seconde est encore plus grave : c’est de cautionner la théorie du «choc des civilisations», à savoir que l’islam et le coran en tant que tels, sans aucune nuance, sont la «barbarie», laissant entendre que le christianisme et l’hébraïsme sont la «civilisation».
Depuis l’antiquité, les idéologues oligarchiques «chrétiens» ont opposé leur «foi» au judaïsme, considéré comme croyance impie des «assassins de Jésus». Là est la cause première et principale de l’antisémitisme. Alors que le coran reconnaissait la valeur de la torah. Et voilà que depuis la création de l’Etat d’Israël, et seulement alors, les impérialistes et les colonialistes sionistes découvrent la «civilisation judéo-chrétienne». Ah, bon ?!… Et, de la même manière qu’auparavant, le christianisme, censé être l’unique authentique religion, fut opposé au «barbare» judaïsme, voici que maintenant c’est le «judéo-christianisme» qui devient l’unique authentique religion contre le «barbare» islam. Scénario inchangé, seuls diffèrent les éléments en cause.
Nous avons déjà affirmé que la théorie du «choc des civilisations» est née précisément pour justifier les guerres d’agression des Etats-Unis et de leurs alliés, européens et colonialistes sionistes(4), contre les peuples de l’Afghanistan puis du Moyen-Orient, ensuite de l’Afrique du Nord. Nous constatons la situation actuelle de la Libye et la Syrie, en attendant le tour de l’Iran et de l’Algérie. Car les oligarchies dominant les autres pays de ces régions (Moyen-Orient et Afrique du Nord) sont déjà les harkis de l’impérialo-sionisme : Arabie Saoudite, Emirats arabes unis, Jordanie, Maroc, ou risquent de le devenir : Tunisie, Egypte. A ce sujet, les comportements de la prétendue «Ligue arabe» sont significatifs.
Faut-il, non pas pour justifier, mais simplement pour nuancer le problème de la situation de la femme par rapport à l’homme, ajouter d’autres précisions ?… Dans les pays «démocratiques», «développés», chrétiens, de foi hébraïque, confucianiste, hindoue, bouddhiste, shintoïste, animistes, etc., est-ce que la femme n’est pas encore soumise à certaines ségrégations par rapport à l’homme ? Par exemple, salaires inférieurs, positions de travail subalternes, harcèlements et chantages sexuels, objets de consommation sexuelle comme prostituées, objets d’érotisation publicitaire, femmes battues, violées et assassinées, par le conjoint ou quelqu’un d’autre.
Répétons-le encore, pour ne pas risquer d’être accusé de partialité. Il est vrai que la situation de la femme dans certains (et non tous, nous l’avons souligné) pays musulmans est nettement plus inique, plus cruelle et plus scandaleuse. Mais, encore une fois, est-il juste et correct de pointer la situation de la femme musulmane uniquement dans les pays de régimes les plus rétrogrades pour conclure que l’islam et le coran ne sont rien d’autres que «barbares» et à rejeter en bloc ?
En outre, parler uniquement de la conception de la femme contenue dans le coran, est-il objectivement correct, sans évoquer celles dans la torah et dans les évangiles ? Et sans comparer les textes fondamentaux des trois religions monothéistes avec les textes sacrés d’autres peuples, tels ceux de l’Inde, ainsi qu’avec des textes éthiques, tels ceux de Bouddha, Confucius, Lao Ze ? Sans oublier les écrits des antiques philosophes grecs (notamment Platon et Aristote, en contre-position avec Diogène de Synope et Epicure) ?
Cependant, les auteur-e-s harki-e-s présentent la frustration affective et sexuelle ainsi que la situation de la femme comme directement et exclusivement liées au coran.
Là, aussi, à moins de jouer (consciemment ou par ignorance) le rôle de harki du «choc des civilisations», autrement dit des guerres d’agression impérialo-sionistes, il faut veiller à tenir compte des distinctions et nuances existantes, parce qu’elles ne sont pas négligeables.
En effet, le problème sexuel et affectif est causé, comme expliqué auparavant, non pas par le texte religieux de référence en tant que tel, mais, encore une fois, par son interprétation unilatérale et exclusive. Et cela non seulement dans l’islam, mais dans les trois religions monothéistes, ainsi que dans les autres conceptions spirituelles non religieuses. Dans les textes de référence de toutes ces conceptions, sans exception, on trouve des déclarations affirmant l’infériorité de la femme par rapport à l’homme ; toutefois, certes exceptionnellement, on constate également des assertions mettant la femme à l’égal de l’homme. De là proviennent les interprétations différentes, quand pas opposées.
Comment les expliquer ?… La psycho-sociologie donne un éclaircissement. On observe une corrélation directe entre, d’une part, le parcours existentiel spécifique d’une personne (genre de famille, type d’éducation reçue, vie marquée plutôt par d’heureux bienfaits que par de cruelles injustices) et l’interprétation que cette personne fait de sa conception spirituelle (religieuse ou laïque). Cette observation mène à la question : comment expliquer le surgissement d’extrémistes religieux, alors qu’auparavant il n’existait pas ?… Nous en trouvons la cause dans les problèmes économiques, principalement, autrement dit dans l’exploitation outrancière de la majorité du peuple par une oligarchie minoritaire. Supprimez l’exploitation économique, vous n’aurez pas de problème religieux, c’est-à-dire que la religion ne constituera plus un ultime recours, soit comme arme de résistance, par les victimes de l’exploitation économique, soit comme arme de guerre, par des candidats visant à se constituer en caste dominatrice nouvelle sur les peuples musulmans. Alors, la religion sera un choix personnel de vie dans le domaine spirituel, sans porter atteinte à qui ne la partage pas.
Venons à la violence, que les auteur-e-s imputent uniquement à l’islam et au coran.
Résignons-nous à la macabre comptabilité à laquelle nous obligent les idéologues et harkis impérialo-néo-colonio-sionistes. Parler, justement, des événements atroces, tel le massacre de civils à Bentalha, en Algérie, durant la «décennie noire», doit-il faire oublier la Saint-Barthélemy dans l’Europe «chrétienne», les massacres de civils par l’armée «juive»(5) sioniste en Palestine (6) ?… Rappeler, justement, les violences qui accompagnèrent les conquêtes arabo-musulmanes, doit-il faire oublier les massacres de populations commises par les tribus d’Israël quand elles occupèrent la «Terre promise», et les massacres commis par les croisades «chrétiennes» ? Ou, encore, se taire sur les actions de la «chrétienne Europe» : le génocide des autochtones du continent américain et de l’Australie, les deux bombes atomiques sur des populations civiles (et non militaires) au Japon, les bombardements à tapis au napalm au Vietnam, les civils assassinés par les avions étatsuniens dans les guerres d’agression successives ?… Dénoncer, justement, la domination oligarchique du clergé musulman doit-il faire oublier l’Inquisition, l’importance actuelle du clergé rabbinique en Israël pour justifier la colonisation du territoire palestinien (pourtant reconnu par l’ONU comme lui revenant de droit) et du clergé pontifical romain dans le monde catholique ? Sans oublier les autres oligarchies «spirituelles» : bouddhistes, hindouistes, confucianistes, shintoïstes.
A propos de l’acharnement des sionistes colonialistes israéliens à supprimer le peuple palestinien, pourquoi n’évoque-t-on pas les passages de la bible où Yahvé justifie l’envoi du peuple juif sur la «Terre promise», et, en lui accordant la qualité de «peuple élu», l’autorise aux massacres des peuples qui habitaient cette terre, notamment les Cananéens ? Ce que les extrémistes religieux revendiquent comme légitimation de l’oppression actuelle contre le peuple palestinien. Enfin, évoquer les aspects violents contenus dans le coran doit-il porter à garder le silence sur les aspects violents contenus dans les évangiles et dans la bible ?… A ce sujet, en passant, une curiosité singulière : Michel Onfray, après avoir dénoncé les violences contenues dans les trois religions monothéistes, semble avoir oublié deux de ces religions, pour ne plus voir cette tare que dans l’islam et le coran. Décidément, l’heure est à la légitimation outrancière des agressions contre ces peuples musulmans qui ont le tort de posséder du pétrole et du gaz, ainsi qu’un territoire stratégique. Et, décidément, cette légitimation propagandiste fournit aux harkis «intellectuels» une vitrine médiatique, avec l’argent qui l’accompagne.
Actuellement, les peuples musulmans sont devenus les «Peaux-rouges», les autochtones australiens, les «colonisables», les «Jaunes», les «Nègres», les «juifs», les «Tziganes», bref, les «sous-hommes», la «race esclave», les «damnés» de l’impérialo-sionisme. Et voilà comment se «justifient» les agressions en cours et celles en préparation. C’est dire combien est extrêmement importante la résistance actuelle : armée chez les peuples agressés (et également culturelle), et culturelle chez les peuples en risque d’être agressés (sans négliger leur préparation armée). Il en va de la liberté solidaire des peuples contre l’exploitation économique, assurée par la domination militaire. A qui croirait que ce n’est là que des mots gratuits, voici un éclaircissement :
«(…) La toute-puissance de la Meute (d’autres disent la Secte), la bande de fous furieux qui a fait main basse sur le Quai d’Orsay ! Cette école française «néoconservatrice» est persuadée que les intérêts de notre pays résident dans une adhésion servile aux options décidées par Washington, aux intérêts d’Israël dont les dirigeants crachent au visage de la France chaque fois qu’ils le peuvent, sinon aux illusions réformatrices d’une Arabie Saoudite – grand modèle de démocratie ! – qui décapite chaque année plusieurs centaines de personnes à coups de sabre, tout en soutenant plus ou moins directement les fanatiques qui tuent des passants et des prêtres de nos villes, ainsi que nos soldats dans la région sahélo-saharienne !»(7)
Quant au sionisme colonialiste israélien, l’auteur écrit dans le même article :
«Plus sérieusement, les Français n’ont pas bien compris pourquoi ces bombardements syriens vous ont empêchés de condamner, ou à tout le moins de vous exprimer sur les dizaines d’enfants tués et blessés quotidiennement sur la frontière de Gaza et dans les autres territoires occupés palestiniens ? Ne parlons pas des milliers de victimes du Yémen, l’un des pays les plus pauvres de la terre, ravagé par le choléra, et les chasseurs saoudiens pilotés par des mercenaires ukrainiens et pakistanais. (…)
«Israël pousse l’Occident et les pays du Golfe à une guerre contre l’Iran qui risque de tourner à la déflagration générale. A ne pas avoir le courage de dire, une fois ne serait pas coutume, sa vérité à Tel-Aviv qui, rappelons-le, massacre quotidiennement les enfants des territoires occupés, nous n’éviterons ni cette guerre globale ni le déshonneur. Réactivant la sombre prédiction de Winston Churchill, au contraire, nous aurons assurément l’une et l’autre.»
Espérons que toutes ces observations suffiront pour montrer la validité de l’affirmation suivante : les droits humains, la libération de la femme, la pratique conviviale de la religion, la démocratie authentique sont des affaires internes aux peuples et aux intellectuels qui sont réellement à leur service. Cela exige la critique résolue, raisonnable et totale de toutes les formes de «culture» harkie, ces chevaux de Troie payés par les sangsues des peuples. Contre la «culture» préparant les agressions impérialo-sionistes par les armes, la culture authentique au service des peuples doit être une arme !
K. N.
[email protected]
(Suivra)
(1) https://www.algeriepatriotique.com/2018/05/07/religion-harkis-intellectuels/
(2) La région nord-ouest de la Chine, habitée par des musulmans ouïghours, a des problèmes, mais leur cause fondamentale n’est pas la religion ; cependant, un groupuscule extrémiste l’utilise comme instrument pour réaliser ses buts spécifiques. Tout comme au Tibet, la religion est utilisée à des fins politiques
(3) En passant, signalons ce commentaire du lecteur «Selecto» : «Nos écrivains [algériens ou d’origine] connaissent le nom de celui qui décide de leur sort, à savoir le Marocain Tahar Bendjelloune, qui est chargé officiellement par l’Académie française de l’étude et de l’attribution des prix aux écrivains maghrébins, Assia Djebar le savait, elle ne ratait pas une occasion pour déclarer que la seule ville où elle se sentait heureuse, c’était Marrakech, et deux semaines avant son admission à l’Académie française, elle a déclaré dans le journal Le Monde qu’elle souffrait toujours de son éducation musulmane.» https://www.algeriepatriotique.com/2018/04/27/contribution-pr-abdellali-merdaci-bachagha-boualem-lantisemitisme/#comments
(4) Pour ne pas tomber dans une confusion, il faut rappeler que les sionistes ne sont pas tous et automatiquement colonialistes. En effet, existent des sionistes qui croient à la nécessité d’un Etat israélien pour les juifs, tout en reconnaissant le droit du peuple palestinien à son propre Etat, sur la base des résolutions de l’ONU. Au contraire, les sionistes colonialistes, eux, refusent tout droit du peuple palestinien à un tel Etat, sous un double prétexte : que Dieu a «offert» la Palestine exclusivement au peuple juif, d’une part, et, d’autre part, que les Palestiniens sont des arabes, qu’ils devraient, par conséquent, aller vivre dans un Etat arabe, notamment la Jordanie. Par conséquent, dans ce texte, l’expression «impérialo-sioniste» vise uniquement les sionistes colonialistes
(5) Le terme est mis entre guillemets, car tous les juifs d’Israël et du monde ne se reconnaissent pas dans le sionisme colonialiste anti-palestinien. Voir mon essai La guerre. Pourquoi ? La paix. Comment ?… disponible ici : http://www.kadour-naimi.com/f_sociologie_ecrits.html
(6) Tel le massacre à Daïr Yassine, en 1948, voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Massacre_de_Deir_Yassin
(7) Richard Labévière, rédacteur en chef, 23 avril 2018, http://prochetmoyen-orient.ch/monsieur-le-president/
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