Contribution – Ah si De Gaulle savait ! Ah si Macron pouvait !
Par Mustapha Baba-Ahmed – De Gaulle a vécu deux mois de mai dans sa carrière de Président : celui de 1958 avec son fameux et ambivalent «je vous ai compris» aux pieds-noirs, du balcon du Palais du gouvernement à Alger, et celui de 1968 qui sera le prélude à son départ définitif, en 1969.
Appelé par le peuple français pour sortir le pays du guêpier de la guerre d’Algérie, il devait se faire à une réalité : le pays colonisé depuis 128 ans ne supportait plus la camisole ; pour cela, De Gaulle devait affronter les colons et les généraux qui les soutenaient. Il s’y est préparé et a forgé avec lucidité et sagesse la voie de la solution du problème, au risque de sa vie.
Mai 1968 a fait irruption dans une France relativement apaisée et dans un contexte mondial où les aspirations mobilisaient surtout les pays de l’ex-bloc socialiste. Le pays ne se distingue pas par des inégalités sociales particulières : De Gaulle n’avait pas fait la révolution libérale ; il avait même institué la participation et l’intéressement dans les entreprises pour adoucir le capitalisme dans la France qui vivait toujours les «Trente Glorieuses».
Mais le général avait deux ennemis : l’Amérique et Israël. Sur les conseils de Jacques Rueff, il avait tenu à obtenir la conversion en or des dollars que détenait la Banque de France ; seule la France avait osé en réaction aux difficultés de la monnaie américaine (déjà !). Le pays de l’Oncle Sam était agacé par la volonté d’indépendance de la France à l’égard de l’Amérique à propos du commandement de l’Otan de même que sur la politique au Moyen-Orient dont il disait qu’il était compliqué. Et De Gaulle était parvenu à doter son pays de l’arme nucléaire au grand dam de l’Amérique.
De Gaulle a heurté la sensibilité d’Israël quand il a déclaré au lendemain de la guerre des Six Jours, en juin 1967, que le peuple juif était «sûr de lui et dominateur». Le général ne devait pas culpabiliser à l’égard des souffrances de ce peuple pour le comportement de la France lors des évènements de la Seconde Guerre mondiale ; il représentait alors la France libre. Mal lui en a pris en 1967.
Macron est, aujourd’hui, devant un dilemme : il clame les «quatre commandements» pour affranchir l’Europe de la tutelle de l’Amérique. Mais la souveraineté de l’Europe ne peut être décrétée par le président français, fût-il Macron.
L’arme de l’exterritorialité qu’oppose l’Amérique au reste du monde se fonde, pourtant, sur une monnaie en perdition : le dollar ne dispose plus que de son droit de seigneuriage. Les fondamentaux de l’Amérique se reflètent davantage dans les deux déséquilibres jumeaux abyssaux (budget et balance courante) que dans les chiffres portant sur une croissance en demi-teinte et sur un taux de chômage cosmétique.
L’Amérique mobilise sa faiblesse grâce au levier de l’agressivité mystificatrice de Trump. Si l’Europe se laisse intimider en la circonstance, sa vassalisation sera irrécupérable. Ce n’est pas de discours ou de posture théâtrale qu’elle a besoin mais d’une décision circonstanciée. C’est là dessus que seront jugés par l’histoire ses dirigeants, d’autant que la croissance, qui reste balbutiante, en sera lourdement affectée.
L’Europe ne saurait exister par des décisions à la marge comme des regrets à l’égard de la décision de Trump d’installer la représentation diplomatique américaine en Israël à El-Qods. Elle a l’occasion unique, avant la consommation du Brexit, de capitaliser sur une position qui permettrait de minimiser les coûts économiques de la crise à l’est de l’Atlantique. La guerre commerciale conduite par Trump en serait inopérante.
Mais discours grandiloquents et activisme ne sauraient faire la grandeur d’un homme, encore moins celle d’un pays. Le capital aura bien étouffé la démocratie. 14 mai 2018.
M. B.-A.
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