Populisme : produit de la décomposition du capitalisme
Par Mesloub Khider – «Religion, mœurs, justice, tout décade. La société se désagrège sous l’action corrosive d’une civilisation déliquescente.» (Anonyme 1886)
A la déliquescence économique succède la décomposition politique. En effet, depuis quelques années, la crise économique se traduit en instabilité politique. Le paysage politique est totalement bouleversé. L’alternance bipartite traditionnelle, en vigueur depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, a volé en éclats. La scène politique est envahie par deux nouvelles formes de gouvernement : le populisme et le bonapartisme(1). Tous deux se voulant au-dessus des classes, mais de manière différente.
Le conservatisme néolibéral (responsable du krach de 2007-2008) et le keynésianisme social-démocrate (incapable de financer son Etat-Providence) sont en crise. En effet, ces deux courants idéologiques ont failli dans leurs promesses politiques d’éradiquer la misère du monde. Les modèles économiques libéraux et socio-démocrates ont démontré leur échec. Ils sont en pleine déconfiture.
Corollairement, les partis classiques gouvernementaux ont perdu leur crédibilité. Et les cirques électoraux n’attirent plus la foule moutonnière pour assister aux spectacles des clowns politiques, ni aux numéros des prestidigitateurs démagogiques. La crise politique est mondiale. Qu’il s’agisse de l’ébranlement total des Etats (Syrie ou le Soudan), de Brexit, de l’élection de Trump ou bien de la résurgence de l’extrême-droite, des partis islamistes, tous ces nouveaux phénomènes politiques traduisent la décomposition du système capitaliste.
Les médias et les politiques, pour analyser l’échec du système politique bourgeois, incriminent le «populisme», ce nouvel avatar de la politique. En effet, une large partie de ce bouleversement politique est remise sur le compte du «populisme». En vérité, le populisme, sous quelque forme que ce soit, a toujours occupé la scène théâtrale politique. Mais, aussi longtemps que les vieux partis bourgeois établis pouvaient prétendre apporter de l’espoir, il fut confiné aux marges du jeu et enjeux politiques. Parfois, comme un épouvantail aux fins de mobilisations au profit des partis traditionnels «démocratiques».
Cependant, la configuration politique s’est métamorphosée. Aujourd’hui, pour la bourgeoisie le «populisme» est maintenant synonyme de la montée des forces alternatives, menaçant ainsi le système qu’elle contrôle. Ces forces populistes ne jouent plus le simple rôle d’agitateurs pestiférés de la politique. Mais elles sont devenues des formations agissantes auréolées de respectabilité politique. Il est vrai que les forces populistes s’affirment partout dans le monde. Effectivement, après une longue stagnation économique, la montée des organisations populistes a pris plusieurs formes (le pendant du populisme dans les pays de confession musulmane est l’islamisme et l’irrédentisme).
En Occident, le populisme se décline en deux tendances situées sur les deux extrêmes de l’échiquier politique de la droite et de la gauche. D’une part, le populisme de Gauche (Podemos, Syriza, le Labour Party de Corbyn, le «socialisme» de Sanders, La France insoumise, etc.), issue de l’éclatement des vieux partis de la gauche, de la déliquescence des partis staliniens et socialistes. Ce populisme tente de canaliser le mécontentement grandissant des travailleurs par l’unique moyen pacifique du bulletin de vote pourtant désavoué par les travailleurs, sur un programme totalement inoffensif, ne remettant absolument pas en cause le capitalisme. Ce populisme, en dépit de quelques éphémères succès électoraux obtenus notamment en Espagne, s’essouffle. De fait, son échec est inexorable. D’autre part, le populisme de droite, récemment propulsé sur la scène politique à la faveur de la crise économique et de l’apparition de l’islamisme et du terrorisme islamiste en Europe. Il surfe sur la peur, la xénophobie. Néanmoins, il ne faut pas déduire que le populisme remettrait en cause et affaiblirait la démocratie bourgeoise et son Etat.
En réalité, aujourd’hui, toutes les fractions de la bourgeoisie sont réactionnaires. Le populisme, comme expression politique, appartient à la bourgeoisie et s’inscrit pleinement dans la défense des intérêts capitalistes. Les partis populistes (islamistes, berbéristes irrédentistes) sont des fractions bourgeoises, des parties de l’appareil capitaliste d’Etat totalitaire. Ce qu’ils répandent, c’est l’idéologie et le comportement bourgeois et petit-bourgeois décadents : l’ultranationalisme, le régionalisme, le racisme, la xénophobie, l’autoritarisme, le conservatisme culturel et religieux. Ils catalysent les peurs, expriment la volonté de repli sur soi, le rejet des «élites».
Ainsi, le populisme est un produit de la décomposition du capitalisme, troublant le jeu politique, avec pour conséquence une perte de contrôle croissante de l’appareil politique bourgeois classique sur le terrain électoral. Cela n’empêche pas la bourgeoisie d’exploiter autant que possible ce phénomène politique négatif pour la défense de ses intérêts. Notamment en vue de le retourner contre les classes laborieuses par le renforcement de la mystification démocratique. Particulièrement par le rappel insistant de l’importance de «chaque vote», en accusant l’absentéisme électoral de «faire le lit de l’extrême-droite».
Dans ce cadre, les partis traditionnels tentent eux-mêmes d’atténuer leur image impopulaire, en essayant de se présenter malgré tout comme plus «humanistes» et plus «démocratiques» que les populistes. De manière générale, le populisme est le produit de la décomposition du capitalisme. Il exprime l’incapacité des deux classes fondamentales et antagonistes, la bourgeoisie et le prolétariat, à mettre en avant leur propre perspective (guerre mondiale ou révolution). Engendrant une situation de «blocage momentané» et de «pourrissement sur pied de la société».
De toute évidence, dans cette actuelle phase de dégénérescence, la bourgeoisie n’est plus en mesure d’offrir un horizon politique capable de mobiliser et de susciter une adhésion. Inversement, la classe ouvrière ne parvient pas à se reconnaître comme classe. Elle ne joue aucun rôle véritablement décisif et suffisamment conscient. C’est cela qui a conduit à un blocage en termes de perspective. Marx lui-même au tout début du Manifeste communiste envisageait cette éventualité de blocage social tirée de l’expérience historique de l’évolution des sociétés de classe quand il écrivait : «L’Histoire de toute société jusqu’à nos jours, c’est l’histoire de la lutte des classes. Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurande et compagnon, en un mot : oppresseurs et opprimés se sont trouvés en constante opposition ; ils ont mené une lutte sans répit, tantôt déguisée, tantôt ouverte, qui, chaque fois, finissait soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la ruine des diverses classes en lutte.»
Aujourd’hui, avec les conditions actuelles : soit la classe révolutionnaire finira par s’imposer et ouvrira la voie vers le nouveau mode de production, le communisme, soit par incapacité ou défaite historique, la société capitaliste sombrera définitivement dans le chaos et la barbarie : ce serait alors la «ruine des diverses classes en lutte».
Par ailleurs, la faillite des régimes staliniens a favorisé le reflux de la conscience de classe et du mouvement ouvrier. Elle a permis à la bourgeoisie mondiale de renforcer le plus grand mensonge du XXe siècle, à savoir l’identification du stalinisme au communisme. Et d’alimenter ainsi une énorme campagne de matraquage idéologique pour proclamer la «faillite du marxisme» et la «mort du communisme», «la fin de l’Histoire».
C’est ce qui a conduit à l’idée qu’il ne reste plus aucune alternative à opposer au capitalisme. Cela explique les énormes difficultés que rencontre la classe ouvrière actuellement : la perte de son identité de classe, la perte de confiance en ses propres forces, la perte du sens de son combat, sa désorientation. C’est dans ce contexte de recul du mouvement ouvrier qu’il faut replacer la montée du populisme et des comportements antisociaux, de l’islamisme et des phénomènes irrédentistes. L’effacement de la classe ouvrière de la scène politique, l’effritement de la culture ouvrière, le déclin de la «morale» ouvrière ont laissé les coudées franches à la bourgeoisie décadente et à son idéologie mortifère.
En conclusion, dans cette phase contemporaine caractérisée par l’absence de toute perspective politique, la défiance envers tout ce qui relève de «la politique» s’accroît. Phénomène favorisé par le discrédit des partis traditionnels de la bourgeoisie. D’où le succès des partis populistes (islamistes) prônant comme instrument majeur de propagande un prétendu rejet des «élites». Cela débouche sur un sentiment répandu de no future, d’idéologies de repli sur soi, de retour vers des modèles réactionnaires archaïques ou nihilistes (en Algérie, l’islamisme et le berbérisme irrédentiste).
«La décadence d’une société commence quand l’homme se demande : « Que va-t-il arriver ? » au lieu de se demander : « Que puis-je faire ? »» (Denis de Rougemont).
Le bonapartisme est un concept marxiste qui désigne une forme de gouvernement bourgeois autoritaire, qui se place en apparence au-dessus des conflits de partis pour mieux maintenir un ordre menacé. La France de Macron s’apparente à une forme embryonnaire de gouvernement bonapartiste.
M. K.