Contribution – La couleuvre marocaine ou comment éluder le droit international
Par Houria Ait Kaci – Mettant à profit la nouvelle conjoncture au Moyen-Orient marquée par l’émergence d’un front anti-Iran formé par l’axe Washington-Tel-Aviv-Riyad, le Maroc a annoncé la rupture de ses relations diplomatiques avec Téhéran sous prétexte que l’ambassade iranienne à Alger fournit des armes au Polisario, via le Hezbollah.
Aucun observateur sérieux n’a cru à ces accusations montées de toutes pièces pour détourner l’attention et contourner le droit international au moment où le Conseil de sécurité de l’ONU, à travers sa résolution du 27 avril, a appelé les deux belligérants, le royaume du Maroc et le Front Polisario, à des négociations «sans conditions préalables et de bonne foi».
Cette histoire de «complot» contre la sécurité nationale du Maroc, une grosse couleuvre qu’aucun observateur sérieux n’a pu avaler, vise plusieurs objectifs. Il y a tout d’abord l’association Hezbollah/Polisario, avec le but évident de suggérer que le Front Polisario soit une organisation terroriste tout comme le Hezbollah (selon la définition de l’axe Washington-Tel-Aviv-Ryad) pour disqualifier le combat libérateur de ces deux organisations. Ce n’est pas la première fois que le Maroc essaie un tel montage, après avoir accusé par le passé le Polisario d’accointance avec le groupe terroriste Aqmi.
Le terme terroriste désigne bien l’agresseur et non pas l’agressé. Or, le Front Polisario n’a agressé personne, puisqu’il respecte à la lettre, depuis 1991, le cessez-le feu imposé par l’ONU, dans l’attente de la tenue d’un référendum d’autodétermination. Le Polisario n’a commis aucun attentat terroriste, ni prise d’otages ni chantage contre les Marocains. Il mène une lutte pacifique au plan politique et diplomatique, selon les règles du droit international pour l’indépendance et la souveraineté de son territoire et de ses ressources naturelles. La lutte patiente menée par le peuple sahraoui, en dépit de toutes les provocations marocaines, suscite l’admiration et le soutien de plusieurs pays, même dans les contrées les plus reculées comme l’Australie.
Celui qui défend sa terre face à l’occupant et son droit à la liberté et à l’indépendance contre un colonisateur est un combattant et non un terroriste. C’est ce qu’ont fait tous les anciens pays colonisés qui ont dû mener de longues et sanglantes guerres anti-coloniales pour reconquérir leur indépendance. Le droit à la résistance est reconnu par l’ONU, qui a adopté, en 1960, la Déclaration pour l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples colonisés, affirmant le droit de tous les peuples à l’autodétermination. Une Décennie internationale de l’élimination du colonialisme a été proclamée en 1990 et l’actuelle doit prendre fin en 2020.
«En 1945, au moment où l’Organisation des Nations unies était fondée, 750 millions de personnes – soit près du tiers de la population mondiale – vivaient dans des territoires qui n’étaient pas autonomes et qui dépendaient de puissances coloniales. Aujourd’hui, il reste encore 17 territoires non autonomes où vivent près de 2 millions de personnes», dont le Sahara Occidental, selon l’ONU.
Il faut espérer que l’ONU saura réparer une injustice vis-à-vis du Sahara Occidental, la dernière colonie en Afrique où le référendum n’a pu être organisé depuis 1975 (en raison du poids des lobbies marocains), contrairement à d’autres pays qui ont pu accéder à leur souveraineté. Le prochain référendum aura lieu le 4 novembre 2018 en Nouvelle -Calédonie (colonie française). Pourquoi la France accepte pour ce pays ce qu’elle refuse pour le Sahara Occidental ? Pourquoi ce «deux poids, deux mesures» ?
En accusant sans preuves l’Iran, le Hezbollah et l’Algérie de vouloir déstabiliser le Maroc et porter atteinte à sa sécurité nationale, en armant les «séparatistes» du Polisario, le royaume adopte la posture de la victime pour faire oublier que c’est lui l’agresseur, le colonisateur d’un pays qu’il occupe par la force depuis 1975. Comme dit l’adage de chez nous : «Drabni ou bka essbakni oucheka !» (comprendre : il m’a agressé et c’est lui qui a pleuré en allant se plaindre avant moi».
En ciblant l’Iran et le Hezbollah, le royaume du Maroc cherche à plaire aux pays de l’axe Washington-Tel-Aviv-Ryad avec l’objectif escompté d’engranger des dividendes en tirant profit de leur soutien, au plan politique et diplomatique, au niveau des Nations unies. Il espère ainsi pouvoir renverser la tendance au sein de la communauté internationale, qui a été plutôt favorable ces derniers mois au Front Polisario, comme la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui a confirmé que les accords d’association et de libéralisation UE-Maroc ne peuvent s’appliquer au Sahara Occidental, car territoire «non autonome» et «distinct» du Maroc.
Le Front Polisario, qui a rejeté catégoriquement «les allégations marocaines» concernant l’aide militaire du Hezbollah, les a qualifiées de «démarche opportuniste» pour se repositionner sur la carte politique internationale et régionale. Elles visent «à se protéger des retombées de la décision du Conseil de sécurité international, adoptée récemment et portant prorogation du mandat de la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum sur l’autodétermination (Minurso) de six mois, et qui est telle une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête du Maroc pour l’amener à avancer dans le processus de négociations», selon le représentant du Front Polisario en France, Oubi Bouchraya Bachir.
Mais le roi du Maroc, qui a toujours pratiqué la politique de fuite en avant, n’a qu’une idée en tête : repousser la tenue du référendum et rejeter les négociations avec le Front Polisario, le seul représentant du peuple sahraoui reconnu par l’ONU. Ce qui lui permet de faire durer le statu quo pour continuer à piller ses richesses naturelles du Sahara occupé et d’en tirer de juteux dividendes au profit de sociétés appartenant à la famille royale et d’entreprises françaises et espagnoles (phosphates, ressources halieutiques, minerais). Le peuple et les travailleurs sahraouis des territoires occupés sont, eux, soumis à la faim, à l’exploitation et à la répression (lire à ce sujet :
C’est dans cette position confortable que le régime marocain revendique la «marocanité du Sahara» en opposition à toutes les résolutions de l’ONU et de l’OUA qui attestent que le Sahara Occidental est un territoire «non autonome», c’est-à-dire non indépendant, qui n’a aucun lien juridique avec le Maroc, qui est séparé de celui-ci par les frontières tracées par l’ancien occupant colonial. Il faut savoir que la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) a opté, le 21 juillet 1964, pour le «principe de l’intangibilité» des frontières héritées à l’indépendance.
Il faut se demander alors pourquoi le Maroc n’a pas défendu cette «province marocaine» quand elle était sous occupation espagnole et que le Front Polisario avait pris les armes pour sa libération. Pourquoi n’a-t-il pas défendu cette «marocanité» lorsque les résistants sahraouis et mauritaniens luttaient contre la pénétration coloniale française alors que les autorités marocaines de l’époque ont préféré faire allégeance à la France et se soumettre à son protectorat ?
A ce sujet, Annick Miske-Talbot écrit dans Sahara-Info : «Un grand cheikh réputé, Cheikh Malainîn, installé à Smara (région nord du Sahara Occidental) entreprit, dans les années 1900, de se lancer dans la conquête d’un Maroc au pouvoir déliquescent, où était en train de s’effectuer une prise de contrôle par la France sous la forme d’un protectorat.
Un des fils du Cheikh Malainîn, Cheikh Ahmed Al-Haïba (surnommé par les militaires et les politiques français le ‘’Sultan bleu’’) s’imposa dans tout le sud du Maroc et, sans l’intervention de l’armée française, aurait conquis tout le royaume, rééditant l’épopée almoravide. Le Sultan bleu a été stoppé par l’armée française dans sa marche sur Fès le 23 juin 1910.» Dans ce cas, les Sahraouis pourraient-ils aussi revendiquer le Maroc ?
Les combattants sahraouis ont également lutté contre la pénétration coloniale française en Mauritanie jusqu’en 1936 avant d’affronter les forces espagnoles, qui n’occupaient, au départ, qu’une bande maritime (Cap Bojador) avant de s’installer à l’intérieur des terres, sur insistance et aide des colonisateurs français, selon cette publication éditée par l’Association française des amis de la RASD.
La lutte armée du peuple sahraoui triompha des colonisateurs espagnols qui abdiquent en 1974 et annoncent la tenue d’un référendum pour début 1975. Le 16 octobre 1975, la Cour internationale de justice de La Haye, saisie par le Maroc (en vue de retarder la procédure du référendum), rendait son verdict en faveur de l’autodétermination des Sahraouis. Mais le 6 novembre, le roi Hassan II annonce le départ de la «Marche verte» et envahit le Sahara…
Depuis, la monarchie marocaine fait tout pour contourner le droit international et attiser la tension dans cette région du Maghreb, en jouant le rôle de «gendarme» alors qu’il aurait été mieux inspiré de jouer un rôle positif dans le projet de l’unité maghrébine. Cette union aurait pu aider au développement de tous les pays, en mettant en complémentarité les atouts économiques, culturels et historiques de cette région pour en faire une zone de paix et de prospérité pour tous les peuples, y compris le peuple sahraoui.
H. A.-K.
Comment (25)