Contribution du Dr Arab Kennouche – Les cinq dangers d’un 5e mandat
Par Dr Arab Kennouche –L’Algérie s’enfonce-t-elle d’ores et déjà dans une crise politique sans précédent avant même l’échéance d’une élection cruciale pour l’avenir du pays en 2019 ? Est-il encore permis de douter sur le sens véritable d’un appel à un 5e mandat pour le président en exercice, Abdelaziz Bouteflika, alors que ces appels répétitifs par personnalité politique interposée, ou par le canal du FLN, tiennent plus lieu de l’angoisse envers un avenir incertain, que d’une forme plébiscitaire d’exercice du pouvoir politique ? Cet appel intempestif serait-il donc bien plus le symptôme flagrant d’une angoisse que vivrait la nation tout entière, qu’une tentative inespérée de reconduire une administration présidentielle ayant encore des ressources pour sortir l’Algérie de l’ornière ?
Comment faire passer la pilule d’un énième mandat, synonyme de plébiscite, alors que les dernières consultations législatives du peuple ont largement démontré l’isolement du pouvoir politique et son fonctionnement en solo, dans un environnement économique certes tenable, mais tout de même dangereux à long terme ? Selon la même rengaine, celle de la paix sociale contre un retour risqué des islamistes,l’administration présidentielle s’engage sur un fil ténu, hautement dangereux pour le pays en 2019,en feignant de ne pas voir certains dangers pourtant assez transparents.
La mort définitive des institutions politiques algériennes
En se pérennisant au pouvoir de la sorte, depuis le reniement du discours de Sétif de mai 2012,le président de la République, en accord avec l’élite militaire du pays, a véritablement tué dans l’œuf l’embryon de fonctionnement démocratique des institutions du pays, catalysant l’ensemble du processus décisionnel au détriment d’alternatives politiques libres et nourrissant un débat critique inclusif. Il sera désormais très difficile à la fin de l’ère Bouteflika de renflouer le navire Algérie en lui redonnant un semblant d’institutions fiables, crédibles et acceptées par le peuple. Une refondation générale en consultation avec le peuple algérien ne pourra être effective que dans le cas d’une politique de table rase avec l’ensemble des acteurs et des responsables des cinq mandats. La pérennisation de cette administration au pouvoir rendra d’autant plus ardue l’avènement d’un Etat de droit en Algérie qu’elle aura en 20 ans annihilé les germes de l’alternance politique et tué tous les espoirs d’un peuple issus des événements de 1988.La remontée sera dure, voire impossible.
Une classe politique non représentative condamnée à l’affairisme
Ense maintenant au pouvoir, Bouteflika ne perçoit pas les effets psychologiques délétères sur le peuple de ses multiples reniements, dont le plus important reste la promotion d’un projet politique manifesté dans la réforme constitutionnelle de 2016, d’essence démocratique, qui deviendrait lettre morte devant l’insistance à vouloir passer en force, coûte que coûte. Est-il encore possible de douter un tant soit peu des ravages de ce reniement sur les attentes partisanes, les aspirations, les droits du peuple algérien, qui a été abreuvé au tab jnan’namais aujourd’hui confronté à un affairisme sans précédent ?
Personne, au jour d’aujourd’hui, ne peut prévoir la réaction post-traumatique d’un peuple, sidéré et débouté de ses droits fondamentaux sur une si longue période. Encore une fois, à force de reniements et de promesses non tenues, on joue avec le feu d’une nation qui désespère du changement et qui pourrait, un jour, se retourner contre tout marchandage symbolique.
Un peuple qui entrera en clandestinité par débrouillardise
Autre danger imperceptible à la présidence et qui devient le corollaire de son autonomisation surdimensionnée, c’est la sortie forcée du peuple de l’orbite de l’Etat, largement manifeste en ce moment par tous les mouvements sociaux, politiques et même migratoires qui décrivent déjà un état avancé de clandestinité d’une bonne partie de la nation – fragmentation par corps de métier, régionaliste, religieuse.
Un cinquième mandat accentuera ce phénomène de décrochage du peuple par rapport à un Etat perçu comme un adversaire qui ne l’inclut pas dans ses processus décisionnels en le responsabilisant. On ne peut ignorer un tel danger potentiel inhérent à un mandat supplémentaire, puisque l’Etat perdrait le contrôle de sa population poussée à la débrouillardise, ne faisant plus confiance à une classe politique assimilée à un Etat tremplin autiste et insensible aux sirènes du peuple.
Des clivages politico-militaires qui s’aggraveront
Il est de notoriété publique que l’appui au 4emandat du président de la République ne s’est pas fait dans la dentelle et a créé une véritable fissure jusque dans les couches profondes de la société algérienne. On ne peut imaginer un 5emandat sans l’accentuation de cette brisure dans le corps de la nation, se vivant comme un véritable drame et, surtout, fournissant le prétexte à tous les dépassements et à toutes les justifications pour défier une fois de plus l’Etat algérien.
Le problème du cautionnement du 5e mandat devient crucial et se vivrait sur une autre tonalité que celle de ce mandat finissant. Jusqu’à présent, l’ANP s’est tenue à l’écart de cette crise sourde de pouvoir, arguant de la lettre constitutionnelle, mais il ne serait pas étonnant, non plus, qu’elle doive fournir des arguments de taille à une nation désemparée, se sentant flouée une fois de plus. Autant dire que les conséquences d’un 5e mandat seront bien plus prégnantes dans le cas d’un passage en force, l’ANP étant un corps social comme un autre.
Peut-on désirer la stabilité du payset cautionner par la force des choses, en même temps, l’instabilité ? Le temps de la levée des contradictions sera celui du 5e mandat. Mais en mouillant l’ANP, on ne fera que l’éloigner davantage du peuple.
L’Algérie proie idéale de l’axe Paris-Rabat
Inutile, enfin, de souligner qu’une Algérie en état de sidération serait une proie idéale pour ses grands ennemis, qui sont déjà à l’affût pour intervenir. Jouant du décrochage des institutions, de la mort programmée de la classe politique et de l’Etat avancé de déréliction sociale, les ennemis de l’Algérie ne trouveraient pas meilleure fenêtre d’ouverture pour installer leurs ferments déstabilisateurs.
C’est peut-être ce sens qu’il faut déjà octroyer aux sorties agressives de la diplomatie marocaine, mais également à la froideur politique d’un Macron prêt à changer la donne algérienne en jouant le pourrissement interne. En effet, si le peuple, dépité par une reconduction synonyme de supercherie de la démocratie, de l’Etat civil, défie encore la classe politique en refusant le vote et si, dans le même temps, l’ANP peine à cautionner le nouveau-même président, comment les ennemis de l’Algérie s’empêcheraient-ils de s’introduire dans cette faille idoine selon une bonne vieille loi de stratégie militaire, déjà édictée par Sun-Tsi ?
Quoi qu’il en soit, un temps des troubles se profile à l’horizon et peu d’observateurs sérieux pourraient revendiquer un futur radieux à l’Algérie, comme le tentent encore désespérément les thuriféraires du système en place.
A. K.
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