Contribution – Sonatrach ou 20 ans d’enfumage et de bricolage (I)
Par Hocine-Nasser Bouabsa(*) – En raison du secteur hautement stratégique qu’elle contrôle et vu sa prépondérante et déterminante contribution dans le financement des budgets de la défense et la sécurité nationales, du développement et de la paix sociale, Sonatrach n’est pas seulement une entreprise économique publique, mais possède de facto la fonction d’«outil de souveraineté» de la nation. Elle doit donc obéir dans son fonctionnement à des critères de qualité et de rigueur sévères – qui lui permettent de jouer et d’assurer les rôles que l’Etat lui a confiés – comme ce fut le cas sous le règne du défunt président Houari Boumediene. C’est d’ailleurs, ce modèle et ce mode de fonctionnement hérités des années 1965-78 qui ont permis à Sonatrach de jouir d’une relative stabilité de 1979 à 1999, malgré des périodes difficiles engendrées par des prix de pétrole et de gaz très bas et les sabotages actionnés contre elle sous le label du terrorisme.
Après l’arrivée de Chakib Khelil en 2000 – avant, il était sur le comptable de la Banque mondiale pendant de longues années – aux commandes du secteur des hydrocarbures, les choses prenaient une autre tournure, puisqu’il fut le premier à envisager publiquement et officiellement la privatisation de Sonatrach, en annonçant lors de son déplacement à Hassi Messaoud, le 26 février 2000, la vente d’actions de Sonatrach au secteur privé à travers la Bourse d’Alger : «On peut vendre 10, 20 et même 70% des actions comme l’a fait la compagnie italienne ENI mais, à travers les 30% restants, l’Etat gardera le contrôle». Chakib Khelil passera plus de cinq ans à manœuvrer pour faire passer son plan et sa nouvelle loi sur les hydrocarbures, mais il échoua en 2005, fort heureusement. Malgré ses intentions douteuses, l’ancien ministre de l’Energie resta encore pendant cinq autres longues années aux commandes de Sonatrach en désignant comme PDG de façade une personne docile, Mohamed Meziane, qui ne faisait qu’exécuter, selon ses propres témoignages, ce que son chef Chakib Khelil lui ordonnait.
La situation catastrophique et l’instabilité chronique – cinq PDG en sept ans – que vit Sonatrach aujourd’hui n’est donc point le résultat du hasard, mais celui d’une œuvre préméditée que Chakib Khelil a engagée, puisque c’est lui qui a sorti le bateau de son quai habituel pour l’expédier vers l’inconnu. Ce bateau est aujourd’hui au milieu d’un océan déchaîné. Il est sans ancrage, il vacille et risque même de chavirer si des mesures correctives appropriées ne sont pas prises en urgence.
La première mesure salutaire à prendre serait de renvoyer le PDG actuel et de le remplacer par une direction collégiale de gestion de crise. D’abord, pour des raisons de crédibilité de l’Etat. En effet, ni les Algériens – et encore moins les employés de Sonatrach et particulièrement ceux qui travaillent dans des conditions pénibles dans le sud du pays – ni les partenaires étrangers ne comprennent pourquoi on désigne une personne qui, d’une part, manque cruellement d’expérience dans le secteur et, d’autre part, traîne des casseroles liées à l’affaire BRC. Mais aussi pour des raisons de compétence.
En analysant la première année d’Ould-Kaddour à la tête de Sonatrach, deux éléments résument son action : l’empressement et la contradiction. Certains vont plus loin en l’accusant carrément de mensonge. Peut-être que le patron de Sonatrach a promis des merveilles, mais force est de rappeler que les aléas de l’industrie pétrolière et du gaz ne (re)connaissent pas d’homme providentiel. Au contraire, seule la bonne gouvernance managériale est admise et peut être couronnée de succès techniques et économiques.
L’acquisition de la raffinerie d’Augusta est un exemple flagrant d’empressement et de contradiction que le PDG, soutenu par son ministre de tutelle, essaye de vendre avec des arguments approximatifs, fallacieux et erronés sur lesquels nous reviendrons dans une prochaine contribution.
H.-N. B.
(*) Ma thèse doctorale écrite entre 2001 et 2004 sous le titre «Demonopolisation of Algeria’s Hydrocarbons Sector in the Context of the Evolution of International Oil & Gas Market and Globalisation» fut une initiative de ma part pour démontrer les dangers de la privatisation et de la nouvelle loi des hydrocarbures voulues et initiées par Chakib Khalil dès le début des années 2000. Dans ma conclusion, je soutiens une démarche de démonopolisation mais non de privatisation, en préconisant le contrôle exclusif du secteur des hydrocarbures par l’Etat algérien ; la création d’une ou deux nouvelles entreprises publiques similaires à Sonatrach – contrôlées par l’Etat – pour concurrencer cette dernière afin de stimuler plus d’efficience et de profit et une meilleure gouvernance ; le partenariat avec les multinationales du métier dans le cadre de la règle 51/49.
(Suivra)
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