Contribution de Nouredine Benferhat – Communiquer : un enjeu fondamental
Par Nouredine Benferhat – La communication limpide et transparente est un mythe. Les messages sont souvent ambivalents. Apparemment, communiquer est l’acte le plus simple et le plus banal qui soit.
Selon le modèle canonique, la communication est la transmission d’une information d’un émetteur (A) à un récepteur (B) par le biais d’un canal (C) pour que le message soit clair, l’auditeur atteint et qu’il n’y pas de perturbations dans le canal, le message doit bien passer.
Les dernières connaissances en matière de sciences de la communication nous ont appris tout le contraire. Les messages que nous envoyons sont rarement clairs et univoques et comportent toujours une pluralité de significations. Le récepteur est rarement un sujet passif qui se contente d’enregistrer les données transmises, il les filtre, le canal et le contexte de la communication, à leur tour, sur le contenu du message. Enfin, et surtout, on découvre que communiquer ce n’est pas seulement informer, c’est aussi chercher à influencer autrui, à se mettre en scène, à séduire ou à se défendre.
Ambivalence des énoncés, filtrage du destinataire, stratégie de mise en valeur de soi ou de manipulation d’autrui, la communication est un acte forcément complexe car de multiples enjeux s’y entrecroisent et s’enchevêtrent, dont il importe de dévoiler les ressorts cachés si l’on veut mieux en comprendre et maîtriser l’art.
Repérer les enjeux
Communiquer, ce n’est pas seulement transmettre de l’information, comme le veut la théorie canonique, mais c’est repérer les enjeux qui contribuent à comprendre le processus de communication.
Tout d’abord, l’enjeu informatif qui constitue évidemment la «fonction référentielle». Cependant, communication et information ne vont pas toujours de pair. En principe, la presse ou l’enseignement vise à informer, alors que la communication publicitaire ou la propagande politique vise à séduire. Mais la distinction n’est jamais aussi simple. Le journaliste, l’homme politique, l’enseignant sont pris, eux-mêmes, à des degrés divers, dans cette double contrainte de devoir à la fois informer mais aussi «accrocher» leur public, le divertir, le séduire. Le deuxième enjeu de la communication réside dans le jeu de positions des partenaires.
Toutes les relations humaines impliquent d’abord une certaine mise en scène de soi. Communiquer, c’est d’abord se montrer à autrui sous un jour particulier, présenter une certaine image, défendre une identité particulière. Cette relation est également marquée par des rôles sociaux joués par chacun.
Ces rôles sociaux définissent, à leur tour, ce qui peut être dit ou non dit et la façon dont cela doit être dit. On ne parle pas de la même façon à ses enfants, ses collègues, ses amis ou devant la caméra. Certaines de ces relations sont égalitaires, d’autres sont asymétriques et hiérarchisées. Dans toutes les relations, il y a un jeu de positions, un marquage de territoire, une relation délimitant le champ et la façon de s’exprimer. Ce jeu de positions prend plus de relief dans les formes institutionnelles ou médiatiques de la communication.
Convaincre et influencer
La communication persuasive cherche à convaincre et à influencer autrui. Dans le langage courant, l’argumentation est souvent tapie de façon insidieuse, derrière les formes les plus banales de la conversation. Comme l’a montré le linguiste Oswald Ducrot, le simple fait d’énoncer qu’«à peine plus de 20% d’automobilistes dépassent 120 km/h», plutôt que «plus de 20% des automobilistes s’autorisent à dépasser les 120 km/h sur la route» est déjà une forme d’argumentation implicite. Derrière la simple transmission d’information, il y a souvent la volonté d’argumenter, et donc d’influencer autrui.
Le dernier enjeu de la communication concerne la régulation de la relation elle-même. La relation entre deux personnes est rarement quelque chose de simple, de direct, de spontané, de tranquille. Ce que l’observation éthologique montre, à propos des animaux, est valable pour les humains.
La communication est hautement ritualisée, car les relations humaines sont toujours potentiellement conflictuelles ou instables. Il faut d’abord passer par des formules de politesse destinées à la relation, susciter l’adhésion du récepteur.
L’analyse des conversations, effectuée par des chercheurs, a montré comment les discussions les plus courantes et les plus banales supposent une construction permanente, avec des règles précises de tour de parole, d’entrée en matière de mécanisme d’ajustement de négociations implicites sur le sens.
La communication est un des plus importants acquis de ce siècle, car elle véhicule l’idée du progrès, de la diffusion de l’information, la disparition des barrières, en même temps qu’elle participe à démystifier l’apparence et à dévoiler les compétences.
Pour conclure, « communiquer, c’est reconnaître l’existence d’une indépassable obscurité, d’une irrémédiable séparation et c’est, en même temps, viser à la constitution d’un espace public.
Les philosophes Michel Serrès et Jurgen Habermas s’emploient aujourd’hui à montrer combien la communication entre hommes renvoie à un enjeu humain fondamental : celui de construire une société sur l’acceptation de l’autre.
N. B.
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