Les dessous de l’accord d’association entre le Maroc et l’Union européenne
Par Karim B. – La Commission européenne a adopté le 11 juin 2018 une proposition d’arrangement prévoyant l’extension des préférences tarifaires couvertes par l’accord d’association UE-Maroc aux produits originaires du Sahara Occidental, territoire non autonome occupé par le Maroc.
Il s’agit, à ce stade, d’une proposition de l’exécutif européen formulée à la demande des Etats membres de l’UE, qui vise à mettre un terme à l’application illicite des préférences commerciales prévues par l’accord d’association UE-Maroc et ses protocoles, aux produits originaires du Sahara Occidental.
Elle fait également suite à l’arrêt de la Cour de justice de l’UE, du 21 décembre 2016, dans lequel la plus haute juridiction européenne avait statué en dernier recours que l’accord d’association et l’accord de libéralisation réciproque conclu entre l’UE et le Maroc ne s’appliquent pas au Sahara Occidental qui a un statut distinct et séparé de la souveraineté marocaine.
Selon le communiqué de la Commission, l’arrangement proposé vise à fournir une base légale pour l’octroi de préférences tarifaires aux produits du Sahara Occidental, territoire concerné par un processus de décolonisation. Pour compléter le processus législatif, cette proposition doit désormais être validée par le Conseil de l’UE et le Parlement européen.
Par-delà les cris de victoire et le satisfecit en trompe-l’œil du Maroc suite à l’adoption de cette proposition, l’examen des textes adoptés par la Commission révèle la difficulté de l’exercice d’équilibriste qu’elle a été forcée de faire à la demande insistante d’anciennes puissances coloniales parmi les Etats membres de l’UE, connues pour leur proximité avec le Makhzen (France et Espagne).
En effet, le choix des mots et l’approche précautionneuse suivie par l’exécutif européen dans la formulation de sa proposition et du rapport relatif à l’impact potentiel des mesures préconisées sur la population du Sahara Occidental qui l’accompagne, renseigne sur le dilemme et l’embarras face auxquels s’est trouvée la Commission.
De fait, celle-ci a déployé son énergie pour ne pas incommoder le Maroc, partenaire capricieux et chatouilleux sur tout ce qui touche ou remet en cause, de près ou de loin, son statut d’indu-occupant du Sahara Occidental ou dévoile le caractère illégal de son entreprise de spoliation des ressources de ce territoire.
Dans le même temps, parce qu’elle est tenue de respecter le droit international, les décisions de la justice européenne ainsi que la Charte des Nations unies, la Commission se devait de satisfaire aux exigences de cohérence et de respect de l’état de droit auxquelles sont astreints l’UE et ses Etats membres.
Finalement, la formule trouvée par la Commission, loin de satisfaire tout le monde, ménage la chèvre et le chou. Elle comporte une série de garanties et rappels que les autorités marocaines ont bien pris soin de passer sous silence, préférant se focaliser, dans leur communication institutionnelle, sur les points qui les arrangent en escamotant ceux qui les renvoient à la véritable nature de leur présence au Sahara Occidental.
D’emblée, la Commission donne le ton en reconnaissant que «le droit à l’auto-détermination est détenu par le peuple du Sahara Occidental». Cette partie précise en outre que «rien dans l’accord n’implique la reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental» et que «l’Union soutient pleinement les efforts du secrétaire général des Nations unies et son envoyé personnel en vue d’aider les parties à parvenir à une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable qui prévoirait l’autodétermination du peuple du Sahara Occidental dans le cadre d’accords conformes aux principes et objectifs de la Charte des Nations unies».
Plus loin, l’Union européenne rappelle qu’elle et ses États membres «s’abstiennent de toute intervention et de prise de parti dans ce différend et, le cas échéant, accepteront toute solution décidée conformément au droit international, sous l’égide de l’Onu».
Plus qu’une déclaration incantatoire, l’attachement de la Commission au processus onusien s’est traduit concrètement par des contacts réguliers avec l’équipe de l’envoyé personnel du secrétaire général des Nations unies pour le Sahara Occidental, l’ancien président allemand, Horst Köhler, qui «avaient pour objectif de s’assurer que l’accord proposé viendrait bien à l’appui des efforts du secrétaire général des Nations unies», «étant entendu que seul un accord de paix durable et mutuellement acceptable sera de nature à conforter la stabilité politique et juridique de l’accord».
L’on apprend également que pour produire un rapport sur les bénéfices éventuels de l’extension des préférences tarifaires sur la population du Sahara Occidental, les services de la Commission ont été confrontés à des contraintes méthodologiques de différentes natures.
Le rapport révèle, par exemple, l’indisponibilité et le caractère incomplet et hétérogène des informations statistiques concernant les flux commerciaux avec le Sahara Occidental, les quelques données disponibles étant puisées majoritairement du registre officiel des statistiques marocaines.
Bien que s’étant efforcée d’obtenir des données objectives et fiables, la Commission reconnaît que, dans certains cas, ses démarches ont été non-concluantes du fait qu’elle ne dispose pas des moyens de vérifier localement la véracité de celles-ci, et qu’il n’y a pas d’analyse, indépendante mandatée par les Nations unies, des bénéfices des accords internationaux de commerce sur le Sahara Occidental, principalement en raison du refus du Maroc d’autoriser de telles analyses.
Autre obstacle rencontré par la Commission, l’impossibilité de distinguer l’origine des différents éléments constitutifs de la population au Sahara Occidental, suite à la politique d’implantation massive et forcée de colons marocains, pratiquée par le Makhzen depuis 1975 dans le but de changer la structure démographique du territoire et transformer l’identité de son peuple, en prévision du référendum d’autodétermination auquel appellent les résolutions de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité de l’Onu.
Sur la situation des droits de l’homme, la Commission européenne confirme «l’existence de spécificités au Sahara Occidental en lien avec le différend politique, notamment en ce qui concerne les libertés d’expression, de manifestation et d’association où toute «atteinte à l’intégrité territoriale» est prohibée sous peine d’amende, voire de prison», lit-on dans le rapport.
Sur le volet consultation, le rapport de l’UE se fait pour la première fois l’écho des positions exprimées par le Front Polisario et les quelques organisations et associations consultées par le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) sur l’intérêt que pourrait revêtir, pour le peuple du Sahara Occidental et l’économie du territoire, l’extension du traitement préférentiel aux produits du Sahara Occidental.
Il convient de rappeler que parmi les associations sahraouies approchées, près de 90 ont décliné l’invitation du Service diplomatique européen (SDE), de crainte que celle-ci ne serve à cautionner une démarche visant à consolider l’emprise marocaine sur le territoire et soit interprétée abusivement comme un consentement de leur part.
Par ailleurs, les organisations sahraouies ont fait part à l’UE de difficultés à mener leurs actions en raison de l’absence de reconnaissance juridique, et les multiples entraves à l’activité des défenseurs des droits de l’homme ou encore à l’accès au territoire du Sahara Occidental pour certains étrangers, tels que journalistes, avocats ou défenseurs des droits de l’homme, et ont exprimé leur inquiétude face à la persistance de certaines pratiques répressives.
Pleinement consciente de l’incapacité de la communauté internationale et de la société civile à faire rapport sur ces pratiques, l’UE plaide pour le renforcement des moyens de mesurer et vérifier l’impact des efforts du Maroc pour améliorer la situation des droits de l’homme dans le territoire.
La même appréciation a été formulée par la Commission concernant la répartition des ressources, où il a été constaté l’absence d’un système de suivi transparent pour s’assurer que les ressources bénéficient à la population dans son entier, plutôt qu’aux seuls Marocains de souche.
En définitive, malgré la volonté manifeste de l’UE de contourner les arrêts de la Cour de justice européenne et les éléments politiques qui servent de trame aux arrangement proposés, y compris les mécanismes d’évaluation du respect des droits de l’homme et de la répartition équitable des ressources, le rapport publié le 11 juin ainsi que les décisions qui l’accompagnent confirment, de manière on ne peut plus claire, que UE ne reconnaît pas la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental et que cette puissance occupante a été obligée d’avaler cette pilule amère ; ceci qui explique sa campagne frénétique pour occulter ce fait important.
K. B.
Comment (7)