Le rôle politique de la religion
Par Mesloub Khider – «La politique et la religion sont comme deux têtes sous un même bonnet.» (Moses Isegawa)
«La religion est la maladie honteuse de l’humanité. La politique en est le cancer.» (Henry de Montherlant)
La religion, contrairement à l’idée communément répandue, n’est pas une simple question de convictions personnelles, mais a toujours rempli un rôle politique et social important. Que ce soit en période de paix ou en période de guerre, la religion a constamment été mobilisée pour servir d’adjuvant militant pour les classes régnantes ou d’adjuvant militaire pour les entreprises guerrières.
Plus significatif encore, les conflits prétendument confessionnels ont toujours revêtu un caractère politique, ont été menés pour des visées en réalité terrestres. En d’autres termes, pour des motifs de rapines ou d’expansions territoriales.
En outre, la religion a toujours siégé au sommet du trône et de l’Etat. En effet, elle siège en permanence aux conseils royaux et ministériels en qualité d’agent de propagande avec voix délibérative prééminente. Sans oublier que, dans de nombreux pays, elle sert de programme pédagogique principal en matière d’enseignement. Et de code juridique dans les tribunaux.
En réalité, la religion règne partout, sauf dans les cœurs. Autrement dit, elle se diffuse dans toutes les strates des institutions administratives, mais n’infuse nullement dans le cœur des humains. Pour la simple raison que sa dimension spirituelle s’est évaporée de la société de classe régie par des rapports mercantiles. Est demeurée prégnante au sein de la société seulement sa dimension politiquement temporelle. Une société divisée en classes ne peut jamais contenir et comporter une quelconque spiritualité. La religion n’est pas synonyme de spiritualité, loin s’en faut.
La spiritualité est à la religion ce que le placebo est au médicament.
Paradoxalement, la religion est devenue davantage un phénomène collectif culturel, plutôt qu’un exercice personnel cultuel. On va à la mosquée comme on va au concert. Le spectacle est plus attrayant. Pourtant, théologiquement, la prière accomplie à la maison a la même valeur religieuse.
On exhibe ostentatoirement sa religiosité islamique comme le parvenu bourgeois affiche crânement (crasse-ment) sa montre Rolex à son poignet de sa main calleuse aux ongles noirs de saleté. Comme si la dévotion se vit dans l’apparat public des yeux et non pas dans l’appartement privé du cœur. Comme si la valeur de l’homme s’évalue à l’épaisseur de son portefeuille et non à la grandeur de son âme. Décidément, cette société de spectacle cultuel manque cruellement de décence, même si elle se couvre barbument et hijabement sa face d’un voile de piété.
A notre époque marquée par l’islam politique (devenu un pléonasme dans les pays musulmans), la compréhension du rôle et de la signification politique et sociale de la religion est cruciale.
Et d’abord, avant d’examiner brièvement le phénomène de l’islam politiquement incorrect, il nous faut procéder à une analyse historique du phénomène religieux.
Si, depuis les temps reculés, les croyances de type mystique sont très anciennes. En revanche, la croyance en un dieu date de l’époque de la naissance de la royauté. Pour croire en un roi du ciel (dieu), les hommes ont dû d’abord connaître un roi sur terre.
«L’humanité ne se pose jamais que des problèmes qu’elle est capable de résoudre», affirmait Karl Marx. Au problème de la nouvelleproblématique existence de la classe dominante royalement dressée sur la masse miséreuse, il fallait trouver une solution pour justifier et légitimer cette nouvelle forme de pouvoir tyrannique : la sacraliser au moyen d’un esprit supranaturel créé à l’image du roi, le dieu tout puissant. Le roi incarne dieu sur terre, et dieu est le roi désincarné au ciel. Qui vénère dieu vénère le roi. Paradoxalement, les deux sont installés au firmament des galaxies gouvernementales : dieu trône au ciel loin des yeux, le roi règne dans des palais inaccessibles au commun des mortels.
Il n’est donc pas étonnant que les rois et les dieux aient en partie liée depuis toujours. Pas étonnant non plus qu’ils aient tendance à chuter en même temps. Néanmoins, il convient de nuancer le propos. Etant entendu qu’aujourd’hui encore, si la royauté s’est partout effondrée, les religions persistent à régner royalement sur les esprits de nombreux sujets. Les hommes ne sont toujours pas maîtres de leur destin. Tout se passe comme s’ils aiment, par une forme de servitude volontaire, soumettre leur destin à des maîtres (à penser) pour conduire (en laisse) leur vie.
Rien d’étonnant pour des hommes nourris des siècles durant de religions de la soumission, d’idéologies de la résignation au destin.
Il y a une convergence entre les idéologies religieuses de la soumission à Dieu et les idéologies sociales de la résignation au pouvoir.
Pour revenir à l’aspect historique, si la figure des dieux a été modelée sur celle des rois, il en va de même des autres manifestations de la croyance religieuse.
Il en est ainsi au plan du pouvoir. Si l’apparition de la royauté a constitué un bouleversement radical dans le mode de direction de la société, auparavant dirigée sur un mode collectif tribal égalitaire, cette révolution institutionnelle monarchique a été suivie d’un bouleversement tout aussi radical sur le plan religieux, incarné par l’apparition d’un personnage unique, dieu. Ainsi, historiquement, dieu est l’enfant du roi. La création du dieu unique est l’œuvre de la royauté inique.
De manière générale, l’idéologie religieuse reflète toujours le changement social. La plus grande révolution sociale est certainement le passage de l’homme prédateur de la nature à l’homme créateur de sa production. En effet, les deux époques marquées par deux «civilisations» radicalement divergentes ont façonné deux mentalités religieuses totalement différentes. A la première civilisation paléolithique fondée sur la cueillette et la chasse exercées sur une nature dominant l’homme, a correspondu les croyances animistes. Pour nos ancêtres dominés par les forces de la nature, derrière chaque espèce végétale, minérale, animale, se dissimule un esprit. Nos ancêtres primitifs étaient plus matérialistes. Ils croyaient aux pouvoirs des éléments de la nature.Chaque élément de la nature était doté, selon nos ancêtres les terriens, d’un esprit (créateur). Leur polythéisme était plus rationnel et matérialiste que nos monothéismes magiques et ésotériques.
Avec la révolution néolithique, matérialisée par l’invention de l’agriculture, la domestication des animaux, la création de l’artisanat, et la naissance de la ville et de l’écriture, l’homme devient maître de la nature et donc artisan de sa vie. A cette civilisation technicienne, façonnée par l’esprit de l’homme, a correspondu la religion du producteur tout puissant incarné par dieu (image inversée de l’homme soumis au règne des nouveaux maîtres du pouvoir).
L’homme produit dieu dans son cerveau. Dieu est le reflet de ses besoins individuels, de son fonctionnement cérébral, conscient et inconscient.
Ainsi, l’homme producteur et créateur a un dieu producteur et créateur.
Par contre, l’homme prédateur de la nature n’a même pas un mot pour concevoir la notion de «création» (pour lui, chaque élément de la nature est l’œuvre de sa propre création animée par un esprit immanent). Aucune transcendance à l’œuvre de la création (de la nature).
Avec la révolution néolithique, il en découle le passage de croyances fondées sur l’appartenance à la nature (animismes, totémismes) à des croyances fondées sur une création de la nature par un Esprit (dieu). On passe de l’immanence de l’esprit à l’esprit de transcendance. L’esprit est expulsé de la nature créatrice vers le ciel désertique. Cette expulsion de l’esprit animant la nature sacrée nourricière trouve sa justification dans le nouvel ordre de production destructeur de la nature. L’exploitation féroce et effrénée de la nature exige sa désacralisation. On connaît la suite de l’histoire productiviste de l’économie (agriculture intensive, déforestation, extraction démesurée des énergies fossiles). Depuis le néolithique, la nature a été totalement exploitée, et avec le capitalisme, bientôt définitivement épuisée. Grâce à cette désacralisation, la nature a été vidée, au sens figuré et au sens propre du terme, de sa substance. La terre est l’objet de toutes les destructions pour assouvir la faim inépuisable du dieu argent. Ce dieu argent, nouveau totem des créatures méprisables de notre civilisation marchande.
Pareillement, la religion ne s’élève jamais au-dessus de la société. La religion ne reflète que l’idéologie dominante de la société à l’origine de la fondation de cette religion.
Une société fondée sur l’ethnie produit une religion ethnique. Il suffit de lire l’Ancien testament pour s’en convaincre qu’il a été écrit par et pour un peuple d’éleveurs.
Une société où la femme est dominée produit une religion misogyne, comme l’islam, même si les musulmans prétendent le contraire (la réalité quotidienne se charge de démentir leurs élucubrations sur l’islam prétendument émancipateur de la femme).
Une société dominée par le mode de production esclavagiste produira une religion légitimant l’esclavage, comme dans le judaïsme (il n’est donc pas étonnant que les sionistes s’appuient sur leur Thora raciste pour justifier et légitimer leur entreprise colonialiste).
Une société désespérée par l’échec d’une tentative de transformation sociale écrasée dans un bain de sang, produira une religion de la peine et de la consolation mystique dans l’isolement et la renonciation (comme c’est le cas de nombreuses sectes apocalyptiques ayant émaillé l’histoire).
Une société dans laquelle une classe, autrefois opprimée, se voit devenir dirigeante, produira une croyance qui justifie ce nouveau mode de fonctionnement social, comme c’est le cas pour le protestantisme face au catholicisme (on peut y inclure cette doctrine religieuse sécularisée nommée «stalinisme», nouvelle religion d’une classe bureaucratique fraîchement arrachée à sa basse condition populeuse, soudainement hissée au pouvoir par la grâce d’une révolution prolétarienne dévoyée).
Toute religion est politique, avions-nous annoncé dès le titre de notre texte. Toute l’histoire des religions nous le prouve. Aucune religion n’échappe à cette dimension politique inscrite dans son culte. De surcroît, au cours de l’histoire, la religion a toujours servi d’instrument d’asservissement pour les classes exploiteuses.
Toutes les religions sont expansives, se proclament «universelles», euphémisme pour désigner leur politique impérialiste.
Le christianisme, à ses débuts, durant plus de trois siècles, fut une religion des opprimés. Emanation du judaïsme, cette nouvelle religion s’est bâtie contre la dépravation de la classe privilégiée judaïque alliée des Romains. Elle voulait révolutionner la société par la fin des injustices. C’est pourquoi elle a été condamnée et persécutée à la fois par la classe parasitaire rabbinique et romaine. Par son message d’amour pour les opprimés, elle déclarait la guerre aux classes régnantes exploiteuses. Persécutée trois siècles durant par les Romains, elle a fini par être récupérée par le pouvoir romain décadent menacé d’effondrement.
En effet, à la faveur de la crise de l’empire romain envahi de toutes parts par des hordes de «barbares», l’empereur Constantin finit par se convertir au christianisme, pour se concilier avec sa population opprimée menaçante progressivement christianisée.
Depuis lors, le christianisme est devenu la religion (politique) officielle des classes dirigeantes européennes. L’Eglise s’est installée au pouvoir. Elle s’est dotée d’une papauté alliée de la royauté.
Ainsi, cette religion des opprimés s’est métamorphosée, une fois intégrée dans les palais royaux, en religion politique impérialiste des souverains pontificaux et royaux.
L’Eglise a régné sur les âmes pour mieux dominer le corps de leurs ouailles. Elle s’est nourrie du sang christique de ses adeptes réduits en serfs producteurs des richesses accaparées par les institutions ecclésiastiques. En outre, elle s’est livrée, en association avec les souverains royaux, à une politique d’impérialisme sous couvert de guerres de religion désignées sous le nom de croisades. Elle a légitimé et béni les conquêtes colonialistes entreprises par le capitalisme naissant. Elle a religieusement cautionné et glorifié l’esclavagisme des Noirs.
L’islam n’est pas mieux loti. Dès sa naissance, il a affiché sa volonté d’expansion territoriale, sa nature impérialiste. En moins de deux décennies, il a ainsi conquis par la force et converti de force plusieurs pays. Toute son histoire est jalonnée de conflits (politiques) de pouvoir. Quasiment tous les successeurs du prophète Mohamed ont été assassinés par leurs proches collaborateurs dévorés d’ambitions politiques. La religion leur a servi de tremplin pour assouvir leur soif de pouvoir.
De nos jours, l’islam s’est encore amplement dévoyé par sa politisation extrémiste outrancière. Nul besoin de retracer en détails les ravages de l’islam politisé ou de la politisation de l’islam actuellement en œuvre dans tous les pays musulmans.
Qu’il nous suffise de rappeler les points saillants suivants. Sa volonté totalitaire de régenter la vie de son adepte depuis le berceau jusqu’à la tombe, dans ses moindres attitudes, illustre sa nature foncièrement despotique. L’islam a toujours été l’alliée objective des dictatures. Il faut vivre dans un pays musulman pour mesurer le poids de son absolutisme autocratique. Ennemi de la liberté de conscience, de la liberté d’expression, l’islam obère tout progrès de développement démocratique et économique. Sa focalisation obsessionnelle pour les préceptes du passé lui fait oublier les principes progressistes du présent.
Pour ce qui est de l’Algérie, je reprendrai mon analyse développée dans un précédent texte. «L’islam radical est apparu au lendemain de l’indépendance de l’Algérie. Il n’est pas inutile de noter d’emblée la coïncidence entre la naissance de l’Etat-nation algérien et le surgissement de l’islamisme. En effet, on ne peut pas comprendre et expliquer l’apparition de l’islamisme sans le situer dans le prolongement de la fondation de l’Etat algérien. Sans édification de l’Etat algérien, pas d’enfantement de l’islam radical. Sans structures étatiques éducatives et médiatiques construites au lendemain de l’indépendance, l’islamisme n’aurait jamais vu le jour. Il serait demeuré dans la nuit de ses ténébreuses et sages pratiques locales.»
En résumé, durant des siècles, les Algériens observaient un islam traditionnel, villageois, tolérant. Une fois l’Algérie indépendante, l’islam se politise. Il est instrumentalisé par le régime aux fins d’asservissement du peuple et de dévoiement de la politique sur un terrain délibérément religieux pour contrer et contenir les forces oppositionnelles progressistes. De toute évidence, l’institutionnalisation de la religion se traduit par la régression de sa dimension tolérante.
Le judaïsme, religion minoritaire millénaire, était au XIXe siècle, à la faveur de l’émancipation des juifs opérée en Europe, en voie d’extinction. En effet, par leur émancipation, une grande majorité de juifs se sont intégrés, voire totalement assimilés à leur société d’«accueil», leur pays «adoptif» (la France, l’Allemagne, l’Autriche, l’Angleterre, les Etats-Unis, etc.).
Cette religion opprimée, de tout temps «apolitique», dépourvue de toute dimension universelle (car elle ne pratique pas le prosélytisme), et donc de toute ambition de domination, va se fourvoyer dans l’impérialisme européen triomphant du XIXe siècle, et se dévoyer dans la religion colonialiste.
Tout se passe comme si, devant le déclin de l’emprise du judaïsme sur ses ouailles converties à la modernité, illustrée par leur éloignement de la religion ou conversion au protestantisme ou catholicisme, les instances rabbiniques politisées, soucieuses de stopper l’hémorragie judaïque, ont confectionné un dérivatif politique pour réanimer la foi juive au moyen d’une entreprise impérialiste de création d’un foyer juif sur la base du mythe d’une ancienne nation juive détruite. C’est la naissance du sionisme. Le début de la religion judaïque dévoyée vers un projet politique raciste colonialiste.
Rien de nouveau sous le Ciel de Dieu, de Yahvé, ou d’Allah : la politique poursuit son chemin serpent-ueux au service de la religion, et la religion poursuit sa route tor-tueuse au moyen de la politique.
«Le degré d’inhumanité d’une religion en garantit la force et la durée : une religion libérale est une moquerie ou un miracle.» Emil Michel Cioran
M. K.
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