Civilisation occidentale ou syphilisation capitaliste ?
Par Mesloub Khider – «Notre civilisation tant vanté est née dans le sang, est imbibée de sang.» (Jack London)
D’aucuns s’accordent pour affirmer la supériorité de la civilisation occidentale. La civilisation occidentale domine le monde. Cette civilisation occidentale serait la descendante directe des civilisations grecque, romaine, chrétienne. Doit-on valider et cautionner de telles assertions ?
Est-il vrai que la civilisation occidentale domine le monde ? Rien de plus fallacieux. En effet, le concept de civilisation occidentale est inapproprié et incorrect pour qualifier la culture dominante actuelle, le mode de penser universel contemporain. Cette notion de civilisation occidentale est purement idéologique. S’il y a bien une civilisation qui domine le monde, c’est bien le capitalisme. Et pour rectifier et préciser la notion, il faudrait plutôt parler de système économique et social, et non de civilisation.
L’essence du capitalisme est de produire de la plus-value (profit) et non de produire de la culture. Sa «civilisation» s’ingénie à accumuler du capital, et non à capitaliser les ingénieuses valeurs humaines. De transformer la société en marché mû uniquement par des rapports marchands, et non à rassembler les hommes dans une communauté universelle animée exclusivement par des rapports authentiquement humains.
C’est une classe sociale et non une culture qui domine le monde contemporain. Et le mode de vie capitaliste est fondé sur la propriété privée des capitaux et des investissements de ceux-ci, et non sur une morale et des valeurs spirituelles. Sa culture est dominée par la vénalité et la consommation pathologique.
En outre, le capitalisme lui-même n’a rien de spécifiquement occidental. De nos jours, il est apatride, cosmopolite. Les Chinois, bien avant l’Europe, ont impulsé le mouvement du capitalisme, mais il a été tué dans l’œuf par les seigneurs chinois.
De même, le capitalisme n’est pas l’enfant du christianisme.
C’est un enfant, certes, conçu dans les entrailles géographiques chrétiennes, mais fécondé dans le dos de la chrétienté, contre sa volonté stérile, arraché du ventre féodal européen au forceps.
En réalité, le capitalisme est l’enfant de la bourgeoisie. Il est né dans les manufactures productives des villes florissantes de l’Europe, fécondées par de virils hommes, parents d’une nouvelle génération d’entrepreneurs résolus à révolutionner le monde (ne pas oublier que la bourgeoisie fut révolutionnaire pendant longtemps à une certaine époque).
Donc, le capitalisme n’a pas été conçu par la chrétienté dominée des siècles durant par des eunuques incapables d’engendrer la moindre création matérielle humaine, hormis ces fantasmagoriques ruminations pathologiques religieuses célestes.
D’ailleurs, le célibat du christianisme lui interdisait d’épouser l’esprit de création, le privant ainsi d’enfanter la moindre civilisation matérielle et culturelle humaine. Le christianisme, ennemi de la raison, a tout juste été capable de bâtir une parasitaire institution ecclésiastique chargée scolastiquement d’épiloguer sur le sexe des anges au ciel et de s’adonner au sexe avec les petits anges sur terre. Le capitalisme n’est donc pas né au sein de l’Eglise, occupée à s’agenouiller devant le Saint-Esprit dans les miteuses églises, mais dans les «laboratoires scientifiques» de la société bourgeoise émergente.
Au reste, il n’existe pas «une civilisation» occidentale, ni une civilisation asiatique, ni une civilisation africaine. Tout comme il n’existe pas de civilisation musulmane ou chrétienne. Il y a des cultures. Elles sont diverses et variées.
En réalité, le concept de civilisation, et particulièrement sa variante raciste, «supériorité de la civilisation occidentale», a surtout servi à justifier et légitimer toutes les entreprises d’esclavage et du colonialisme à l’époque de l’accumulation primitive et d’ascension du capitalisme. Cette prétendue supériorité a alors consisté essentiellement en la suppression des autres civilisations. En vérité, l’Occident chrétien n’est pas responsable des entreprises meurtrières du capitalisme naissant. Le capitalisme sanguinaire (c’est un pléonasme) a fini aussi par anéantir le christianisme. Si on doit parler de supériorité, c’est du système capitaliste en tant que mode de production. En effet, au plan purement économique, le capitalisme fut largement supérieur à tous les autres modes de production antérieurs. Et le capitalisme n’est, à plus forte raison de nos jours, ni occidental, ni américain, ni asiatique. Mais mondial.
En revanche, d’un point de vue strictement historique, l’Europe, et non pas de manière abstraite l’Occident, a vécu constamment sur le pied de guerre. En effet, si l’Europe a démontré sa grande supériorité, c’est en matière de massacres intra-européens et extra-européens. Par ses fratricides guerres entreprises sur son sol chrétien, comme par ses massacres coloniaux, esclavagistes, impérialistes, opérés dans les autres continents. Sans oublier ses deux boucheries mondiales de 14/18 et de 39/45 exécutées en plein siècle de la démocratie (bourgeoise).
Pour rétablir la vérité, ainsi, ce n’est pas l’entité conceptuelle «civilisation occidentale» qui aura brillé par le génocide des Indiens d’Amérique, la torture et l’exploitation des esclaves africains, par le pillage de leurs continents, le torpillage de leurs cultures, mais le système capitaliste européen.
D’ailleurs, que recouvre la notion de «civilisation» ? Effectivement, on encense souvent certaines civilisations. On s’émerveille pour leurs grandes réalisations. Mais on oublie que la majorité de ces «civilisations» furent dominées par de sanguinaires dictatures, comme celles des pharaons, des empereurs de Chine, des rois de Sumer, pour ne citer que les plus célèbres. En effet, ces potentats n’hésitaient pas à assassiner toute leur cour pour affermir leur pouvoir ou emporter la cour avec eux dans leurs tombes ou sarcophages après la mort. Ni à décimer leur population par des travaux exténuants sur les champs ou sur les chantiers de construction pour bâtir des palais royaux ou des pyramides.
De nos jours, le culte de ces civilisations meurtrières a pour dessein de conditionner les peuples contemporains de chaque pays à développer leur fibre patriotique, et donc à nourrir la fierté de la grandeur de leurs oppresseurs actuels. Ce type de fierté patriotique civilisationnelle constitue un ferment idéal pour le racisme, la xénophobie, le fascisme, la guerre. On prêche l’amour de «sa» civilisation pour mieux rejeter les autres civilisations.
On prétend que «les musulmans» représentent une autre civilisation, «les Chinois» une autre civilisation, les Occidentaux une autre civilisation. Par ces discours réactionnaires, outre le sentiment de supériorité, le but est de distiller une mentalité de la peur, une atmosphère sécuritaire : «Défendons-nous contre eux, protégeons-nous contre eux, armons-nous contre eux.»
En vérité, les classes dirigeantes de tous les pays se moquent royalement des concepts de civilisation, elles ne connaissent que l’accumulation de capital, la civilisation du profit. Elles servent ce genre de thèses de «civilisation» à leurs peuples dominés et exploités respectifs pour mieux les détourner de leurs intérêts authentiques de classe.
Dans cette optique, depuis plusieurs années, au nom de ce concept de civilisation, on prétend que les guerres actuelles opposent les Occidentaux et les Orientaux, la civilisation occidentale et la civilisation «orientale».
En effet, Georges Bush, dans ses guerres impérialistes contre l’Orient, n’a pas hésité à user du vocable «guerre des civilisations», comme si la civilisation capitaliste était menacée par des religieux musulmans. Perspective absurde. En effet, personne n’ignore les accointances entre le capitalisme et l’islam, la convergence d’intérêts entre l’impérialisme et les Etats musulmans.
C’est au nom de la défense de la «civilisation occidentale» qu’ont été menées les guerres contre l’Afghanistan, l’Irak, la Syrie, en détruisant au passage les lieux de naissance de la civilisation néolithique. Bien évidemment, toutes ces guerres ont revêtu un caractère impérialiste. Quand les Etats-Unis et ses alliés font la guerre en Orient, c’est surtout pour soutenir leurs alliés orientaux musulmans. Nulle guerre de civilisation.
Il ne faut jamais perdre de vue que les plus fidèles alliés des puissances capitalistes occidentales sont les régimes arabes et musulmans du monde entier : le régime saoudien et ses satellites des Emirats arabes, sans oublier les dictateurs musulmans de l’Indonésie, du Pakistan, de la Turquie, du Maroc.
Et personne n’ignore qu’Al-Qaïda est l’œuvre du Pentagone et de la CIA. En effet, Al-Qaïda a prospéré grâce à l’aide militaire, financière et logistique des Etats-Unis, mais aussi des Etats pakistanais et saoudien. Sans oublier le dernier avorton, le si bien nommé Daesh.
Drôle de «guerre de civilisations» dirigée par de fidèles partenaires et alliés capitalistes occidentaux et orientaux.
Dans ces guerres réellement impérialistes, les terroristes eux-mêmes n’hésitent pas à reprendre à l’envers cette propagande de «conflits de civilisations» par leurs proclamations d’être les défenseurs de la «civilisation islamique» contre la «civilisation occidentale». Ces alliés de l’impérialisme, par leurs phraséologies islamistes, cautionnent et avalisent cette propagande, réduisant les guerres impérialistes actuelles à des conflits confessionnels entre musulmans et «Occidentaux».
En ces temps belliqueux génocidaires au sein de la pacotille civilisation capitaliste, le vocable civilisation est très en vogue. Chaque pays en guerre proclame batailler au nom de la défense de sa «civilisation».
L’Etat d’Israël fait ses guerres pour défendre la «civilisation des Hébreux». Le dirigeant de l’Inde, le raciste Modi, lui, gouverne au nom de la «civilisation hindoue».Le dictateur Poutine mène sa politique guerrière au nom de la «civilisation orthodoxe slave». Et certains comme Bush, Sarkozy, Morano et Valls proclament venue l’ère de la «guerre des civilisations».
Décidément, ce sont les moins civilisés de la terre, les plus criminels de l’humanité, les plus ignobles, qui se drapent de cette notion de civilisation.
En réalité, l’Histoire n’a pas été émaillée de «guerre des civilisations», mais constamment jalonnée de guerres de classes, de lutte des classes.
Et si beaucoup de guerres meurtrières il y eut, c’est sur le continent européen.
En effet, les plus grandes guerres de l’Histoire ont eu lieu entre puissances dites «occidentales», et particulièrement entre puissances européennes.
En ce qui concerne la France, elle a été davantage en conflit avec l’Espagne, l’Angleterre ou l’Allemagne qu’avec l’Orient, le Moyen-Orient ou l’Asie.
Aujourd’hui, aucun Etat, impérialiste ou non, ne défend des valeurs civilisationnelles, valeurs inexistantes dans le monde capitaliste, qui ne connaît qu’une seule valeur : la valeur d’échange, la valeur marchande.
En revanche, de manière générale, et c’est un truisme de dire cela : toutes les guerres ont été déclenchées par les classes dirigeantes exploiteuses. Qui ont freiné l’évolution de la société, de l’humanité.
Ce sont des classes dirigeantes chinoises qui ont écrasé durant des siècles l’économie de la Chine, transformant ce pays riche en cimetière, compromettant l’éclosion d’une économie chinoise plus développée (pour preuve : paradoxalement, pour un pays doté d’une civilisation millénaire, il aura fallu attendre les années 1980 pour que la Chine entre économiquement dans l’histoire).
Ce sont les classes dirigeantes européennes qui ont plongé régulièrement leurs pays respectifs dans les guerres, faisant reculer à plusieurs reprises leur «civilisation».
Ce sont les classes dirigeantes indo-pakistanaises qui ont transformé l’indépendance de leurs pays en grand bain de sang, faisant reculer la «civilisation» humaine.
Ce sont les classes dirigeantes américaines qui ont transformé ces dernières années la planète en en champs de guerres permanentes pour le grand profit de leurs industries de l’armement et du pétrole, parfois au nom de la «civilisation occidentale», comme le proclamait George Bush.
Non, le monde n’est pas un vaste terrain de guerre entre plusieurs civilisations. Il est le siège de luttes entre des classes. Et c’est pour atténuer et détourner ces luttes de classes que les classes dirigeantes entretiennent un climat de guerre permanent.
Le capitalisme est mondial, pareillement pour le prolétariat.
Avec l’entrée du capitalisme en décadence, les classes dirigeantes tentent de détourner les colères populaires vers la haine entre les peuples (prétendument de civilisations différentes).
Il ne faut pas se laisser duper par ces discours haineux.
Toute la civilisation humaine est menacée d’anéantissement si nous ne nous débarrassons pas de cette syphilisation capitaliste, vecteur de guerres, véritable destructrice de civilisations.
En fait, c’est la crise du capitalisme qui suscite les guerres actuelles, et non la prétendue résurgence d’antagonismes civilisationnels.
«Guerre de civilisations», «Occident contre Orient», les hommes politiques français, américains, auteurs, rivalisent d’imagination pour propager ces funestes théories.
Voici quelques savoureuses citations de ces propagateurs de haine :
Samuel Huntington, Le choc des civilisations :
«Le monde d’après la guerre froide comporte sept ou huit grandes civilisations. Les affinités et les différences culturelles déterminent les intérêts, les antagonismes et les associations entre Etats. Les pays les plus importants dans le monde sont surtout issus de civilisations différentes. Les conflits locaux qui ont le plus de chance de provoquer des guerres élargies ont lieu entre groupes et Etats issus de différentes civilisations. La forme fondamentale que prend le développement économique et politique diffère dans chaque civilisation. Les problèmes internationaux les plus importants tiennent aux différences entre civilisations. L’Occident n’est plus désormais le seul à être puissant… Une civilisation est le mode le plus élevé de regroupement et le niveau le plus haut d’identité culturelle dont les humains ont besoin pour se distinguer des autres espèces. Elle se définit à la fois par des éléments objectifs, comme la langue, l’histoire, la religion, les coutumes, les institutions, et par des éléments subjectifs d’auto-identification.»
Bush, justifiant le lancement de la guerre d’Afghanistan par les attentats du World Trade Center : «C’est le combat de la civilisation. C’est le combat de tous ceux qui croient au progrès et au pluralisme, à la tolérance et à la liberté… Le monde civilisé se range aux côtés de l’Amérique.»
Nicolas Sarkozy : «Il s’agit d’une guerre déclarée à la civilisation. La civilisation a une responsabilité de se défendre. C’est ce que nous sommes décidés à faire.»
«Cessons de noircir le passé. L’Occident longtemps pécha par arrogance et par ignorance. Beaucoup de crimes et d’injustices furent commis. Mais la plupart de ceux qui partirent vers le Sud n’étaient ni des monstres ni des exploiteurs. Beaucoup mirent leur énergie à construire des routes, des ponts, des écoles, des hôpitaux. Beaucoup s’épuisèrent à cultiver un bout de terre ingrat que nul avant eux n’avait cultivé. Beaucoup ne partirent que pour soigner, pour enseigner. On peut désapprouver la colonisation avec les valeurs qui sont les nôtres aujourd’hui. Mais on doit respecter les hommes et les femmes de bonne volonté qui ont pensé de bonne foi œuvrer utilement pour un idéal de civilisation auquel ils croyaient.»
Manuel Valls : «Nous ne pouvons pas perdre la guerre de civilisation contre le terrorisme.»
«Qu’est-ce que la civilisation ? C’est l’argent mis à la portée de ceux qui en possèdent.» (Georges Darien)
M. K.
Comment (7)