Une contribution de l’expert Ali Kahlane – Ce marteau qui nous fait du bien
Si l’actuelle ministre du secteur des TIC continue de s’occuper du «développement des NTIC», je crois que nous serons effectivement en retard de plus d’une guerre. D’abord, nous ne parlons plus des «TIC», cela sans compter que ces «technologies de l’information et de la communication» ne sont plus «nouvelles» depuis au moins 20 ans. La ministre dont on parle n’avait alors pas encore passé son bac.
Nous nous exprimons actuellement en termes de «digital» et de «numérique», car nous ne sommes plus uniquement dans les technologies, mais dans la transversalité des usages et des techniques où les technologies ne sont qu’un outil parmi d’autres et elles n’ont plus ce rôle vedette et presque mystique qu’on leur attribuait avant. Elles ne sont qu’un moyen et non plus une finalité en soi.
Nous parlons actuellement de transformation numérique ou digitale. Cette transformation est inter et multisectorielle. Cela suppose qu’il faut aller vers la transformation des usages, de la gestion et de la gouvernance des entreprises et des administrations.
Si on pense qu’il suffit d’un plan de développement dans lequel on aligne des chiffres pour acheter des équipements et des vœux sous forme d’«il faut qu’on…» et d’«il n’y a qu’à…» pour espérer voir ces équipements installés et utilisés à bon escient, il va falloir s’armer de beaucoup de bonne volonté et de patience.
On ne peut que constater avec beaucoup d’amertume, après que les équipements sont installés, mais pas configurés ; qu’ils sont installés, configurés, mais pas utilisés ; qu’ils sont installés, configurés, mais peu utilisés, car personne n’en voit réellement la nécessité. Pourquoi ? Tout simplement parce que nous n’avons acheté que du matériel, quelque chose que ce ministère fait très bien, surtout depuis un peu plus de 3 ans.
Le «reste» nous ne savons pas l’acheter, car le «reste» ne s’achète pas. Le reste s’appelle «transformation digitale de l’Algérie». Ce ministère ne sait pas faire cela. Car non seulement cela ne s’achète pas, donc n’est «pas intéressant», mais surtout parce que ce ministère a une obligation de moyens – qu’il se donne à travers les budgets et les ponctions qu’il fait sur le Trésor pour financer sur les deniers publics une entreprise commerciale telle qu’Algérie Télécom – pour acheter encore plus sans obligation de résultats.
Dès lors, la voie est libre à tous les abus qu’on connaît et qu’on comptabilise depuis deux décennies, surtout ces dernières années.
Il faut sincèrement qu’on arrête de se dire que ce ministère a un plan de développement ou, encore mieux, une feuille de route. Je ne vois aucune différence entre ce ministère et ceux qui l’ont précédé. C’est un ministère aussi budgétivore que tous les autres. Il prend les citoyens, connectés ou pas, en otage pour justifier l’utilisation des deniers publics, pour acheter et déployer de la fibre optique à tour de bras.
La ministre de la PTTN vient d’annoncer que 120 000 km de fibre optique ont été installés, comme si ce chiffre suffisait à améliorer la connexion internet et permettait à notre éveil numérique de se concrétiser. Cela pour acheter des équipements – des data centers qui vont être construits en marché de gré à gré –, signer des contrats de distribution d’ADSL qui sont régulièrement renouvelés avec des équipementiers chinois, alors qu’on interdit tous les jours à des Algériens de pénétrer ce marché en bonne concurrence.
On se rappelle tous la mésaventure de l’EEPAD qui fournissant un triple play (internet à 5 Mbps, TV/VOD et téléphone, formation et jeux éducatifs) en 2009. Cet opérateur, le premier à avoir l’ADSL en Algérie, a été éliminé par Algérie Télécom qui est toujours, neuf ans plus tard, incapable d’égaler l’EEPAD d’alors, ne serait-ce que dans la qualité du débit, et on ne parle pas de l’IPTV ou du forfait multiplay qui sont monnaie courante dans le monde.
Nous continuons en Algérie à avoir deux factures, une pour le téléphone et une autre pour l’internet. Si cette simple redondance est justifiée par le nombre d’employés d’Algérie Télécom (22 000 salariés), il va falloir sérieusement revoir la copie du «plan de développement» de ce ministère.
Il va falloir qu’on cesse de prendre les Algériens pour ce qu’ils ne sont pas : des indigènes. Les Algériens sont capables et méritent d’avoir mieux que cela.
Quant à la question de l’incompétence de cette ministre, telle que posée par une certaine partie de l’opinion publique, sans pouvoir jurer de celle-ci, on peut assurément avancer, sans risque de se tromper – comme elle-même l’a démontré – qu’elle n’est certainement pas à sa place. Ni elle ni l’un quelconque parmi ceux et celles qu’elle a installés un peu partout autour d’elle. Elle fait et a fait beaucoup de tort au secteur par sa jeunesse, par ses diplômes et par son genre, alors même que cela aurait dû être l’inverse.
A. K.
P. S. : Une publication sur Facebook commente le site du MPTTN, dont la page d’accueil dit ceci : «La vie est meilleure lorsque nous sommes connectés», et la publication de continuer en ces termes : «Heureusement que c’est le ministère qui est à l’origine de la déconnexion du pays de l’internet et qui l’a plongé dans la cacophonie en écornant, dans la foulée, son image à l’international, qui le déclare ! Au moins là, c’est clair. Cela ressemble beaucoup à l’histoire du fou qui se tape la tête avec un marteau et quand on lui demande pourquoi il le fait, il répond : »Parce que quand je m’arrête de taper, je me sens mieux. »».
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