Contribution du Dr Arab Kennouche – De l’audace des anciens et du 5e mandat
Par Dr Arab Kennouche – Dans le brouillard médiatique des déclarations du Premier ministre, Ahmed Ouyahia, de l’affaire de la cocaïne d’Oran impliquant les frères Chikhi, de l’arrestation de magistrats de la République, ainsi que celle d’un chauffeur de la DGSN (Direction générale de la Sûreté nationale), un fil directeur conduit, à lui seul, à une conclusion effarante, et qui vient démentir les raisons invoquées par le chef du RND pour la reconduction d’Abdelaziz Bouteflika : c’est le lien présupposé entre la sécurité nationale du pays et le personnage unique du président de la République.
En déclarant ouvertement que la sécurité de l’Algérie dépend exclusivement de la réélection du président Bouteflika, Ouyahia n’a certainement pas mesuré la véritable portée de ses propos puisque, ce faisant, il reconnaît l’extrême volatilité de l’équilibre sécuritaire en vigueur dans le pays actuellement, appuyé par les derniers événements. Une question logique ressort de ce constat amer : si l’Algérie perdait Bouteflika, elle s’enfoncerait dans une période turbulente de désagrégation sociale, économique et politique. Donc, laissons les choses en l’état, semble dire une large frange de l’élite politique. Mais dans quel état ? That is the question…
A plus d’un titre, la rhétorique politique du cinquième mandat appelé par l’ensemble des partis au pouvoir est un aveu d’échec dans la construction d’un Etat fort qui pourrait survivre à tous les coups durs, comme la fin de l’ère Bouteflika. A force de réclamer la reconduction d’un homme, on remet en cause tout le processus de construction des institutions de l’Etat, qui s’effritent à chaque fois que l’on invoque derrière un seul homme, la stabilité comme raison suprême, ultra-rationnelle, limite rouge à ne pas dépasser. Cependant, cette raison d’Etat déguisée en 5e mandat n’en est en fait pas une, car elle induit plus un équilibre précaire, établi sur des concessions négociées avec l’ennemi, et sur des avantages octroyés à une oligarchie prédatrice, que sur la préservation d’un bloc d’institutions fortes, régulées par le droit.
La dernière affaire de corruption supposée de magistrats qui atteint le cœur du pouvoir judiciaire démontre à l’envi l’extrême gravité de la situation de ce vaste marchandage. Elle indique que le pouvoir en Algérie fonctionne en roue libre ou, pire, tourne dans un vide institutionnel que nourrit une stabilité factice, un château de cartes en suspens, dont la charpente tiendrait encore par l’omniprésence des services de sécurité soumis, pourtant, à rude épreuve : corruption locale et internationale, crime organisé transnational, adossés à un islamisme djihadiste latent, sans oublier les conflits du sud, de l’ouest et de l’est….
Ainsi, lorsque des personnalités politiques de haut rang, comme Ziari, Ouyahia, Ould-Abbès, invoquent la raison de la stabilité du pays, c’est bien de celle-ci qu’il s’agit, d’une stabilité, certes, mais négative, qui pourrait voler en éclats à tout instant. L’Algérie du cinquième mandat est un cauchemar qui fait rêver certains, de par son intensité dramatique, soit que l’on considère le pays sur une pente ascendante ou descendante. Pour l’instant, ça tient, et on verra plus tard : un équilibre de la terreur sans objectif final. Pourtant, rien ne plaide en faveur d’une vision positive de la réalité économique du pays. Celle que décrirait une nation moderne, sortie du sous-développement, et solide du point de vue de ses institutions politiques. N’est-ce-pas là l’aveu d’une terrible défaite de l’Etat algérien, obligé de s’en remettre à un personnage du passé pour assurer son avenir sécuritaire ? En effet, il ne semble pas un instant que le pays ait démontré toutes ses compétences pendant ces derniers mandats d’un XXIe siècle conquérant, conjugué à l’énorme potentiel en ressources humaines et matérielles, pour qu’on puisse seulement se contenter d’un équilibre précaire entre plusieurs factions au pouvoir, incapables de penser en grand. Si l’Algérie doit encore s’en remettre à un seul homme, quel qu’il soit, c’est qu’elle s’est complètement perdue dans les méandres de la corruption mesquine, du marchandage abject, voire perfide, et de l’absence de politique audacieuse, de grands desseins. Bref, d’une vision stratégique.
C’est pourtant dans cet esprit de prise de risque, sans calcul autre que la libération totale du pays, que les 22 premiers moudjahid se lancèrent corps et âme contre l’occupant en 1954. Jeunes et forts, ils ébranlèrent le monde entier. Contre la frilosité, la pusillanimité, l’hypocrisie des dinosaures de l’indépendance de l’époque, 22 Algériens, dans le sillage de leurs aînés vietnamiens du FNL, ébranlèrent l’Algérie des racistes et des esclavagistes, l’Afrique sous tutelle des Blancs, et encore le monde entier. L’esprit du 1er Novembre 1954 n’est plus de ce monde, et chaque jour de l’actualité politique démontre la frilosité de toute une élite politique incapable de penser et d’agir au-delà de ses intérêts claniques ou, au mieux, de ceux d’une Algérie qui courbe l’échine, comme pendant la longue nuit coloniale.
Le consensus du 5e mandat fait écho à cette Algérie des messalistes qui voulaient l’indépendance mais ne faisaient rien pour l’obtenir. Assimilationnistes, béni-oui-oui-stes, ils trouvèrent tout un attirail de raisons pour ne pas affronter l’évidence d’une lutte acharnée, indispensable pour le recouvrement de l’indépendance nationale. Les jeunes firent le travail à leur place, même s’ils n’en récoltèrent guère les fruits. Aujourd’hui, au lieu de réclamer à tue-tête un énième mandat, la Présidence ferait mieux de gérer une phase transitoire, une passation de pouvoir sur la base de son héritage qui allierait audacieusement tous les acteurs stratégiques du pays, dans un vaste programme de refondation nationale, salutaire à tout point de vue. Attendre le pourrissement final ne sera, en effet, jamais une solution politique.
Car l’Algérie ne s’est jamais, au grand jamais, construite dans la frilosité, la peur et la lâcheté. Elle s’est construite dans l’audace, la prise de risques extrêmes, non pas la fuite en avant, mais le face à face, devant les dangers, les périls, les inimitiés. Audace des 22 qui propulsèrent tout un peuple dans la lutte, dans l’inconnu de la victoire. Audace d’un président Boumediène qui osa nationaliser les pétroles et rendit à l’Algérie son indépendance économique confisquée. Audace encore d’une ANP qui arrêta sans plus tarder la gangrène islamiste dans son accession au pouvoir en prenant une décision ferme et ô combien ! salvatrice pour la nation. L’Algérie audacieuse est celle qui nous fait défaut aujourd’hui. Prendre de fortes décisions au moment opportun, et une bonne fois pour toutes, comme en 1954, en 1971 et en 1991. A chaque fois, l’Algérie en est sortie grandie, raffermie, remise sur les rails.
Il incombe au président de la République, le premier responsable du pays, de nous sortir de l’ornière d’une crise politique qui ne fait que commencer. Qu’il nous montre le chemin à prendre comme le firent le groupe des 22, Boumediene et Nezzar, en un mot d’ordre clair et distinct, une voie simple dont les portes s’ouvriraient pour tout le monde. Et qu’il mette fin à ce byzantinisme de salon, en prenant une décision irrévocable, montrant ce nouveau chemin à suivre à tous les Algériens, et non plus uniquement à une classe de privilégiés du système qui glousseraient de joie à l’idée d’avoir réussi à protéger leurs deniers et leurs enfants pour toujours. De l’audace et encore de l’audace : c’est ce que réclame le peuple algérien qui ne pourra avancer que s’il se reconnaît dans un chef digne de ce nom, capable d’un renversement de la donne, comme le firent nos aînés et, avec l’aide de Dieu, toute l’Algérie retrouvera confiance en elle, et en ses élites politiques.
A. K.
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