Une contribution d’Ahcène Moussi – Alger l’intelligente, dit le wali…
Par Ahcène Moussi – Nous sommes à l’ère du numérique et tous les start up mènent à Alger, dit notre wali. D’Alger la Blanche, à Alger l’intelligente est son vif désir.
Blanche, c’est vrai, il fut un temps, puisqu’El-Bahdja a naturellement suivi le mouvement de toutes ces femmes qui portaient le hayek blanc, jusque dans les années 1970. Aujourd’hui, nos gouvernants désirent qu’Alger garde son costume blanc, bien qu’il se soit quelque peu noirci avec les temps qui passent. Ils veulent aussi rattraper le retard sur le plan technologique, en s’efforçant de donner les moyens nécessaires à cette ville pour devenir intelligente, à l’image des smart villes du monde. M. Zoukh, wali d’Alger, l’a bien dit lors de sa dernière sortie. Si tel est l’objectif visé, les politiques doivent donc bien poser les contours du projet (quoi, pourquoi et comment), convaincre de son opportunité et propager, engager et accélérer la réflexion.
Le wali d’Alger nous a informés de l’organisation d’un séminaire des Smart Cities, les mercredi 27 et jeudi 28 juin prochain. Heureux qui, comme Ulysse, Abdelkader Zoukh s’est empressé de parler de la présence de plus de 40 Etats et 15 institutions de renommée mondiale dans le domaine technologique à ce séminaire. C’est, selon lui, 4 000 experts nationaux et étrangers dans le domaine des TIC et des start up qui sont attendus. La fête sera donc si grande, éblouissante et en couleur. Rien ne sera négligé et tous les moyens seront mis à disposition, y compris «Internet que ne sera pas coupé» le jour de ce grand rassemblement.
Oui, l’idée est certainement bonne. Se posent cependant la question de sa concrétisation et la priorité à inscrire un tel projet, au moment où nos finances sont dans le rouge. Est-il prioritaire pour une ville comme Alger, qui a dû, pourtant, couper Internet à ses concitoyens pour sécuriser l’examen du bac ? Est-il prioritaire dans une ville où les agents d’hygiène doivent faire face à un volume de déchets ménagers de plus de 300 tonnes/jour et à l’incivisme d’une majorité des citoyens ? Est-il possible dans une ville où le taux de criminalité (6,5%) est le plus élevé de toutes les autres villes du pays ? Est-il possible dans un pays classé à la 153e position mondiale des pays selon leur taux d’accès à Internet ? Est-il possible dans une ville qui enregistre des coupures d’électricité au moins une fois par trimestre ?
Autant de questions qui nécessitent des réponses claires et convaincantes. Ajouter à cette absence de payement par cartes de crédit et à celle du recours à l’usage de chèques, la boucle est alors bouclée. Les conditions ne sont donc pas toutes réunies pour nous convaincre de la priorité et de la faisabilité d’un tel projet. Il ne sera pas chose aisée pour transformer, du jour au lendemain, une ville désorganisée et malade en ville intelligente. Beaucoup reste à faire. Gardons nos pieds sur terre ! Les temps ont changé et le monde a énormément progressé au moment où nous avions choisi de rester de simples spectateurs au lieu de jouer notre rôle d’acteurs dans tout ce qui fait avancer le monde.
Que M. le wali sache que ce genre de projet de «ville intelligente» nécessiterait pour sa concrétisation la participation et l’implication de plusieurs secteurs d’affaires de la ville, la mobilisation des équipes de travail multidisciplinaires, pour stimuler l’innovation et la création collaborative et surtout la volonté politique de faire participer les citoyens, l’administration et les acteurs économiques. Ce n’est donc pas si simple que ça.
Il y a bien des villes intelligentes aujourd’hui à travers le monde – Montréal, Tokyo, Vancouver, Munich, Copenhague, Paris, etc. Si elles sont arrivées à ce stade, c’est grâce, d’une part, au travail et à la fermeté des autorités et des responsables à tous les niveaux et de tous les secteurs d’activité, et, d’autre part, à la transparence et à la disponibilité de l’information fiable.
Avez-vous vraiment cette ambition de faire d’Alger la ville intelligente M. le Wali ? Y a-t-il sincèrement une volonté politique pour ce projet ? Ou est-ce encore juste pour amuser la galerie, pour la façade, ou un tout autre calcul malsain ? Nous avons assez gaspillé d’euros, de dollars et de temps à faire beaucoup de bruit pour rien. Vous nous avez assez amusés et détournés des vrais problèmes qui conditionnent l’avenir du pays, M. le wali.
La ville intelligente est certes importante aux yeux des Algériens, qui sont conscients du coût que ce projet nécessitera. Nous comprenons que la ville intelligente, si concrétisée en bonne et due forme, s’observe et nous observe, apprend et réagit, guide et oriente, à partir de données numériques. Nous comprenons qu’elle sera à notre service et nous facilitera la tâche. C’est un robot multifonctionnel au service de tous les citoyens sans exception.
Nous sommes convaincus des bienfaits de la ville intelligente. Personne ne peut être contre un tel projet. La ville intelligente c’est surtout une gestion plus efficiente et démocratique au bénéfice des usagers et de la collectivité et c’est aussi un gain économique sans commune mesure.
Nous avons, à plusieurs reprises, été bernés par nos dirigeants. C’est pourquoi nous sommes méfiants à l’égard des propositions de nos autorités. Chat échaudé craint l’eau froide, dit-on. Nous sommes des Algériens et vous me comprenez, M. le wali.
La ville intelligente c’est le rêve de chaque Algérien et chacun voudra que ce soit sa ville qui en sera la candidate et pourquoi pas la première ville modèle du genre dans le pays. Pour d’autres Algériens, les start up, c’est valable aussi pour son village, un «smart village» qui souhaite s’engager dans une transition numérique et sociétale dans un but d’émancipation et de participation citoyenne. Et si, au lieu et place d’Alger qui accapare souvent la part du lion, vous donniez la chance à une autre ville ou à un village, ce serait peut-être une idée intelligente aussi.
Bouira, Béjaïa, Mostaganem, Blida, Adrar, Bechloul, Fardjioua, Ouadhias ou Bordj-Badji El-Mokhtar, Jijel, etc., peuvent elles aussi devenir des villes intelligentes. La smart city, c’est aussi une petite ville avec moins de tracasseries pour sa réalisation et une bonne expérience pour un début.
Regardez alors, M. le wali, un peu plus loin qu’Alger. L’Algérie c’est aussi ces milliers de villes, de villages et de lieudits qui ont vraiment besoin d’aide et de considération.
A. M.
Economiste au Canadada
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