Limogeage de Hamel : les conséquences sur le calendrier politique du Président
Par Dr Arab Kennouche – Le limogeage brutal du directeur de la DGSN survenu hier, mardi 26 juin 2018, laissera certainement de profondes séquelles sur le calendrier politique de la présidence de la République, tant il augure d’autres bouleversements à venir. Mais on ne pouvait s’attendre à une autre décision que celle prise par le président Bouteflika, suite aux déclarations ravageuses d’un chef de police qui, depuis le début de la crise de la cocaïne d’Oran, a accumulé les erreurs de communication au point de ne pas avoir respecté la sacro-sainte règle de la séparation des pouvoirs, et plus particulièrement de l’indépendance de la justice. Il est vrai que la presse n’a pas été tendre envers une institution de la République, la DGSN, en jetant un pavé dans la mare, suite à la citation à comparaître devant la justice d’un chauffeur présumé proche du général Hamel. C’est dans ce premier piège médiatique que le directeur de la DGSN s’est fourvoyé en faisant sentir qu’une telle accusation portait en soi une valeur politique, voire une couleur clanique, alors qu’il lui était loisible de laisser les magistrats et procureurs pénétrer dans le sein même de l’institution dont il était en charge.
Premier impair donc, que celui de vouloir ériger la DGSN en socle de l’incorruptibilité absolue sous le prétexte d’une vision politique tournée vers un cinquième mandat. En politisant l’affaire à son insu, ce que Tayeb Louh, garde des Sceaux, a tenté d’éviter en rappelant que personne ne sera exempté des actions de justice concernant cette affaire de cocaïne, Hamel a mis dans la gêne l’ensemble du pouvoir politique algérien actuellement aux affaires, dont le président de la République en personne, Abdelaziz Bouteflika. Il eût fallu simplement que le chef de la Sûreté nationale accepte le bien-fondé de la citation à comparaître, ce qui peut arriver dans n’importe quelle police ou institution sécuritaire du monde entier.
Mais c’est par un deuxième impair plus grave, que le général Hamel enfonça le clou au point de provoquer la fin de sa mission. En déclarant à la presse que «pour lutter contre la corruption, il faut être soi-même propre», Hamel visait des personnes en particulier sans les nommer, mais asséna également un coup fatal à l’ensemble du pouvoir en place, à commencer par le garde des Sceaux lui-même. Une telle déclaration n’équivaut-elle pas en effet à considérer que le chef de la DGSN détiendrait des informations spéciales, que le garde des Sceaux n’aurait pas obtenu lui-même, ou bien qu’il se placerait au-dessus de la mêlée en outrepassant les pouvoirs de la justice pour s’en prendre à une opposition politique avant tout ?
Est-ce là bien le rôle d’un chef de la sûreté que de se former en juge au-delà des prérogatives d’un autre ministère, la justice en l’occurrence ? La réaction du Président fut donc normale et impérative. Car même s’il existe peu de chances de croire qu’elle visait tout le système judiciaire actuellement sous la férule du président de la République, tout un chacun, en bonne logique institutionnelle, aurait pu déceler derrière ces propos extrêmement maladroits, une atteinte à l’exercice actuel du pouvoir judiciaire en Algérie, une usurpation de fonction en bonne et due forme. En quelque sorte, une atteinte grave à un pouvoir régalien de l’Etat, à l’un de ses fondements, même si Hamel ne le visait pas explicitement.
C’est une première lecture que l’on peut faire de la révocation d’un chef de Sûreté nationale qui remet en cause l’exercice même de la justice, car seule la justice est habilitée à lutter contre la corruption et à se prononcer en république. Et, si elle n’offre pas toute les garanties de confiance, comme l’a insinué inconsciemment Hamel, alors c’est bien que le premier chef de la police nationale remet en cause les responsables de la sécurité au sommet même de la pyramide, dont incidemment, le président de la République.
Néanmoins, il semble bien évident que de telles déclarations avaient pour vocation première à désigner encore autre chose, un adversaire politique, et sous les propos «il faut être propre soi-même», Hamel ne visait certainement pas le ministère de la Justice, mais bel et bien un camp idéologique qui ne serait pas dans les bonnes grâces du président de la République et à ceux qui n’aspirent pas à un cinquième mandat. Ce qui en soi emporte autant de conséquences néfastes sur le jeu du pouvoir institutionnel en Algérie à venir, car il dessine désormais une ligne de démarcation, entre «bons» et «mauvais» corrupteurs qui transgresse pernicieusement les institutions de la République, un clan idéologique étant au-dessus des lois constitutionnelles.
En effet, Hamel reconnaît implicitement que l’état de corruption actuel est certes avéré mais que s’il en est ainsi, c’est que l’adversaire politique, l’opposition générale à Bouteflika, n’est elle-même pas exempte de tout reproche. Il ne faudrait pas pousser loin l’analyse implicite de ces propos pour bien comprendre que Hamel a presque décrété sans le vouloir, un droit de corrompre en représailles à ce qui se faisait auparavant, soit une réponse du berger à la bergère, ancien système de corruption contre nouvelle mafia. Dans le fond, l’argument semble faire écho à une vox populi qui jubile désormais de savoir tout le monde dans le même sac, mais à un tel niveau de responsabilité, la faute est grave et la réaction urgente du président de la République devint impérative.
En voulant salir ses adversaires politiques, le général Hamel a fini par éclabousser tout le monde en commençant par lui-même, mouillant jusqu’aux plus hautes instances de l’Etat les responsables de la grande corruption en Algérie. Aussi, les présupposés de telles déclarations n’auront pas de mal à former un état aggravé du mal qui ronge l’Algérie en laissant désormais penser que la corruption est généralisée et que le peuple pris à témoin par le général Hamel doit comprendre que ce phénomène a toujours existé, quel que soit le bord politique : fatalisme ou attaque en guise demea culpa, pour un directeur de la Sûreté nationale, on ne pouvait mieux faire pour se tirer une balle dans le pied.
A un degré supérieur d’interprétation, la gravité des propos ira s’accentuant. Il sera désormais difficile au pouvoir en place, à commencer par les adeptes d’un mandat infini, de convaincre le peuple du bien fondé de cette démarche, sachant que les propos implicites de Hamel seront détournés à loisir par tous ceux qui chercheront prétexte à détourner les lois de la République à leur profit.
La portée politique des propos de Hamel laisse également perplexe quant à la vision stratégique du président Bouteflika pour 2019. En déclenchant les hostilités, le général Hamel a maladroitement ouvert une boîte de pandore, et en tirant sur le fil de la corruption, comme argument politique en vue des échéances électorales à venir, il a commis l’erreur d’offrir à l’adversaire les raisons de croire qu’il existe bel et bien de vastes réseaux affairistes en Algérie qui remontent haut dans la hiérarchie de l’Etat. L’opinion pourrait comprendre le geste du président de la République ainsi : sentant le danger d’un vaste déballage, il se serait séparé d’un personnage clé du pouvoir, devenu très encombrant.
Quoi qu’il en soit, la décision du président de la République demeurera salutaire si elle garde en perspective le besoin vital d’assainir la vie publique et son espace désormais largement laissé à l’abandon et à l’occupation des plus viles mafias, et ce malgré les efforts incessants des services de sécurité.
A. K.
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