Contribution – La restructuration du DRS a-t-elle été bénéfique à l’Algérie ?
Par Dr Arab Kennouche – Le 8 septembre 2013, par un décret présidentiel du président Abdelaziz Bouteflika, publié dans le Journal officiel de la République algérienne (Jora), fut dissous un service important des armées algériennes, le Service central de la police judiciaire (SCPJ), qui avait été créé sous le même président le 9 février 2008, cinq années auparavant, à l’effet de poursuive des missions pour le compte des services militaires du ministère de la Défense nationale. En d’autres termes, la police judiciaire de l’ex-DRS a été dissoute à un moment où les affaires de corruption aggravée, mettant en péril la sécurité économique de l’Etat, s’accumulaient sur le bureau des services de police judiciaire de l’armée, depuis le dossier de l’autoroute Est-Ouest jusqu’aux affaires Sonatrach I et II, et à un moment où justement l’Algérie en avait le plus besoin. On a pu y avoir, à l’époque, la volonté ferme du président de la République de préserver la nation et l’Etat dans sa sécurité.
A vrai dire, les décisions passées du président de la République comportent tout de même, s’agissant de la sécurité économique du pays, une part d’ombre importante et d’incohérence qui, aujourd’hui, connaît de nouveaux éclairages, suite à l’affaire de la cocaïne interceptée par la Marine nationale à Oran. La pseudo-guerre des polices qui s’en est suivie a surtout démontré les carences et failles d’une coopération pas toujours évidente entre les divers services de sécurité algériens, comme le souligna malencontreusement le directeur de la DGSN, non par manque d’efficacité, mais bien par le fait d’une politisation excessive des dossiers en cours, ce qui a conduit à l’éviction du général Abdelghani Hamel.
En effet, ces carences ne furent pas de nature technique, comme le présupposait encore le général Hamel lui-même, car autant dans les anciens dossiers de l’ère Chakib Khelil, que dans ceux de la nouvelle corruption pré-5e mandat, les services de sécurité ont fait preuve d’une grande célérité dans l’identification et l’appréhension des présumés coupables. Les enquêtes étant généralement finement menées en Algérie, c’est plutôt le transfert à la partie judiciaire et à la décision juridique finale qui pose problème. Les déclarations du garde des Sceaux, Tayeb Louh, sont éloquentes à cet égard et semblent sorties tout droit d’un recueil de morale démocratique venu d’ailleurs.
Néanmoins, on se souvient encore de magistrats dé-saisis lors des affaires Sonatrach, ou bien encore de la fin de non-recevoir concernant la comparution de l’ancien ministre Chakib Khelil devant la justice algérienne, alors qu’il faisait l’objet d’une convocation par les juges milanais. C’est dans ce contexte d’impunité criant lors des mandats successifs qu’il faut réinterpréter les propos du ministre actuel de la Justice qui semble désormais prendre le pouls d’une société algérienne devenue de plus en plus sensible à une grande opération «mani pulite» (mains propres) en Algérie.
Mais si l’ex-DRS était déjà à l’époque accusé de dépassements par ses services d’enquête économique, ce qui aboutit à la dissolution du SCPJ par le président de la République, à quoi faisait référence le général Hamel lorsqu’il a déclaré il y a encore quelques jours à la presse, que des dysfonctionnements outrageux entouraient l’affaire des frères Chikhi, alors que ce même service a disparu et n’est plus opérationnel ?
Par principe, lorsqu’on décrète la fin de mission d’un service judiciaire militaire, comme l’a fait la présidence de la République, on obéit soit à une logique d’efficacité, ou bien à une autre plus politique. Comment donc le président de la République a-t-il pu mettre en place un service stratégique pour le pays, pour le dissoudre presque dans la précipitation, cinq ans plus tard, avant de conduire à une refonte de l’ancien DRS ? Que s’est-il passé pour que des cendres de l’ex-SCPJ qui, selon le pouvoir politique en place, déjà à l’époque, aurait commis des dépassements, on connaisse une fois de plus, sous l’ère Hamel, de nouveaux impairs, de graves dépassements en l’absence de ce service, de nature à limiter les pouvoirs d’enquête de certains au profit d’autres plus en phase avec la doctrine d’un Etat civil ?
Les dépassements évoqués par Hamel sont-ils de même nature que ceux dénoncés à l’époque par les adeptes de l’Etat civil ? On se souvient d’un Saïdani flamboyant qui parlait déjà de dépassements à l’époque où l’on décrivait le DRS comme une pieuvre tentaculaire. Mais celle-ci est maintenant dissoute et c’est peut-être là où le bât blesse.
En effet, à la lumière des derniers événements, cette dissolution n’a pas été pour favoriser la promotion de la justice et la lutte contre la corruption en Algérie. Alors que l’on a reproché à l’ancien DRS d’empiéter sur des domaines de compétence qui ne le concernaient pas, on se retrouve aujourd’hui en face d’un problème bien plus délicat de guerre des compétences larvée, sur fond de campagne électorale avancée dans le calendrier pour les besoins d’un 5e mandat. La forfaiture est double : d’une part, la sécurité du pays se négocie par des intermédiaires politiciens représentants d’un camp idéologique ; d’autre part, elle porte un coup dur à l’ensemble de la configuration sécuritaire en place actuellement en Algérie.
En d’autres termes, à chaque échéance électorale en perspective, on remplace la compétence par l’allégeance dans les grands dossiers de justice, économique, civile ou militaire. Sauf qu’à l’heure actuelle, dans l’état général de la situation économique du pays, un déballage général en guise de précampagne électorale peut nourrir en même temps plusieurs bombes à retardement chez un peuple lassé d’une accumulation interminable d’affaires d’argent sale. Les années Khellil où le baril s’élevait à plus de 140 dollars pouvaient encore masquer un phénomène pervers de gabegie qui profitait encore au peuple. Mais nous sommes dans un tout autre contexte qui n’autorise plus l’impunité contre l’allégeance, sachant que c’est l’austérité qui marque désormais la politique du gouvernement Ouyahia.
D’autant plus qu’il sera désormais difficile de mettre sur le compte d’un des services de l’ex-DRS, la situation délétère de la corruption étatique comme dans les affaires Sonatrach, où finalement on ne saura jamais dans quelle mesure Chakib Khellil a été traîné dans la boue, ou bien s’il a sa part de responsabilité dans le traitement des contrats d’hydrocarbures avec l’italien ENI. Ne pouvant plus se prévaloir de l’argument du fantomatique SCPJ, on peut même se demander si la présidence de la République n’a pas commis une erreur stratégique en détruisant un service réputé pour son efficacité et sa discrétion, en pêchant par sensibilité politique, au lieu de la préservation des intérêts supérieurs de l’Etat.
Ce sont, en tout cas, ces intérêts supérieurs de l’Etat qui doivent conduire le président Bouteflika à empêcher tout débordement politique dans la gestion des grands dossiers de corruption qui surgissent ces derniers temps dans le paysage médiatique des Algériens. C’est la seule voie pour l’évitement d’un marasme social que le discrédit jeté sur la justice du pays pourrait créer en propulsant la guerre des clans dans un rouage essentiel de l’Etat, c’est-à-dire la fonction judiciaire.
L’opprobre jeté sur un chapelet de personnalités politiques de rang intermédiaire, ou bien de seconds-couteaux, comme le wali d’Alger, ne peut qu’avoir l’effet d’un récurage temporaire en vue des élections, mais ne résoudra pas le problème de la sécurité économique du pays, tant au niveau organique que judiciaire.
A. K.
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