Une contribution de Mesloub Khider – Les tartufferies de la démocratie
Par Mesloub Khider – «Le suffrage universel ne me fait pas peur, les gens voteront comme on leur dira», disait le royaliste Alexis de Tocqueville.
Selon les spécialistes, la démocratie serait le meilleur régime pour maigrir, à force de se nourrir d’espoirs déçus. Selon d’autres, la démocratie serait le meilleur sport pour muscler sa patience, patience jamais fatiguée d’attendre le miracle politique et économique se réaliser. Selon d’autres, ce serait la plus belle conversion à cette religion des temps modernes : c’est la seule qui promet le paradis sur terre. Selon d’autres, ce serait le meilleur système mortuaire du vivant de l’homme : l’homme s’entraîne à enterrer régulièrement sa vie dans l’urne funèbre électorale. Selon d’autres, la démocratie ce serait le plus sincère et loyal mariage de l’existence : l’infidélité est inscrite dans le programme politique. Selon d’autres, ce serait le plus bel et aveugle amour passionné témoigné à un inconnu : on offre son cœur à un politicien sans l’avoir jamais rencontré auparavant, ni le côtoyer après les épousailles électorales.
Selon les plus fins escrocs, ce serait la plus ingénieuse des escroqueries : c’est la seule «transaction» où l’on vous vend une marchandise (politique) sans garantie de résultats. Selon la légende, la démocratie «est un mode de gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple». L’auteur de la citation devait être soûl ce jour-là, il a dû confondre les prépositions lors de la transcription. La citation exacte est : la démocratie est un mode de gouvernement sans le peuple, au-dessus du peuple et contre le peuple. Selon l’étymologie, le terme démocratie vient de la contraction des deux mots grecs Démos (peuple) et Krâtos (pouvoir, autorité). Apparemment, dès l’origine, les gouvernants n’ont retenu que le second terme comme principe de gouvernement, oubliant au passage le peuple.
On continue à soutenir que la démocratie est un régime politique dans lequel la souveraineté appartient à l’ensemble des citoyens. Il serait plus exact de dire : la démocratie est un régime politique dans lequel l’ensemble des citoyens appartient à la souveraineté d’une classe (caste, oligarchie, monarchie). La démocratie serait la souveraineté citoyenne du plus grand nombre, mais exercée en vrai par l’Unique divin capital tapi dans l’ombre. La démocratie apparemment s’exerce en notre nom, mais on n’attend toujours qu’elle nous donne son prénom, pour nous permettre enfin de réellement la fréquenter, établir ensemble un véritable lien d’amitié.
On nous martèle qu’on fait partie d’un peuple souverain, pourtant le souverain pouvoir ne fait pas partie du peuple. S’agirait-il d’une difformité politique ou d’une politique de la conformité ? On prétend que, grâce à la démocratie, le citoyen obtient sa libération, pourtant il attend toujours pour participer réellement aux délibérations. La démocratie, prétend-on, est l’émanation de la volonté générale, mais exercée en vrai par l’unique volonté particulière d’un seul président, volontairement adossé à un général.
La démocratie serait un contrat social signé par le peuple avec le pouvoir pour gouverner la société mais dans les seuls palais du pouvoir. La démocratie est la forme politique de gouvernement la plus accomplie de tous les régimes, prétend-on, mais une politique accomplie par le seul gouvernement imposant un régime sec à toute la société. En démocratie, à chaque scrutin, on brigue notre bulletin, pour permettre à des requins de faire main basse sur notre butin public national.
La démocratie permet aux politiciens de briguer régulièrement le suffrage des citoyens par l’obtention de leurs voix, mais à quoi sert la démocratie si elle ne permet jamais à ces mêmes citoyens de changer le cours de leur vie ? La démocratie s’exercerait, selon ses laudateurs, en toute transparence mais la réalité nous prouve qu’elle use que d’apparence, étant entendu que les véritables décideurs c’est l’opaque finance.
En démocratie, dit-on, l’élu remplit un mandat. Aussitôt élu, il s’empresse d’aller encaisser le mandat dans toutes les caisses de l’Etat pour remplir royalement sa maison, oh pardon sa mission. En démocratie l’élu, dit-on, doit avoir politiquement beaucoup d’exigence mais, surtout, énormément d’allégeance. En démocratie, la vie de l’élu est une sinécure affaire de missions, commissions, soumissions, compromissions, concussions, de bassesse, d’indélicatesse, de scélératesse, de félonie, d’infamie, de perfidie. En démocratie, l’élu, dit-on, loyalement rend des comptes au peuple mais, surtout, peuple ses comptes royalement.
Paradoxalement, dans la démocratie, on ne nous implique jamais dans la construction des projets postélectoraux. On nous fait juste voter pour des candidats qui, une fois élus, s’empressent d’enterrer leurs promesses, en se fondant sur la maxime du grand philosophe démocrate Charles Pasqua : «Les promesses n’engagent que ceux qui y croient.»
On se gausse des peuples primitifs qui remettent leur destin entre les mains des esprits seuls aptes à les aider à gérer leur vie, les inaptes citoyens agissent-ils autrement en déléguant leur pouvoir politique à des mandataires dénués d’esprit ? Le suffrage universel est un tranquillisant destiné, comme chez Staline, moins hypocrite en matière de gouvernance, à enfermer la contestation dans une camisole chimique électoraliste. L’Etat a toujours ses raisons de prendre un arrêt, instaurant la démocratie, mais la démocratie s’arrête où commence la raison d’Etat.
En démocratie, si on ne vote pas convenablement, on nous refait voter (comme au Danemark à propos de Maastricht) ou on annule l’élection au nom de la défense de la démocratie, voire on dissout le peuple. «Le capitalisme, c’est la loi du plus salaud», que peuvent donc la démocratie et le suffrage universel contre lui ? Si voter pouvait changer quelque chose, ce serait interdit.
C’est comme pour le travail, la classe démocratique dominante nous serine que travailler c’est bon pour la santé. C’est pourquoi elle s’est toujours ingéniée à l’abandonner aux seuls prolétaires pour mieux profiter démocratiquement de son oisiveté.
En démocratie, les patrons, paradoxalement, sont les seuls dirigeants à ne jamais être élus par les citoyens. Pourtant, l’établissement professionnel est le lieu où l’on passe presque un demi-siècle de notre vie à produire des richesses curieusement accaparées par d’autres. La démocratie s’est installée dans tous les lieux honorifiques de la société, mais jamais dans les honorables lieux de la production de la vie : l’économie, cette instance de création de richesse privatisée au seul profit d’une classe.
La bourgeoisie préfère la lutte électorale à la lutte des classes. Actuellement, le suffrage universel est partout et la lutte des classes nulle part. Avec la démocratie, l’exercice électoral se limite à donner dans l’anonymat sa voix. Quand, enfin, déciderons-nous à reprendre de la voix et prendre nous-mêmes la parole pour exercer publiquement notre pouvoir décisionnel politique ?
La démocratie bourgeoise est affligée d’une stérilité congénitale. Même les choix électoraux les plus audacieux (Podemos, Syriza) se révèlent impuissants à engendrer la moindre réforme avantageuse pour les électeurs pourtant révolutionnairement courtisés par un programme supposément subversif mais en vérité corseté par le capital.
En réalité, dans notre société prétendument démocratique, les élections sont partout, mais la vraie démocratie nulle pas. Un homme digne ne s’avilit pas à choisir ses maîtres, mais se dresse pour les destituer. L’histoire retiendra plus tard que la société démocratique bourgeoise aura été la seule structure sociale où ses citoyens ont cultivé la servitude volontaire jusqu’au délire d’élire eux-mêmes intrépidement leurs propres bourreaux.
Il est plus facile de ramper vers une urne que de se lever comme le Che pour ensevelir les cendres de l’ordre existant dans l’urne mortuaire. Le vote, c’est ce que concède le capital au vaincu pour qu’il accepte sa défaite sociale mais, bien sûr, dans la dignité démocratique.
Jamais une transformation sociale n’a jailli des urnes «démocratiques». Toute notre existence, sacrifiée par le capital au nom de la démocratie, a un relent de l’urne funèbre.
«Les enfants croient au Père Noël, les adultes votent.» (Pierre Desproges)
M. K.
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