La démocratie, de Périclès à Bouteflika
Par El-Hadi – Il faut, peut-être, une certaine inconscience pour écrire sur la démocratie. Le facteur qui devrait décourager toute tentative est, bien sûr, l’extraordinaire profusion de la littérature qui lui est consacrée. Il y a vingt-cinq siècles, elle se trouvait déjà au cœur des discussions politiques dans le monde grec. Elle l’est encore de nos jours, et même bien davantage.
Les lendemains du totalitarisme ont relancé la question éthique, favorisant une réactualisation de l’idée démocratique ; et, comme la plupart des régimes contemporains se réclament de ce mode de gouvernement, elle est devenue indissociable d’une réflexion sur l’action politique.
Profusion mais aussi confusion – celle qui résulte immanquablement de la diversité des discours tenus dans des contextes non comparables, avec des préoccupations peu compatibles.
Déjà, le magnifique éloge de la démocratie prononcé par Périclès, au début de la guerre du Péloponnèse, n’avait pas le même statut que les considérations philosophiques d’un Platon. Il en va de même aujourd’hui.
Le mot démocratie appartient, en effet, à divers univers de langage. Et d’abord, à celui de la vie politique quotidienne. L’usage constant qui en est fait révèle sans aucun doute la volonté d’affirmer des convictions : mais il s’inscrit aussi dans des luttes tactiques. Là où la référence démocratique fait l’objet d’un consensus à peu près unanime, il est habile, en effet, d’en faire un argument de combat pour embarrasser un rival, légitimer un programme de réformes, contester les méthodes du gouvernement en place.
En outre, l’époque n’est pas si éloignée où la revendication de «démocratie réelle» signifiait rien moins que l’attente d’une révolution sociale. Parallèlement, la démocratie est érigée en concept théorique par l’analyse savante : celle des philosophes, celle aussi des juristes, des sociologues ou des politistes.
Pour les premiers, elle constitue souvent un moyen privilégié d’introduire la préoccupation des valeurs dans la méditation sur le politique. C’est à travers la question de la démocratie qu’est posé le problème de la justice et, plus largement, celui du «bon gouvernement» de la société.
La préoccupation des seconds est plutôt d’identifier les formes institutionnelles de la démocratie de façon à la distinguer clairement d’autres catégories de régimes politiques : autoritaires ou totalitaires.
Quant aux sociologues et aux politistes, ils partagent une ambition globale d’éclairer le phénomène démocratique dans toutes ses dimensions : juridiques et politiques, sans négliger la part du travail symbolique qui lui donne sens.
Enfin, dans cet espace intermédiaire entre discours d’acteurs et discours savants, se glissent des myriades d’essayistes généralement moralistes, qui déplorent et dénoncent les corruptions de l’idéal, proposent les moyens de progresser vers «plus de démocratie». Leur influence sur le façonnement des représentations sociales ne saurait être sous-estimée, car ils alimentent en arguments ou en formules le débat médiatique et, parfois, la réflexion des dirigeants. Les thèmes qu’ils abordent, la confiance ou le pessimisme qu’ils expriment, pèsent sur la manière dont nombre de citoyens perçoivent le régime politique auquel il leur est demandé d’adhérer, voire de participer.
Il existe donc diverses manières de parler de la démocratie, toutes légitimes, selon le point de vue à partir duquel on se place.
E.-H.
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