Contribution – Levée des subventions : gare au cataclysme social !
Par Akram Chorfi – A trop concevoir la levée des subventions comme un impératif calendaire dans ce contexte de disette financière, l’on perd de vue les raisons initiales qui ont justifié, et même rendu nécessaire, l’institution des subventions.
Rappelons-nous, la chute vertigineuse du dinar, par dix fois, avait été assimilée à un cataclysme par de nombreux observateurs internationaux de la scène sociale algérienne. La violence qui s’en était suivie avait alors rendu secondaire tout problème de pouvoir d’achat ou de qualité de vie, l’Algérien veillant prioritairement à sa survie face à la barbarie des barbares. La suite est une succession de faits et de mesures, précédés de constats établissant, selon des paramètres algériens, qu’il y avait douze millions de pauvres en Algérie, y compris ceux que le terrorisme avait paupérisés et précarisés.
Les subventions trouvaient leur pleine justification dans cette réalité qui, une fois prise en charge et éradiquée, devait dicter un autre redéploiement de l’Etat dans la sphère sociale, qui permet un ciblage raisonné et optimisé des catégories fragiles. La prospérité financière qui avait caractérisé la décennie 2004-2014 avait créé une euphorie consumériste que devait décupler l’augmentation massive des salaires de tous les travailleurs, à l’exception de ceux des hauts cadres de l’Etat, doublée d’une déconcentration de l’épargne du point focal qu’aurait été l’immobilier si l’Etat, lui-même, ne s’était tiré une balle dans le pied en s’érigeant en grand pourvoyeur volontaire de logement social.
Un pouvoir d’achat dopé, des produits importés disponibles au prix de dizaines de milliards de dollars d’importations, l’énergie et l’eau subventionnées, le logement distribué, tout pour que l’Algérie soit l’eldorado d’une société pauvre rendue prospère par la grâce de la rente des hydrocarbures. Mais voilà, la crise financière a eu l’effet boomerang et le retour de manivelle, très dur, a dicté de nouvelles mesures pour préserver les grands équilibres compromis par les grands engagements sociaux qui avaient été pris auparavant. Il s’agit du logement, des subventions et de l’augmentation des salaires.
Si le logement est maintenu pour des raisons évidentes de cohésion sociale en tant que vecteur primordial d’espoir collectif et individuel, l’augmentation des salaires, elle, a été prise en charge, depuis 2014, par la création de tendances inflationnistes qui ont affaibli le pouvoir d’achat des Algériens de près de 50% si l’on additionne les taux annuels qui n’ont jamais fait l’objet d’une volonté d’endiguement. Cette mesure qui n’est pas assumée politiquement ne peut occasionner une grogne sociale, car elle échappe à l’entendement général et fonctionne non comme un mécanisme de la crise mais plutôt comme un de ses effets naturels.
Pour ce qui est des subventions, elles posent un réel problème. D’abord un problème d’équilibre financier à l’Etat, puisqu’elles se chiffrent à plus de 12 milliards de dollars chaque année et pourraient, si elles sont levées, permettre de réaliser un équilibre salvateur dans le Trésor public et pour l’équipe en charge d’imaginer les solutions d’urgence.
Ensuite, un problème politique de stabilité sociale et de stabilité tout court car, pour renflouer les caisses de l’Etat et les préserver d’une faillite probable à terme, il faut enlever à la grande majorité des Algériens cet instrument de régulation qui leur permet de croire qu’ils appartiennent à une classe moyenne ou, du moins, qu’ils ne sont pas pauvres.
Le scénario de la levée des subventions est difficile à imaginer et la perspective d’une décision de ce genre suscite les plus grandes inquiétudes car l’augmentation du seul prix de l’énergie pour la commercialiser au prix coûtant et non de rentabilité pourrait avoir un effet de levier extraordinaire sur le coût de la vie, à hauteur de 10 à 15%, ce qui équivaut à un cataclysme national qui toucherait, diversement, les différentes catégories sociales, sans compter les risques d’instabilité que cela induirait du fait du mécontentement populaire conséquent et des manipulations internes et externes que celui-ci favoriserait.
Levée des subventions, peut-être oui, mais impossible à envisager, y compris sur le long terme, sans une indexation conséquente des salaires qui permet de réguler mensuellement ceux-ci en fonction des taux d’inflation afin de préserver le pouvoir d’achat des citoyens, alors désormais plus protégés par les subventions. Et celui qui manipule l’inflation depuis des années vous dira : «Mais alors, cela revient au même !» Et le citoyen de lui répondre : «Mais alors, vers quel point de départ voulez-vous ramener la société algérienne ?» Dilemme.
A. C.
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