Contribution – Pourquoi le commerce électronique serait ruineux pour l’Algérie
Par Akram Chorfi – Ce monde connecté qui désespère de nous voir adhérer à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et de nous voir nous ouvrir sur l’économie mondialisée n’en finit pas de multiplier les tentatives de faire miroiter à nos décideurs les belles perspectives que devrait représenter la foison d’entreprises qui naissent sur le Net comme autant de start up dont on loue la vocation à créer des emplois et des richesses, ainsi que la qualité des services et la capacité de survie.
Sous prétexte de vouloir présenter leurs expériences et les modèles de leur réussite comme exemples à suivre pour notre jeunesse, des start up érigées aujourd’hui en multinationales du Net sont arrivées en Algérie, ces derniers mois, à la faveur d’événements ayant trait au sujet sous les auspices de quelques éclaireurs de la mondialisation, notamment le Groupe de la Banque mondiale.
Ces désormais multinationales aux dents de squale se présentent sous l’image radoucie qu’incarnent de jeunes loups fraîchement embarqués qui ne portent pas encore sur leurs fronts les traces de la prédation. Ils servent à nos jeunes des recettes de réussite d’une simplicité déconcertante qui ont, néanmoins, pour condition sine qua non l’existence d’une interconnexion commerciale entre l’Algérie et le reste du monde, via des mécanismes légaux que notre pays est censé avoir installés depuis des années.
Et voilà que l’on passe de la perspective pour les jeunes de s’ouvrir des horizons professionnels nouveaux à travers les start up, au constat regrettable que l’Algérie est un pays en retard en la matière qui, pour le bien de sa jeunesse, devrait, à défaut de démanteler son système douanier et de lever toutes les barrières protectionnistes, ouvrir des couloirs commerciaux digitaux et libéraliser les transactions, autrement dit libéraliser la sortie massive de devises, dans l’espoir de voir notre jeunesse réussir, dans son offensive start up, à ramener de la valeur de l’étranger pour le pays.
L’Amérique de Trump, qui a fait du protectionnisme une valeur économique, peut, elle, se permettre de s’ouvrir via le Net, ayant entre les mains des multinationales qui ont fini de dominer le monde et d’asseoir sur ses habitants, via les réseaux sociaux, une emprise certaine.
Quel obstacle à l’entrée massive de multinationales du Net sur le marché algérien, sinon l’impossibilité de transactions commerciales à l’international ? Aujourd’hui, la stratégie de ces conquérants d’un nouveau monde est d’impliquer des start up algériennes dans leurs business digital, qui n’a de digital que la circulation de l’information, mais qui, en fait, affecte l’économie réelle, perçoit de la valeur en monnaie sonnante et trébuchante, et se pose en alternative, funestement compétitive, aux entreprises classiques qui finissent par libérer leurs employés et par ne plus payer d’impôts.
Quel modèle d’économie nous proposent les adeptes de l’entrepreneuriat sur Internet ? Un modèle qui offre à ceux, parmi les pays commercialement offensifs, l’opportunité de noyauter l’économie algérienne, sans investissement étranger direct, sans effort financier direct sur la ressource humaine ? Il suffit, pour cela, d’aider des centaines, puis des milliers d’Algériens à lancer leurs start up, à réussir quelques transactions emblématiques, à s’ériger en modèles de réussite pour avoir pu écouler quelques milliers ou même millions d’euros de services et/ou de produits via le Net à l’étranger, et nous voilà viralisés, tentés de «tenter le coup», comme le ferait un joueur qui croit dans ses chances après qu’une bande d’escrocs l’eût laissé gagner une ou deux fois, juste pour l’appâter.
Le revers de la médaille est catastrophique pour toutes les économies nationales qui n’ont pas les bases technologiques, scientifiques et de savoir-faire industriel pour prévaloir économiquement, auxquelles on tente de faire accroire à tort que la sphère de l’Internet est suffisante pour «faire des affaires» et dynamiser l’économie locale.
La sphère de l’Internet est, certes, intéressante pour optimiser la circulation de l’information et de la communication et pour rendre plus rapide la réalisation des transactions commerciales entre les individus et les entités économiques. Elle l’est pour celui qui a des choses à vendre, des produits de qualité, des labels assis sur une réputation en béton, et non pour celui à qui l’on a fait croire qu’Internet est la condition nécessaire et suffisante pour le succès.
Sur le plan individuel, la chose est vraie et c’est sur cette réalité que jouent les nouveaux conquérants mondialistes. En cédant à une start up locale la franchise sur la gestion d’un business qui a fait ses preuves à l’international, et en l’accompagnant le temps d’un lancement, ils lui assurent une réussite locale et s’assurent, pour leur part, une quote-part de ce business, faisant la fortune d’un seul individu, aux dépens de milliers d’opérateurs locaux, désormais en compétition avec une multinationale qui a pénétré le marché par le biais d’une start up qui contribue à la ruine de l’économie de son pays.
Si notre économie s’ouvre, à travers la sphère commerciale, à l’international sur Internet, chaque Algérien qui consentira un achat d’un produit ou d’un service étranger par ce mode contribuera à sa ruine et à son effondrement car, au jour d’aujourd’hui, l’ouverture de l’Algérie sur le monde du point de vue commercial ne rapportera pas à l’Algérie le 1/millionième de ce qu’elle va lui coûter.
Ce n’est guère de gaieté de cœur qu’un tel constat est fait, car c’est une reconnaissance de notre incapacité à affronter l’économie mondialisée mais, à notre décharge, nous ne sommes pas les seuls dans ce cas, à cette différence singulière que les autres pays n’ont pas eu la chance de pouvoir dire non pendant qu’il est encore temps.
A. C.
Comment (15)