Comment la France coloniale menait sa guerre d’Algérie par l’architecture
Par Kamel M. – L’architecte et chercheuse Samia Henni a dévoilé ses découvertes sur «l’architecture contre-révolutionnaire durant la guerre française en Algérie», dans un entretien au magazine français Le Point, dans lequel elle révèle «les stratégies derrière les politiques de résorption des bidonvilles que les autorités coloniales françaises avaient appliquées à Alger» durant la Révolution.
Le sujet fâche en France, si bien que les autorités françaises ont interdit la tenue d’une exposition qui «s’appuie notamment sur le livre de Samia Henni Architecture of Counterrevolution: The French Army in Northern Algeria», précise Le Point.
«Certains environnements bâtis, par exemple les logements construits à Alger par Fernand Pouillon, ont déjà été l’objet d’études universitaires, mais ces recherches restent, à mon avis, sous un angle assez dépolitisé. J’ai essayé de réintroduire cette dimension en entreprenant une investigation étendue aux archives civiles et militaires (…) pour pouvoir aborder cette architecture sous des angles différents», a affirmé l’architecte native d’Alger et installée en Autriche, qui a étudié «les politiques successives déployées par les autorités françaises civiles et militaires en Algérie sous le régime colonial, plus largement les lois, le contrôle des populations, les opérations militaires, la planification, l’aménagement et la transformation du territoire».
Une véritable «guerre contre-révolutionnaire», note Samia Henni, qui a voulu démontrer l’existence d’une «intersection entre les politiques coloniales, les opérations militaires, les intérêts économiques et l’environnement détruit et construit». «Les destructions et constructions françaises en Algérie ont pu servir à mener une guerre contre les combattants indépendantistes algériens et autres», relève l’architecte, qui explique que les autorités coloniales «visaient à empêcher la propagation de la Révolution algérienne et à dominer la population».
Abordant le sujet des déplacements forcés des populations, la chercheuse estime que c’est une «violence cachée», car «c’était une stratégie militaire qui a servi à isoler la population des combattants algériens, à contrôler la population et à empêcher l’aide matérielle, psychologique et financière des populations aux combattants». «Le but était donc militaire», souligne Samia Henni qui rappelle que «jusqu’à un tiers de la population algérienne aurait été déplacé entre camps de regroupements et bidonvilles». «Certains historiens parlent de 3 740 camps», précis-t-elle, avant d’ajouter que De Gaulle avait ordonné de les transformer en villages suite au rapport de dénonciation rédigé par Michel Rocard.
Erigé en «école coloniale», le «laboratoire» de gestion des populations a existé «tout au long de l’instauration» de l’empire français : «Bugeaud en Algérie, Gallieni à Madagascar, Lyautey au Maroc, et bien d’autres», affirme Samia Henni. Mais l’effort de la France coloniale de mettre fin à la Révolution armée fut vain. «Devant ces politiques contre-révolutionnaires déployées par l’armée et le gouvernement français, les combattants algériens modifiaient leurs politiques et leurs stratégies, et en créaient de nouvelles. C’était une réadaptation continue, comme dans toute guerre. Les autorités françaises créaient alors d’autres moyens face à cela. Mais tout cela ne doit pas faire oublier l’immense souffrance des populations civiles», soutient Samia Henni.
La méthode sera exportée en France où «Papon fait appel aux officiers français qui travaillaient dans les SAS en Algérie (…) pour qu’ils entament la répression des Algériens qui vivaient dans les bidonvilles de Paris, notamment à Nanterre», rappelle Samia Henni. «Papon et ses agents avaient utilisé des techniques de renseignement et de contrôle des populations semblables à ce qui se faisait en Algérie», souligne-t-elle, expliquant que «les forces de l’ordre sous l’autorité de Maurice Papon ont appliqué des techniques très semblables à celles utilisées alors en Algérie sous le régime colonial».
K. M.
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