Droit de réponse à la «mise au point» de M. Merdaci
Par Kaddour Naïmi – Il y a plusieurs manières de répondre à cette «mise au point»(1) : par le silence, mais je risque d’être accusé de dérobade, et donc de confirmer les déclarations du professeur à mon sujet ; par le même ton, mais il n’est pas dans mon style éthique ; par l’humour polémique, mais, dans ce cas, il serait blessant et humiliant pour le destinataire (comme son dernier paragraphe l’est à mon égard), mais ce comportement n’est pas dans mes principes. Aussi, je me contenterai d’examiner ses arguments et autres qualificatifs pour laisser au lecteur le jugement que la raison lui dictera.
Constatons d’abord que Merdaci écrit : «Il est plus simple lorsqu’on prend l’initiative d’un débat public de le faire dans la clarté.» Effectivement. Mais la contribution où j’ai évoqué le terme de «mtourni» mérite-t-elle le qualificatif «insidieux» ? Où serait donc cet aspect ?… Et où serait l’«hasardeuse phénoménologie de bric et de broc» ? Ces qualificatifs du professeur me portent à ajouter une autre observation concernant le terme «mtourni». Pour ceux qui l’ignorent, ce mot est une déformation du français «retourné». Cet adjectif était et demeure utilisé par les services secrets français pour désigner soit un espion d’une nation ennemie que les agents français sont parvenus à assumer le double jeu, à leur profit, soit un de leur espion que les agents ennemis ont réussi à faire travailler pour eux. De là découle que l’emploi du terme «mtourni» par le professeur est encore moins pertinent. Davantage encore quand il le présente comme «concept» : où en est la démonstration convaincante ?
«Mtourni» n’a que le son qui plaise ; doit-on s’en contenter pour parler de concept «nouveau et radical» ? (2) Par conséquent, qualifier Slimane Bénaïssa de «mtourni» me semble un très superficiel abus de langage. Il aurait suffi au professeur, comme il l’a d’ailleurs fait, de décrire les faits et déclarations du personnage. Pour le reste, je préfère appliquer à ce dernier le qualificatif de harki de forme inédite actuelle, c’est-à-dire dans le domaine culturel et idéologique. Et même de double harki : au service des castes dominantes en France et en Algérie. A propos de mon jugement sur Slimane Bénaïssa, où est le fait de «corseter les mots et même subodorer naïvement…» ? Je n’ai fait que rappeler le parcours réel de Slimane Bénaïssa, en avouant mon absence de certitude sur l’identité de celui que j’avais connu en 1969-1970. Ne trouve-t-on pas en Algérie des personnes ayant les mêmes noms et prénoms ? Au lycée que j’ai fréquentais, le proviseur s’appelait… Si Kaddour Naïmi. Et plus d’une fois, quand j’écrivais à quelqu’un en signant de mes nom et prénoms, le destinataire me demandait : «Etes-vous l’artiste de théâtre connu ?» Ajoutons que le nom de famille de ma mère est… Bénaïssa, et il ne serait pas étonnant de trouver un homme de cette famille portant le nom de Slimane. Ajoutons un dernier argument : dans ma famille, mon grand-père, mon père, un de mes frères et l’un de ses fils ont les mêmes nom et prénom : Mohammad Naïmi. Il se pourrait donc que le Slimane Bénaïssa, que j’ai connu dans ma jeunesse, ne soit pas celui évoqué par Merdaci. Tout simplement. Je n’ai fait que montrer de la prudence dans mon examen, évitant d’affirmer là où je manque de preuve irréfutable.
S’agissant de ma proposition – c’est le mot que j’emploie – de donner au mot «harki» une définition plus large et plus universelle, où sont les preuves que je me comporte en «tribunitien emprunté» ? En passant, j’ai cherché le mot «tribunitien» dans le dictionnaire ; il donne «erreur» ; sans Wikipedia, le mot est employé comme adjectif, et non comme substantif(3). Dès lors, il semble que le professeur aurait dû employer le mot «tribun». Quant à l’emploi du terme «harki», «dans le seul sens que lui attribue l’histoire du Mouvement national algérien», j’avais cité à ce sujet la position d’une amie, et je l’ai discutée. Pourquoi s’en tenir à cette unique acceptation, alors que ma tentative de l’élargir à d’autres domaines sociaux et à l’époque actuelle a provoqué de significatives réactions, dans les commentaires du journal et dans des lettres privées qui m’ont été envoyées ?
Concernant l’allégation qui m’est imputée d’«imposer d’inappropriées béquilles d’expériences politiques, économiques et culturelles internationales» ? Où sont les preuves de mon «imposition» ? En quoi consistent ces «béquilles», en plus «inappropriées» ? Où serait l’erreur de réfléchir sur le terme «harki» pour en dégager une idéologie, éclairée et enrichie par des expériences internationales ? L’Algérie serait-elle isolée, avec une spécificité, dans une planète à part ? La Guerre de Libération nationale algérienne ne fut-elle pas, aussi, le résultat d’«expériences politiques, économiques et culturelles internationales» ? L’autogestion qui eut lieu en Algérie, juste après l’indépendance, n’a-t-elle pas bénéficié de ces expériences internationales ? Et le capitalisme privé qui s’empare de l’Algérie actuelle n’est-il pas, lui aussi, dépendant du même phénomène ?
Venons-en au concept «mtorni» – plutôt que «mtourni» – dont il semble douter du sémantisme à la fois nouveau et radical. Est-il interdit de se permettre d’en douter, dans ce que le professeur qualifie lui-même d’«échange apaisé et démocratique» ? Ainsi, si j’ai bien compris (cette réserve, signe de modestie intellectuelle, serait-elle interprétée comme un procédé «insidieux» ?), concernant le mot «mtourni», le professeur s’attribue, lui, le mérite d’un «sémantisme à la fois nouveau et radical». Je ne vois pas où se trouvent cette nouveauté et encore moins cette radicalité. J’ai discuté la pertinence de ce terme(4). Au lecteur d’en juger. Notons que tandis que Merdaci refuse que son emploi du terme «mtourni» soit discuté, en même temps, il récuse ma recherche d’un emploi nouveau, alors que je ne prétends même pas à la «radicalité» du mot «harki». Cependant, tandis que personnellement j’ai tenté de présenter des arguments, même si discutables, quant à l’emploi du terme «mtourni» par Merdaci, lui, concernant ma suggestion d’élargir l’acception du mot «harki», se contente de parler d’«inappropriées béquilles». Est-ce suffisant comme argument dans un «débat clair» et «apaisé» ?
Quant à Omar Fetmouche et au directeur du théâtre d’Oran, évoqués par Merdaci, je renvoie à mon livre (5), où je me limite à révéler des faits et des écrits. Alors, le lecteur jugera.
Ce n’est pas fini. Il reste à examiner l’avant-dernier paragraphe du professeur. Tout d’abord, demandons au lecteur quelle est la relation entre le fait de discuter des mots «mtourni» et harki, et mes actes durant mes séjours en France, Italie et Chine. Ensuite, notons le double procédé du professeur. D’une part, dans ce qu’il affirme, il ne me nomme pas, alors qu’il s’agit de moi ; d’autre part, en voulant me stigmatiser, le professeur se dresse un portrait de «patriote» avec «humilité». Au lecteur d’en juger. En parlant de lui-même, Merdaci écrit : «Celui qui écrit ces lignes n’a pas le souci d’un retour d’affection dans son pays ; il ne l’a jamais quitté.» Le mot «retour» suppose auparavant une «rupture». Quelle preuve concrète possède à ce sujet le professeur ? Vise-t-il mon éloignement géographique du pays ?… Ce fait justifie-t-il à lui seul l’emploi du mot «retour» ?… Quant au «pays», avant d’éprouver de l’affection pour lui, parce que terre de ma naissance, mon affection va à son peuple laborieux, au sein duquel je suis né.
Venons à la seconde partie de la phrase du professeur. Me voici reproché d’avoir quitté le pays. Ainsi, Merdaci partage le point de vue des représentants de l’Etat qui stigmatisent les Algériens pour le seul fait d’avoir quitté le pays. Cependant, me concernant, Merdaci en connaît les motifs, du moins l’objectivité intellectuelle devrait le porter à les connaître. Ces motifs sont exposés en détail dans mon livre sur le théâtre. J’invite donc le lecteur à en prendre connaissance, et il saura comment juger cette assertion du professeur. Je me contenterai simplement d’en signaler un aspect : l’un des motifs qui m’avaient contraint à quitter le pays, ce fut précisément le langage tenu à l’époque par les gens du PAGS à mon endroit, à cause de mes positions sociales(6), lequel langage est identique, comme style et procédure, à celui de Merdaci. Il reste à savoir quels sont les motifs réels qui expliquent que Merdaci, lui, n’a «jamais quitté le pays». En outre, ce fait est-il par lui-même suffisant pour juger une personne ?… Voici un fait historique qui relativise cet argument. Les Algériens qui quittèrent le pays durant le colonialisme n’eurent-ils pas une influence importante sur le déclenchement de la Guerre de Libération nationale ? Ajoutons ceci. Si un Algérien quitte le pays et s’en désintéresse, on le lui reproche. Si, par contre, il éprouve «un retour d’affection» (pourquoi ces guillemets ?), on le lui reproche également. Cela dit, il serait intéressant de savoir ce qui en a «coûté» à Merdaci pour les mérites qu’il s’attribue «d’avoir fidèlement défendu l’Algérie, l’intégrité de sa culture et de son identité». De quelle Algérie, de quelle culture, de quelle intégrité parle-t-il ?… Les intégristes islamistes, aussi, emploient les mêmes mots. Hitler, Staline, de Gaulle, Samuel Huntington (l’idéologue du «choc des civilisations») ou Bernard-Henri Lévy recourent aux mêmes termes. Mais tous ne précisent jamais le contenu. Et pour cause !… Celui qu’ils y mettent ne sert pas les intérêts du peuple dominé-exploité, mais ceux de la caste dominatrice. Par conséquent, le professeur d’université, en outre soucieux de préoccupations «utiles», qu’est Merdaci ne devrait-il pas être plus précis ?
Par contre, à mon propos (toujours sans me nommer), Merdaci dit au lecteur, que j’ai «participé à mai 1968 en France pour y disserter à tire-larigot sur le sexe et la révolution». Que le lecteur lise mon témoignage(7) et il saura quoi penser de cette affirmation. Ce que le professeur appelle «mai 68» fut, en France, d’une part, le plus important mouvement populaire révolutionnaire, depuis le Front populaire de 1936 : dix millions de travailleurs en grève, et le président de Gaulle qui abandonne l’Elysée pour se réfugier en Allemagne, chez le chef de l’armée française outre-Rhin, le fameux général Salan ; d’autre part, «mai 68» fut le mouvement le plus important dans le domaine de la libération sexuelle en général et, en particulier, de la libération de la femme du joug masculin. L’auteur d’une «mise au point» ne devrait-il le dire, s’il veut être «utile» ?
Concernant mon écrit sur ces événements, ajoutons qu’outre à la maison d’édition libertaire française qui l’a édité, il le sera prochainement par deux autres de même orientation, en version italienne et anglaise. Est-ce parce que ces maisons d’édition aiment voir «disserter à tire-larigot sur le sexe et la révolution» ?… Précisons, enfin, qu’un autre intellectuel algérien a tenu, au sujet de ma participation au mouvement social de mai 68 en France, le même langage calomniateur, et sans me nommer ; j’ai répondu à ses propos, et on découvrira ce que cela m’a coûté et continue à me coûter en Algérie parmi les «progressistes»(8).
Je suis également accusé d’avoir «cherché à convaincre les Italiens (convient-il de le noter, la gauche communiste et les syndicats) d’un furieux militantisme frelaté». Où sont les preuves de ces assertions ? La seule vérité dans ces allégations est que j’ai nié leurs étiquettes aux dirigeants italiens. A leur prétention de «gauche communiste» et de «syndicats» de travailleurs, j’ai opposé, preuves à l’appui, leur opportunisme politique(9). Comme par hasard, leur position était semblable au PAGS algérien : ils pratiquaient ce qu’ils appelaient le «compromis historique» avec la caste étatique capitaliste, représenté par le parti nommé «Démocratie chrétienne». Le «convient-il de le noter» du professeur me laisse croire que Merdaci fait partie et/ou défend cette «gauche communiste», donc les «progressistes» algériens partisans du «soutien critique». Dès lors me deviennent clair la méthode, le langage et le style qu’il emploie à mon encontre. Il en fut ainsi contre moi en 1968-1973 et de même lors de mon séjour en Algérie, en 2012-2013(10).
Ensuite, le professeur affirme que j’ai «sillonné les routes de la Chine et tagué sa Grande Muraille». Là, encore, où sont les preuves ? A ce sujet, une anecdote. En cinq ans de présence en Chine, je n’ai jamais visité ni «tagué» cette muraille. En voici le motif : lors de sa construction, les paysans étaient contraints de la construire avec leurs mains, jusqu’à leur épuisement ; une fois morts, leurs cadavres étaient mélangés aux matières premières composant le mur. Cela donne-t-il envie d’aller «admirer» cette «merveille» qu’est la Grande Muraille et de la «taguer» ?
Et de quoi parle le professeur en écrivant «poussé un vil canasson dans une course truquée, fusse-t-il de Troie» ? N’est-ce pas ici le style typique d’une certaine «intelligentzia» algérienne : des mots aussi ronflants que vides de signification ?
Par contre, Merdaci, après le traitement qu’il m’a réservé ci-dessus, déclare en ce qui le concerne avoir «souscrit, en toute humilité, à d’autres préoccupations plus utiles et plus accordées au devenir de sa société». Le lecteur doit-il le croire sur paroles ? Ne faudrait-il pas savoir quelle forme a eu cette «humilité», quelles furent les «préoccupations plus utiles» et savoir de quelle «société» il parle, puisqu’il souhaite un débat «clair» ?… Enfin, que sait ce professeur de ma vie et de mes activités à l’étranger, à part ce que j’en ai révélé dans mes trois écrits : sur la guerre et la paix, sur le théâtre et mon témoignage sur mai 68 en France ? Et que sait-il de mes rapports entretenus avec des gens du pays, en Algérie ?… Absolument rien !
Concluons. Pour les personnes qui l’ignoreraient, je les invite à prendre connaissance de la phase la plus obscurantiste et tragique du mouvement «communiste» international, en particulier russe. Ces personnes découvriront qu’un certain Jdanov(11) «présidait» à la «culture», quel langage il employait contre celles et ceux qui critiquaient, à partir de positions authentiquement prolétariennes et populaires (que les apparatchiks du régime dénonçaient comme «gauchistes»), le régime et l’Etat soi-disant «soviétiques»(12). Que ces personnes comparent le genre de discours jdanoviste avec celui de Merdaci, et elles vérifieront s’il ne s’agit pas d’une identique procédure. En voici les caractéristiques. D’une part, contre l’adversaire, le procès d’intention concernant ses écrits et ses actes, diabolisant sa personne, la stigmatisant par des affirmations sans preuves concrètes. N’appelle-t-on pas cela : calomnie ? L’originalité de Merdaci, à ce sujet, par rapport à Jdanov, est de tenter de masquer ses propos par l’évocation d’un «débat clair», «apaisé» et «démocratique». D’autre part, Merdaci se dresse un autoportrait de «patriote» (Jdanov, lui, de «communiste»), en recourant stylistiquement à des mots à effet, lesquels ne peuvent fonctionner que sur des personnes superficielles. Là encore, Merdaci est original : contrairement à l’arrogance manifestée par Jdanov, le professeur avance son «humilité». Dans la Russie de l’époque non seulement stalinienne, mais, soulignons-le, durant le règne même de Lénine (13), les personnes visées par ce genre de langage étaient envoyées au goulag ou assassinées comme «contre-révolutionnaires gauchistes». A l’époque de la dictature de Boumediène, la même expression était employée par les gens du PAGS, notamment à mon encontre, parce que, à leurs yeux, j’avais le tort de sympathiser avec les thèses du PRS de Mohamed Boudiaf. Celles-ci dénonçaient l’opportunisme antipopulaire du PAGS. Et aujourd’hui, en Algérie, je subis un ostracisme, qu’un seul journaliste évoqua, de la part de ceux-là mêmes qui se drapent dans le «patriotisme» et le «progressisme»(14), tout en bénéficiant de privilèges, concédés en échange de leur «soutien critique» à l’Etat auquel ils se déclarent verbalement opposés.
Finissons avec un argument, lié à ce qui vient d’être dit. Merdaci écrit : «La doctrine politique de Naïmi est connue : il faut plus incriminer l’Etat (ou l’instance) qui nomme les fonctionnaires d’autorité que ceux qui en bénéficient.» (AP, 31 mars 2018). Pour ma part, il ne s’agit pas d’une «doctrine» (que je lie à un dogme indiscutable parce que infaillible) mais d’une conception (que je relationne avec une position scientifique, susceptible de mise en question sur la base d’observations empiriques). Il ne s’agit pas, non plus, de «politique» mais de sociologie. Le professeur pourrait m’accuser d’ergotisme, mais j’ai comme principe de m’efforcer à diminuer la confusion intellectuelle et le verbiage. Ils ne sont «utiles» à aucune «société», que je conçois comme étant composée de dominateurs et de dominés, où les premiers recourent à la confusion et au verbiage pour aliéner les seconds. Pour en revenir à ma vision sociale, effectivement, j’avais ajouté une précision sur le rôle de l’Etat, au sujet de l’article de Merdaci. Il s’était contenté de critiquer la nomination de Slimane Benaïssa comme «commissaire» du Festival international de théâtre de Béjaïa. Et Merdaci me répondit dans le même journal en reconnaissant le bien-fondé de ma remarque sur la responsabilité de l’Etat. Mais voici ce qu’ajoute Merdaci, en me nommant : «Il mettra, de ce strict point de vue, les directeurs des Théâtres régionaux de Béjaïa et d’Oran dans la même case que le Français d’origine algérienne Benaïssa.»… Où sont les preuves convaincantes de ces affirmations ?… Tout ce que j’ai dit, dans mon étude sur l’idéologie harkie, est ceci : je proposais de considérer «harki» toute personne servant une caste dominatrice, qu’elle soit nationale ou étrangère, et cela par les armes ou par une production intellectuelle. Et, dans mon ouvrage sur le théâtre, j’ai essayé de donner des preuves montrant comment des personnes se déclarant «progressistes» servaient, en réalité, les intérêts de la caste étatique en place, en échange de privilèges obtenus par l’occupation d’un poste administratif, avec les avantages qu’il offre. Dans ce dernier cas, je n’ai pas employé le terme «harki».
Quant à l’emploi systématique du mot «Français», de la part de Merdaci, au sujet de Benaïssa, là, encore, pourquoi mettre en avant ce terme ?… Durant la Guerre de Libération nationale, le FLN n’avait-il pas mis en garde pour ne pas confondre le peuple français avec l’oligarchie colonialiste ?… La réprobation du comportement de Benaïssa peut-elle se justifier par son choix de la nationalité française ?… Pour ma part, non ! Il est dans le fait de servir l’oligarchie dominante en France. Attention donc à ne pas opposer «Français» et «Algériens» (ou toute autre nationalité). Cela procède d’un chauvinisme nationaliste ethnique, dont on connaît l’emploi opportuniste par les castes dominantes, et les ravages conséquents dont les seules victimes furent les peuples.
Revenons aux directeurs régionaux de théâtre. Merdaci m’accuse de les considérer : «Tous des factotums du pouvoir, peu importe les trajectoires personnelles.» Comme on le constate, à Merdaci, celles-ci importent pour les personnes défendues par lui. Au contraire, dans mon cas, nous avons lu le traitement réservé à mes «trajectoires personnelles». Arrivons à l’argument : «Tous des factotums du pouvoir.» Oui, monsieur le professeur ! En dernière instance – je dis bien : en dernière instance -, oui ! Comme le furent les dirigeants du PAGS où ces personnes militaient ou auquel allaient leurs sympathies idéologiques. Le «soutien critique» fut la tactique par laquelle les détenteurs du pouvoir étatique ont manipulé ceux qui croyaient les manipuler, en leur concédant, oui !, des privilèges au sein de l’administration. Les résultats sont connus : ces opposants «soutien critique» furent, objectivement, des «factorums du pouvoir» en place. Et les plus honnêtes de l’ex-PAGS le reconnaissent en parlant d’«erreurs d’analyse». Pourtant, le PRS les avaient décrites et dénoncées en leur temps. J’espère en avoir fourni des preuves dans mon livre sur le théâtre(15).
A présent, il serait utile de savoir quelle est la conception de Merdaci concernant l’Etat algérien, depuis l’indépendance jusqu’à aujourd’hui. Qu’il nous donne les preuves démontrant si l’Etat est ou non le produit d’une opposition entre une caste dominatrice-exploiteuse et une majorité de dominés-exploités. Qu’il nous expose, aussi, le rôle, depuis l’indépendance, de cette couche d’intellectuels, dans tous les domaines, dont le théâtre, qui a toujours (exceptés de rares moments d’ostracisme ou de répression étatiques) bénéficié de privilèges en termes de postes administratifs, en échange de «soutien critique» au régime en place. Que le professeur nous donne les preuves concrètes pour savoir si de cette couche de harkis de forme nouvelle (bureaucratique et idéologique), n’ont pas fait et ne continuent pas à faire partie trop de personnes qui se proclament «patriotes», défenseurs de l’«Algérie», de la «culture», de l’«intégrité», n’ont «jamais quitté le pays», sont «progressistes», «démocrates», de «gauche» et même «communistes». A ce sujet, le professeur est invité à fournir aux lecteurs des preuves convaincantes, parce que vérifiables et incontestables, concernant ses affirmations, à employer les mots adéquats en parlant de «société», de «culture», d’«intégrité» et d’«identité», à préciser les enjeux conflictuels non pas uniquement secondaires (genre critiquer Slimane Bénaïssa, ce qui est bien entendu utile, quoique facile), mais fondamentaux (ce qui essentiel). C’est ce que je l’avais porté à faire(16), quand il a reconnu que la nomination de ce personnage n’est que la conséquence d’un choix étatique, non imputable à un seul ministre. Espérant que la situation de Merdaci comme professeur, donc, sauf erreur de ma part, fonctionnaire étatique (actif ou à la retraire) ne conditionne pas sa conception concernant la nature et le rôle de l’Etat, et, par conséquent, ne détermine pas sa conception de ce que sont, quelle que soit la nation, les authentiques liberté et solidarité sociales, ainsi que leur coût concret pour celui qui les défend non pas seulement en paroles, mais en actes, même au prix de s’exiler de la terre(17) où il aurait souhaité toujours rester pour apporter à son peuple dominé une contribution afin qu’il puisse vivre dans une société libre et solidaire, excluant toute forme de harkisme, quel que soit le «beau» masque avec lequel il se drape aujourd’hui. L’exil de tant d’Algériens à l’étranger n’est pas causé uniquement par une gestion négative d’une caste étatique, mais, tout autant, par la masse de harkis de type nouveau à son service, sans lesquels cette caste étatique ne pourrait pas exister. D’où ma longue chronique sur l’idéologie harkie actuelle, à propos de laquelle il reste beaucoup à découvrir et à neutraliser, si l’on désire que le peuple algérien réalise enfin l’idéal qui lui était promis et pour lequel il lutta lors de la Guerre de Libération nationale.
K. N.
(1) Voir https://www.algeriepatriotique.com/2018/07/11/mise-point-a-propos-concept-mtorni/
(2) Lire également, à la fin de la «mise au point» de Merdaci, un commentaire du lecteur «Anonyme», relatant l’emploi religieux de «mtourni» durant la période coloniale.
(3) Respectivement en http://www.cnrtl.fr/definition/%C2%A0tribunitien
(5) Ethique et esthétique au théâtre et alentours, librement disponible ici : https://www.kadour-naimi.com/f-ecrits_theatre.html
(6) «Naïmi Kaddour : Quelques appréciations sur un artiste que j’ai connu il y a plus de quarante ans», http://www.elwatan.com/culture/quelquesappreciationssurunartistequejaiconnuilyaplusdequaranteans28082012183363_113.php
(7) http://www.atelierdecreationlibertaire.com/Un-mai-libre-et-solidaire.html
(8) Livre sur le théâtre : Livres 2 et 4.
(9) Outre à mon livre 3 sur le théâtre, ces faits sont évoqués dans la préface de mon ouvrage La guerre pourquoi ? La paix comme ?, librement accessible ici : https://www.kadour-naimi.com/f_sociologie_ecrits.html. Pourquoi le professeur ne mentionne pas que, dans mon témoignage sur le mouvement social de mai 68, j’ai émis la même négation concernant le parti «communiste» français et le syndicat CGT, qui en était la courroie de transmission ? Par les «accords de Grenelle», ils établirent leur forme de «soutien critique» à l’oligarchie patronale française, trahissant ainsi les travailleurs qu’ils prétendaient représenter et permettant la répression étatique qui mit fin au mouvement révolutionnaire populaire.
(10) Les faits sont dans mon livre sur le théâtre.
(11) https://fr.wikipedia.org/wiki/Andre%C3%AF_Jdanov
(12) J’en ai parlé dans mon ouvrage Ethique et esthétique au théâtre et alentours, précisément pour dénoncer ce comportement de la part de la mouvance pagsiste quand j’étais en Algérie, dans les années 1968-1973, et, par la suite, lors de mon séjour au pays en 2012-2013.
(13) Voir notamment Voline, La révolution inconnue, librement accessible sur internet.
(14) Mohamed Kali, «Y a-t-il un cas Kaddour Naïmi ? Polémique en scène», 30 mars 2013. http://www.elwatan.com/hebdo/artsetlettres/polemiqueenscene30032013208424_159.php
(15) Entre autres, j’ai évoqué le bilan fait par celui qui en fut le secrétaire général du PAGS, Sadek Hadjerès.
(16) https://www.algeriepatriotique.com/2018/03/31/reponse-questions-professeur-merdaci-fonctionnariat/
(17) Dans le même livre sur le théâtre, j’en fournis les conditions matérielles.
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