Comment l’Italie compte retirer le «juteux» dossier libyen à la France
De Rome, Mourad Rouighi – La rivalité franco-italienne a toujours été accentuée par nombre de sujets et de contextes où le contentieux séculaire entre les deux nations venait à s’exacerber encore plus.
La récente finale de la Coupe du monde entre la Croatie et la France n’a pas fait exception ; 95% des Italiens étaient derrière les camarades de l’excellent Luka Modric, plus par sentiment anti-français que par adhésion au jeu des valeureux croates. Mais s’il fallait aujourd’hui désigner un volet, un seul, étayant cette rivalité, c’est bien le dossier libyen qui tiendrait le haut de l’affiche.
C’est que le nouveau cours politique italien, s’appuyant sur le Mouvement des 5 étoiles et sur la Ligue du Nord, est plus que décidé à contrer les initiatives du président Macron, et les nombreuses visites effectuées par des dignitaires italiens, et non des moindres, les ministres de la Défense, des Affaires étrangères et de l’Intérieur à Tripoli, l’attestent fortement et témoignent d’une volonté de récupérer le temps perdu.
Les tenants de la diplomatie italienne ont, dans ce sens, réuni un conseil restreint pour le suivi du dossier libyen, faisant le bilan des récents contacts avec les diverses parties concernées, et le constat fait, selon une source sûre, est que l’approche de la diplomatie italienne, qui a fortement voulu ces missions, se fera désormais plus incisive. L’Italie, tout en reconnaissant les résultats encourageants obtenus jusqu’ici, insiste sur la nécessité d’appuyer l’engagement des pays participant aux efforts actuels et l’importance d’impliquer les pays de la région dans le processus de pacification du pays.
Par ailleurs, et en sa qualité de partenaire et voisin de la Libye, son nouveau cabinet estime qu’il est important de pouvoir stimuler un engagement international plus cohérent en faveur de ce pays afin de consolider la coopération régionale et la concertation dans le domaine de la gestion des situations dites d’urgence. De nombreuses analyses de la situation dans le pays, selon les experts italiens, mettent en lumière le fait qu’en Libye sont en jeu aujourd’hui la crédibilité de la communauté internationale ainsi que la capacité de l’ONU d’accompagner efficacement les processus de mise en place d’institutions de droit et de pacification du pays.
Vue de Rome, la sécurité de la Libye demeure donc un élément fondamental de l’engagement de la communauté internationale, qui plus est ayant des implications directes sur le contexte avoisinant. Or, précisément, l’approche italienne butterait sur le tropisme français, sur fond de guerre fratricide et de positions entre Total et ENI.
«Paris, nous dit un diplomate rompu au glossaire et aux nuances des coulisses, négocie avec les Libyens, les réunit et leur fait des propositions, mais celles-ci sont aux antipodes de celles voulues par l’Italie et d’autres acteurs dans la région.» «Tout d’abord, poursuit-il, la France n’est pas intéressée par l’arrêt de l’immigration en provenance des côtes libyennes vers la Sicile, car elle se sait non concernée. De fait, les récents accords signés par le gouvernement de Conte avec les milices locales, allant dans ce sens, ne constituent pas pour l’Elysée une priorité.» Doux euphémisme.
De même, toujours selon notre source, la France voudrait que l’Armée nationale libyenne, fidèle au maréchal Haftar, soit reconnue comme l’unique armée légitime, chose que ne partage pas Rome, plus encline à englober tous les acteurs en place, par souci, nous dit-on, de réunification réelle du pays.
Dans cette optique, Rome compte beaucoup sur la coopération régionale et, à cette fin, ses diplomates insistent beaucoup sur l’importance de la contribution de l’Algérie, de l’Egypte, de la Tunisie et de deux nouveaux acteurs : la Russie et la Chine, deux pays appelés, selon Rome, à jouer un rôle normalisateur en Libye et qui seraient décidés à mettre en échec d’autres «tentatives de passage en force», en faisant usage du droit de veto au sein du Conseil de sécurité des Nations unies.
A Rome, on a bien à l’esprit la déclaration de Sergueï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères russe, qui, lors d’un sommet précisément sur la Libye, asséna à ses interlocuteurs : «Un chat échaudé craint l’eau froide, on nous a fait le coup une fois, on ne nous le fera plus une deuxième.»
M. R.
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