Cruelle contradiction
Par Akram Chorfi – Même quand on n’est pas fan de football, on ne peut rester indifférent à tout ce qui s’est dit sur la victoire française en Coupe du monde de Russie. La Françafrique, comme on l’a appelée, incarne la perception générale de la domination africaine, numérique et qualitative, au sein du Onze français qui a permis de consacrer la suprématie de cette équipe.
Sans s’engager dans la polémique qui a dû parfois froisser la liesse «gauloise» du fait de certains propos vexants de personnalités connues et de voix – elles sont légion – moins connues sur les réseaux sociaux, on peut méditer, non pas sur les raisons de la victoire française, qui ne datent pas d’aujourd’hui, la France ayant dû sa première Coupe du monde historique, en grande partie à Zineddine Zidane, cet autre Africain. Plutôt, sur les raisons de cette polémique qui a l’air de valoir, pour ces Français qui veulent bien voir et entendre, une interpellation historique sur la réalité métissée de cette France qui ne veut se regarder et s’apprécier que dans sa peau de gauloise.
En rappelant à cette France raciste, qui se retranche sur elle-même, la réalité de sa diversité et la prégnance de cette diversité dans la qualité de son étant culturel et civilisationnel, le monde, qui a assisté à la suprématie footballistique de Français d’origine africaine, semble en tirer un sens emblématique qui interpelle la conscience politique de la France dans ce qu’elle a de plus endormi, de plus émoussé : sa volonté de reconnaître l’apport civilisationnel de l’Afrique à la culture et la civilisation françaises, et cela sans violence et sans haine.
Cette France embourbée dans la haine raciale qui a raté son métissage social au nom d’une illusoire intégration républicaine des minorités, continue à faire de la politique de l’immigration le flambeau de toutes les batailles électorales et partisanes, faisant évoluer le discours sur l’immigré au point où le plus modéré des Français «de souche» européenne, ose dire : «Je ne suis pas raciste, mais tout de même !».
Dans cet univers mondialisé, où le football a valeur d’arène et d’ascenseur politiques, l’Africain de France gagnera-t-il en galons pour avoir donné à tous les François des raisons d’être fiers et des raisons de rêver ?
C’est justement du fait de cette ingratitude maintes fois renouvelée que le monde a vu dans la victoire de cette équipe de France une victoire de joueurs africains et non français. La représentativité ethnique et raciale où qu’elle soit, ne doit-elle pas, après tout, refléter la place sociale de chacun ?
L’Africain qui a gagné la Coupe du monde pour la France, ou du moins ceux qu’il représente, est un citoyen de 5e classe, croulant sous la misère sociale dans les cités sordides des banlieues, sous l’éloquence des chiffres de chômage et l’évident mépris quotidien du délit de faciès, le tout érigé en système de sélection sociale dans la France de toutes les gauches et les droites confondues, depuis la nuit des temps.
Lorsque cet Africain, comme aurait dit cet illustre Gaulois qu’est l’abbé Sieyès, se penche sur sa condition, il se rend compte qu’il n’est rien, et sur son rôle, dont il se rend compte qu’il est celui d’un citoyen à part entière, il digère mal cette cruelle contradiction. Alors, cette coupe, cet Africain de France la boit jusqu’à la lie.
A. C.
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