La mort de la politique (3)
Par Mesloub Khider – Le dépérissement de la politique a transformé la nature du Parlement. Autrefois, lieu d’affrontements entre les multiples fractions de la bourgeoisie, mais surtout de négociations entre le capital et le travail, le Parlement a perdu toute sa force politique. Même les fractions bourgeoises parlementaires sont incapables d’infléchir l’action de l’Etat. La domination réelle du capital a réduit le Parlement à la portion congrue, à une simple chambre d’enregistrement. En Europe par exemple, les Parlements nationaux ont été dessaisis de leurs prérogatives législatives au profit du grand Parlement européen dominé par le capital apatride. C’est dans cette enceinte extra territoriale, au travers des commissions missionnées par le capital, que s’affrontent les différentes fractions capitalistes.
Aussi longtemps que le capitalisme, par son insuffisant développement, n’avait pas unifié la société, d’autres modes de communauté permettaient de parfaire les liens entre les hommes. Mais dès lors qu’il a détruit tous les autres modes de production, unifiant la société planétaire dans une communauté entièrement soumise aux catégories marchandes, toute son inhumanité se dévoile. C’est la terrible réalité du monde capitaliste contemporain parvenu à son ultime stade suprême de domination totalitaire de la société. Aujourd’hui, le capital est nu. Il ne peut se draper d’idéologies humanitaires des anciennes sociétés humaines traditionnelles décimées. Celles-ci ont longtemps contenu sa rapacité meurtrière, assuré leur rôle de cohésion sociale par leurs valeurs traditionnelles de solidarité.
Ere du vide politique : politique spectacle
Au terme de notre étude, on peut affirmer que la société américaine permet d’observer les évolutions qui traversent l’ensemble de la civilisation marchande à l’échelle de la majorité des pays. L’atomisation des individus et la colonisation de nos vies quotidiennes par le capitalisme ne cessent de se renforcer. La mascarade des élections tourne à vide. La «démocratie» est une façade. En vrai, la démocratie est corsetée par les marchés, ligotée par le capital. De surcroît, il ne faut pas perdre de vue la nature de classe de l’Etat. De même la nature de classe de ses représentants. Car, l’Etat n’est pas une abstraction métaphysique, mais constitue un véritable corps politique et militaire, matérialisé par un personnel bourgeois œuvrant loyalement et fidèlement au service de sa majesté le capital.
Dans tous les pays, l’Etat est gouverné par les classes dirigeantes. Les hommes politiques, les banquiers et les patrons appartiennent tous à la même classe : la bourgeoisie. Souvent, ils ont grandi dans les mêmes quartiers, fréquenté les mêmes écoles, les mêmes prestigieuses universités, les mêmes partis politiques, les mêmes espaces de sociabilité bourgeois. Si la politique sature l’espace médiatique, en revanche l’espace médiatique ne structure aucune politique. Les médias sont les agents de communication du capital.
A l’instar des Etats-Unis pionniers en la matière, la politique se réduit désormais à une «politique de communication». Le divertissement et les débats télévisés rythment la vie politique. La démocratie représentative se réduit effectivement à une simple représentation. Le débat politique devient particulièrement médiocre et se focalise sur le dérisoire. Le projet politique disparaît au profit d’un produit marketing. Car tous les partis n’ont qu’un programme politique à présenter et à défendre : celui du capital. Même les partis de «gauche» ne sont plus des partis socialistes avec une base de prolétaires. Au contraire, ces partis sont devenus de véritables appareils de bureaucrates et de professionnels de la politique issus de la petite bourgeoisie. D’ailleurs, ils ne se présentent pas comme socialistes, mais comme les meilleurs gestionnaires du capital face aux excès de la droite. Les idées utopistes et révolutionnaires sont désormais congédiées pour se plier au réalisme froid de la gestion du capital. Leur politique consiste à associer à la gestion du système capitaliste les nouvelles couches moyennes intellectuelles et techniciennes. La bourgeoisie évolue. Et une petite bourgeoisie intellectuelle émerge. Les dirigeants du pays doivent donc être à l’image de ses nouvelles classes sociales.
Pour ce qui est de l’Algérie, elle est engagée dans le même processus de politique spectacle, ponctué parfois de politique spectrale où la mort gouverne le pays. Particulièrement vrai en cette période de crise systémique du capitalisme. Dans ce sens, les partis apparaissent comme de parfaits conservateurs. Ils font l’apologie de la «modernisation» du capitalisme. Il faut dénoncer ces fausses alternances qui ne modifient pas les structures du capitalisme. Ni le pouvoir comprador algérien ni les partis «d’opposition» inféodés au système rentier ne peuvent apporter une solution politique salvatrice à la crise économique actuelle. Aujourd’hui, la chute vertigineuse du prix du pétrole, longtemps source des financements des politiques de largesses sociales, s’est traduite par l’application d’une politique d’austérité digne des années sombres du programme d’ajustement structurel imposé par le FMI à un grand nombre de pays sous-développés. Cette politique de la baisse drastique de tous les budgets sociaux.
Actuellement, l’Etat algérien, comme tous les Etats capitalistes en crise, tel un boucher dans l’abattoir, s’applique à opérer sur le corps social une sanglante politique d’éviscération des primordiales et vitales dispositions sociales, sur fond d’une répression implacable des travailleurs en lutte pour résister à la politique d’équarrissage sociale infligée à toutes les masses populaires algériennes.
En dépit de tous les obstacles et difficultés imposés par l’Etat, les classes populaires algériennes manifestent fréquemment leur opposition contre les mesures de paupérisation sociale générale imposées par le pouvoir. De toute évidence, il faut procéder à une critique radicale de la politique. Il faut rejeter la critique moralisante pour privilégier une analyse de classe. Les politiciens s’attachent à ce que tout change dans la continuité pour que rien ne change. Aucune forme d’émancipation sociale ne peut passer par les institutions politiques dominantes. Seule une politique émancipatrice et anticapitaliste en rupture avec le fétichisme de la marchandise doit guider l’action politique vers la transformation de la société
Les institutions supposées neutres et les illusions électoralistes nourrissent le discours du fatalisme politique. Cette idéologie du défaitisme moderne vise à éradiquer tout projet de société alternative. La rupture avec le capitalisme est désormais assimilée au totalitarisme, un concept creux devenu à la mode. Surtout, l’ordre social n’est plus qualifié de capitaliste. Avec la novlangue, on dit plutôt libéralisme. Dès lors, ceux qui s’en prennent au capitalisme sont taxés d’archaïsme.
Malgré les différents programmes électoraux, tous les partis politiques algériens proposent de rester dans le cadre de l’ordre existant. Avec la crise économique, l’Etat ne peut être que le gestionnaire du désastre capitaliste. Aujourd’hui, en Algérie comme dans tous les pays, tous les gouvernements se contentent de gérer le capitalisme. Et aucun parti prétendument «d’opposition» ne peut apporter de solution dans le cadre du maintien de l’ordre social dominant existant.
Depuis la crise économique de 2008, tous les Etats sont réduits à gérer des politiques d’austérité. Dans un contexte de chômage de masse et de misère, dans de nombreux pays, l’Etat aiguise sa fonction de maintien de l’ordre. Il excelle en matière sécuritaire. C’est l’unique domaine où sa compétence demeure extraordinairement efficace. Où il investit sans compter dans le recrutement du personnel et l’équipement répressifs. En effet, les politiques libérales d’austérité s’accompagnent d’un renforcement de la répression et de l’Etat policier. L’Etat de droit, censé garantir quelques libertés, se transforme dans de nombreux pays en état d’exception permanent, à l’exemple de la France où l’état d’urgence est imposé depuis 2015. Ce dispositif répressif est accompagné de mesures de fichages, d’assignations à résidence, d’interdictions de manifestations, voire de violences policières. Sous couvert d’antiterrorisme, partout l’Etat use d’une politique de répressions des luttes sociales, voire de criminalisation de la lutte sociale.
Le changement social ne passe pas par l’Etat mais par une rupture avec les institutions, la représentation, la délégation pour inventer de nouvelles formes d’interventions directes. Pour preuve : même les choix électoraux les plus audacieux se révèlent impuissants. En Grèce, le parti d’extrême gauche Syriza a accédé au pouvoir. Pourtant, le nouveau gouvernement applique les mêmes mesures d’austérité que ses prédécesseurs. En France, une nouvelle équipe dirigeante constituée de mercenaires sans attache politique traditionnelle aux partis classiques a été hissée au pouvoir pour mener une véritable guerre de classe contre les masses populaires. Cette forme de gouvernement bonapartiste se veut au-dessus des partis, mais en vrai il est au service d’une partie de la population, celle liée au capital : la bourgeoisie.
Conclusion
Ainsi, avec la disparition des modes de production précapitalistes, les hommes politiques sont totalement intégrés au capital. Avec l’effacement de la scène historique de toutes les classes issues des anciens modes de production, la vie politique s’est vidée de sa substance. Ne demeurent en présence, en activité, que le capital et le prolétariat. Et entre eux, pas de négociations possibles.
De cette confrontation frontale (sans médiation), on peut dire que soit le prolétariat est ravalé au niveau de simple classe salariée soumise, et ses intérêts se confondent alors avec ceux du capital total (telle est la situation actuelle), soit ce statut salarié entre en crise et menace le capital dans son existence même, et il est alors contraint à la destruction des rapports de production capitalistes, car ceux-ci ne permettent plus sa survie matérielle.
M. K.
(fin)
Comment (5)